Écologie - Antiindustriel

Compte-rendu de la rencontre internationale des libératrices et libérateurs de la Madre Tierre

Du 3 au 6 août 2017 s’est tenue une rencontre politique sur le thème de la libération de la Terre Mère, à Corinto dans la région du Cauca en Colombie. Les mouvements de libération colombiens sont nombreux et porteurs d’espoir dans la lutte contre le capitalisme et la pauvreté dans un contexte de guerre. Le peuple indigène Nasa a ainsi appelé les libératrices et les libérateurs ainsi que toutes personnes intéressées, à venir discuter et apprendre des luttes en cours dans la région et dans le monde. Ce texte présente le contexte et le déroulement de la rencontre, avec toute ma subjectivité de voyageur helvétique récemment installé en Colombie.

Colombie |

Le contexte de la rencontre

Le Cauca est une région en proie aux conflits armés depuis plusieurs décennies. Les protagonistes de ce conflit sont les paramilitaires (groupes illégaux armés, de tendance extrême droite), la police, l’Esmad (section anti-émeute de la police), l’armée colombienne, les Farcs (Forces Armées Révolutionnaires Colombiennes, tendance marxiste-léniniste) et l’ELN (Armée de Libération Nationale, tendance Guévariste). Les plantations illégales de coca et de marijuana s’étendent dans toute la région. Ce commerce illicite très lucratif est au cœur des enjeux territoriaux. Le conflit est complexe et dure depuis longtemps. Pour entrer dans les détails historiques, un certain nombre de références et de liens ont été sélectionnés et sont disponibles à la fin de cet article.

Il y a un certain nombre de mécanismes qui sont important de comprendre. Les problèmes ont commencé dans le Cauca en 1535 avec l’arrivée des Espagnols. S’en sont suivis 120 années de guerre entre les colons et les peuples indigènes unifiés. Le peuple actif dans le processus de libération s’appelle le peuple Nasa. Il a une langue, une culture, une organisation et un système judiciaire qui lui sont propres.

Et dans sa culture, il y a la force de l’insoumission et le courage de lutter encore aujourd’hui contre les ennemis modernes, héritiers des violences coloniales.

A force de guerre, les nasas ont étés repoussés dans les montagnes, où les espagnols les ont laissé vivre dans des réserves. Et les bonnes terres fertiles qu’illes cultivaient appartiennent aujourd’hui à de grands propriétaires terriens, parfois des internationaux. Dans le Cauca, 7.8 % de la population détient 60.22 % des terres. La majorité de celles-ci sont utilisées pour la canne à sucre, une monoculture non vivrière, mécanisée et polluant les nappes phréatiques à grande échelle.

Ainsi dans plusieurs zones du Cauca, des terres ont été libérées. Chez nous en Europe, on utiliserait peut-être le terme « occupées ». Le terrain sur lequel a eu lieu la rencontre est ainsi occupé depuis bientôt trois ans. Les nasas sont arrivés avec leurs machettes et ont coupé toute la canne, culture par ailleurs emblématique du système esclavagiste importé par les Européens aux Amériques lors de la colonisation. Illes se sont installéEs et ont semé leurs graines. Depuis lors, l’Esmad et l’armée ne les laissent pas tranquilLes. Les attaques sont régulières et violentes. Le premier jour de la rencontre, ils sont intervenus et ont brûlés les infrastructures, détruit et consommé la nourriture, et tiré sur les organisateur-ices avec des balles en caoutchouc, blessant ainsi deux camarades. La rencontre a tout de même eu lieu. Article de Colombia Informa en espagnol.

