Urbanisme - luttes de territoire Grand Genève

[Genève] La Ville est à vous... si vous lui obéissez

Rien de plus simple à organiser qu’un vide grenier : fixer une date et un lieu, en parler aux gens autour de soi, trier les affaires dont on ne veut plus, les étaler sur une table ou une nappe au lieu-dit, le jour-dit, savourer une journée au soleil, puis reprendre ses invendus et s’acheter une glace avec son bénéfice. Enfin, aussi simple, si l’État ne s’en mèle pas comme les Genevois ont pu le découvrir ces dernières années. Car cette année, pour la première fois, les traditionnels vide-grenier de la belle saison se dérouleront... sans vide-grenier. Il y a un mois, la Rue est à vous des Eaux-Vives a annoncé qu’elle renonce à son vide-grenier pour cette année. Et elle n’est pas seule, la moitié des “La Rue est à Vous” se passeront de brocante cette année pour des raisons budgétaires. Car oui, à Genève, ça coûte cher de se plier à toutes les règles et contraintes imposées par la Ville pour organiser un vide-grenier. Et si les subventions baissent, les habitant-e-s se voient dépossédé-e-s de ce moment de rencontre. C’est l’achèvement absurde d’un processus qu’Esquive avait déjà décrit au printemps 2014.

Genève |

Cet hiver [2013-2014, ndlr], Genève a eu chaud. Avec les menaces que la droite faisait peser sur le budget 2014 de la Ville, la disparition des rituelles « La Ville est à Vous » était à l’ordre du jour. Et quand bien même le budget est finalement passé, les collectifs d’organisation de ces événements se sont plaints dans la presse que leur subvention annuelle — environ 15’000 francs par quartier — n’était pas suffisante pour garantir ces événements...

15’000 francs pour un vide-grenier ?

À Genève, c’est aux Pâquis en 1993, portée par un collectif d’habitants, que « La Rue est à Vous » a vu le jour. En 2003, attirée par ce succès, la Ville de Genève vole l’idée et le nom aux Pâquisards et la dissémine par le haut dans une dizaine de quartiers de Genève. Alors que Pierre Maudet menait sa croisade contre les débarras dans la rue avec Boris le raton laveur, Patrice Mugny imposait un cadre policé et festif à la vente de ce qui encombre son grenier. Si certains endroits accueillent bien l’idée ou l’organisaient déjà avant que les services de la Ville pointent leur nez, d’autres quartiers montrent moins d’intérêt. Mais la Ville veut que les citoyens se trémoussent au rythme de l’orchestre de la Police cantonale genevoise. Alors, elle n’hésite pas à organiser la chose sans les habitants pour lancer le concept chez les réticents. Vive la fête !

Mais cet engouement de la Ville a un prix. Pour « décoloniser l’espace public, le temps d’une fête, de sa servitude à la rentabilité et aux transports », il faut un budget adéquat. En 2009, « la Rue est à vous » des Pâquis, qui voulait rester indépendante de la Ville, se voit contrainte de payer 10’000 francs pour la “signalisation” de l’évènement. L’année suivante, coup fatal pour l’évènement, la Ville ordonne à l’association de lui payer 25’000 francs pour des “frais de voirie”, des frais qui sont pourtant épargnés aux Ville-est-à-vous affiliées. Raoul Schrumpf, du Département de la sécurité déclare alors : « La collectivité n’a pas à payer à [la] place de la Rue est à vous. » Selon que tu obéisses ou non à l’État..

Rien ne vaut une bonne fête pour éduquer le citoyen.

Pourquoi la Ville souhaite-t-elle tant contrôler ces fêtes ? Parce que les autorités se servent de « La Ville est à Vous » pour promouvoir le dévelop-pement durable « défini par l’Agenda 21 ». Ça se résume en impositions de normes et de règles aux organisateurs et aux participants à ces événements. Trie tes déchets, obéis aux ordres de l’agent municipal et des gentils bénévoles, ne passe pas de la musique, etc. C’est comme ça, t’as pas le choix.

Officiellement, « la Ville est à Vous » est « un parfait exemple de démocratie participative », un concept très en vogue à gauche. Au lieu de laisser les habitants s’organiser par eux-mêmes, la Ville s’impose comme médiateur entre les résidents d’un quartier. Et cette médiation ne sert qu’à poser des frais, des procédures et des devoirs nouveaux. Sous prétexte d’assistance, l’État dépossède les habitants de leurs envies avant de leur imposer de la vaisselle compostable et des frais de voirie. Et s’ils refusent... elle leur coupe la subvention, comme aux Pâquis. Rien ne vaut une bonne fête pour éduquer le citoyen.

P.S.

Retrouvez tous les articles d’Esquive publiés sur Renversé ici : http://renverse.ch/Suisse-romande-Esquive-le-journal-qui-attend-son-heure-est-de-retour-611
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