La rencontre

Les participantEs ont commencé à affluer dans la matinée du jeudi 3 août à Corinto, Cauca. Moi je débarquais du bus de nuit depuis Bogota. Le choc climatique est fort. Dans le Cauca, il fait chaud. On s’est retrouvé à la casa del Cabildo, centre indigène du village. On nous a fait attendre là jusqu’à ce que les pandores quittent le site, puis on est monté à pied jusqu’au terrain, à une demi-heure de là. Les nasas étaient déjà en train de s’affairer à reconstruire ce qui avait été détruit. La cuisine a été déplacée dans la forêt à 200 m de là afin de la cacher un peu. Nous avons déposé nos sacs dans une forêt de bambous. Il y a deux autres campements. Les rencontres entre participantEs se font rapidement. On est toustes curieuxses. On veut se connaître, comprendre les motivations, d’où viennent les autres, quelles organisations illes représentent ou pas. La majorité a entre vingt et trente ans. Beaucoup viennent des villes comme Bogota, Cali et Medellin. Il y a des étudiantEs, des travailleureuses, des paysanEs, des punks, des skins, des indigènes, des homos, des trans, des Taitas (médecins traditionnels), des jeunes, des vieux, des chiens, des chats, des poules et j’en passe. Il y a quelques internationaux, de France, Mexique, Etats-Unis, Italie, Equateur, Catalogne et Suisse. Une petite dizaine tout au plus. La foule est donc bien hétéroclite. Plusieurs centaines de personnes au total durant les quatre jours.

Dès le début, on nous donne des instructions de sécurité, notamment en nous indiquant les possibles sorties de secours. Il nous faudra traverser le fleuve en cas d’attaque, ou viser les montagnes. La tension sera palpable tout au long de la rencontre et les alertes fréquentes.

La peur au ventre, le sourire aux lèvres.

Il y aura donc une permanence de la garde indigène et autres volontaires pour surveiller les points stratégiques.

Le vendredi matin, je me lève à 4h pour préparer le petit déjeuner. La nourriture durant la rencontre sera principalement composée de riz, pommes de terre, bananes plantain, haricots et viande. Il fait encore nuit, l’ambiance est vraiment tranquille. On discute, on parle de nos expériences. Et en tant que blanc, et bien j’attire un peu les curiosités. Les gens se demandent ce que je fais là et sont plutôt ravis de l’intérêt que les étrangers peuvent avoir pour une lutte ainsi peu médiatisée au niveau international.

Nous sommes nombreuxses à être végétarienNes. Nous nous organiserons donc au long des quatre jours, car la culture culinaire nasa est plutôt de tendance carnée. Après le petit déjeuner, on vient me dire de démonter ma tente. Tout le monde doit être prêt à se tirer au plus vite. Aussitôt dit, aussitôt fait.

Le vendredi, les organisations présenteront leurs projets. On parle de la situation générale de la libération de la terre dans le pays, au Mexique, ainsi que les diverses luttes contre l’industrie minière en Colombie et en Equateur. On écoute, on balance des slogans, on apprend, ça joue des chansons, des poèmes, du rap. La rencontre sera faite de mille discussions informelles qui aboutiront sur mille liens d’amitiés teintés de rébellion et de l’envie de tout faire péter. Durant l’après-midi, un drone s’invite aux discussions. Les frondes le manquent et il finit par se tirer.

Le mouvement est pacifiste, dans le sens où il n’est pas armé. Les années de guerre dans la région ont fait naître cette nouvelle stratégie de rébellion, qui selon moi a beaucoup de sens dans la conjoncture actuelle, notamment avec le processus de paix en cours entre le gouvernement et les Farc. L’ELN soutient aussi le mouvement, mais de loin. Les nasas ne veulent pas de conflit armé avec le gouvernement et évitent ainsi de se frotter à la guérilla. Bien que sans armes, les indigènes sont déterminéEs. Malgré la répression, malgré l’exclusion et malgré la mort qui frappent, la lutte se poursuit et prend de l’ampleur.

Durant l’après-midi, une camarade de l’organisation est venue me demander qui j’étais, d’où je venais et qui je représentais. Je lui ai vaguement expliqué les luttes auxquelles j’avais pris part en Suisse et elle m’a ainsi demandé de prendre la parole et d’expliquer tout ça devant l’assemblée. D’abord non, puis oui, j’ai mis mes idées sur papier et je suis allé balancer ma science à ce beau monde. De savoir que ça lutte aussi en Europe et comment, c’est toujours une contribution. L’information circule mal dans ce pays. J’ai donc brièvement parlé de la Suisse, sa politique, sa contribution au système capitaliste en tant que paradis fiscal, puis j’ai parlé des résistances, des autonomes, des squats, de la solidarité avec les migrantEs, de la difficulté des luttes et comment aussi en Suisse, on s’organise sans attendre du gouvernement, voire contre le gouvernement. On peut parler plus longtemps de tout, j’ai décidé de faire court en terminant par mentionner la dernière occupation non-mixte pour la création d’une bibliothèque féministe à Lausanne.

Le samedi matin, nouvelle alerte. Debout à 5h du matin, prêtEs à déguerpir. En effet, l’Esmad semble s’activer et déplace des véhicules en amont du site de la rencontre. Le drone a de nouveau été aperçu. Du coup comme il se passe quand même rien, on va voir ce qui se passe à la cuisine. On boit du café et on coupe des haricots verts.

La journée s’est organisée en cinq groupes de travails, ayant pour but d’établir une description de la situation des thèmes suivants :

  • Les savoirs ancestraux
  • Les territoires en conflit
  • Les luttes étudiantes
  • La commission des femmes (mixte)
  • Les semences

Je suis allé dans le groupe de discussion des femmes. Trois hommes et une vingtaine de femmes. Il y a encore des efforts à faire. Elles ont parlé de différents thèmes, dont la violence faite aux femmes, le viol comme arme de guerre, le machisme (notamment au sein du peuple Nasa), l’influence du capitalisme sur le corps des femmes, la menstruation, et le machisme au sein des organisations sociales. Une petite pièce de théâtre a d’ailleurs été montée, mettant en scène divers scénarios de féminicides dans la société colombienne. Beau, dérangeant et triste.

Au soir, deux pièces de théatre ont été présentées. Une relatant des faits historique sur un massacre de travailleurEs en grève sur la côte atlantique en 1928, et un spectacle de marionnettes sur le droit aux semences et à l’oppression capitaliste sur la classe paysanne. S’en est suivie une belle fête avec toustes les camarades, dans un esprit fort en émotion après ces trois jours de rencontre intenses.

Le dimanche, dernier jour de la rencontre, trois groupes de travail ont étés formés, avec la même vocation de proposer des idées concrètes de mesures à prendre. Une des premières ayant été évoquées est celle d’organiser une autre rencontre l’année suivant dans le Cauca.

Les liens suivants parlent du contenu de la rencontre de manière plus complète et comprennent les prochains événements à venir :

Site du processus de libération en espagnol : https://liberaciondelamadretierra.org/

Site du CRIC (Conseil Regional Indigène du Cauca) en espagnol : http://www.cric-colombia.org/portal/

Fanzine d’un groupe francophone sur la récuperation des terres dans le nord Cauca : https://infokiosques.net/spip.php?article1437

Documentaire de 40 minutes en espagnol sur les luttes du Nord Cauca (inscription gratuite, traduction à venir) :
https://www.retinalatina.org/video/sangre-y-tierra/

Manifeste explicatif complet sur le processus de libération en cours. En espagnol, en cours de traduction : https://liberaciondelamadretierra.org/libertad-y-alegria-con-uma-kiwe/

P.S.

Article tiré du blog http://cafesinazucar.blackblogs.org, relatant d’éléments politiques d’un voyage en Amérique latine, ayant pour but d’informer et de proposer des perspectives de luttes et de soutien pour les extra-ColombieNes. En effet, une connaissance et un soutien international des luttes est nécessaire pour diverses raisons, dont la protection physique des personnes Colombiennes contre les attaques de la police lors de la présence d’internationaux.

Notes

DANS LA MÊME THÉMATIQUE

À L'ACTUALITÉ

Publiez !

Comment publier sur Renversé?

Renversé est ouvert à la publication. La proposition d'article se fait à travers l’interface privée du site. Si vous rencontrez le moindre problème ou que vous avez des questions, n’hésitez pas à nous le faire savoir
par e-mail: contact@renverse.co