Pensées politiques Insurrection

L’épidémie de rage en Espagne 1996-2007

Texte traduit de l’espagnol, paru dans la revue "Nous Autres" 3e fournée [1], qui tente de "dresser le bilan de l’expérience militante accumulée en Espagne parmi les anarchistes, les communistes et les autonomes qui gravitent autour de l’idée « d’insurrection »."

“Croyez-moi, de la manière dont nous opérons, en marge de la loi, tout ce qui n’est pas de la plus stricte honnêteté pourra avoir pour nous des conséquences fatales.”
Jack London, Le bureau des assassinats.

Qui ne tente rien n’a rien (présentation)

Depuis quelques temps, nous ressentons le besoin, entre camarades, de dresser le bilan de l’expérience militante accumulée en Espagne parmi les anarchistes, les communistes et les autonomes qui gravitent autour de l’idée « d’insurrection ». Pour deux raisons. La première, c’est le constat qu’une page a été tournée. La situation, dix ans après – et même cinq ans après –, n’est plus la même, et nous voulons en tirer d’utiles enseignements pour mieux affronter les batailles qui s’annoncent, non dans un hypothétique avenir, mais au coin de la rue. Pour cette raison, il est absolument nécessaire d’ouvrir un débat, ou au moins de provoquer une réflexion.

La deuxième raison qui nous pousse à écrire est l’ignorance absolue des faits survenus ces dix dernières années de la part des nouvelles générations de camarades. Cette ignorance, il faut le reconnaître, résulte en grande partie de la place qu’a prise entre nous la (non-)communication par internet, qui a presque remplacé le contact et la connaissance directs. Cependant, elle donne aussi la mesure de notre incapacité à ériger des modèles auxquels ces jeunes camarades puissent s’identifier : des luttes et des regroupements qui auraient permis à ce remarquable élan combatif de durer et de s’amplifier.

Cet échec est celui de ce qu’on a appelé « l’organisation informelle ». Et avec les années, nous nous rendons compte qu’il était inscrit dans les principes mêmes que nous avions adoptés. Malgré cela, nous ne regrettons rien, nous ne pensons pas avoir perdu notre temps, ni que nos camarades aient perdu le leur. Il est facile aujourd’hui de contempler un amas de cendres et de dire que « tout ceci a été une erreur », que les gens ont tout simplement « pété les plombs ». Cette fausse critique passe sous silence la situation particulière de ces dix dernières années, soit qu’elle ne la connaisse pas, soit qu’elle fasse mine de ne pas la connaître. Elle nous ramène au point de départ — aux grossières illusions de l’anarchisme officiel ou à la joyeuse inconscience des jeunesses radicales — , et contribue ainsi à ce que les erreurs se répètent indéfiniment, à l’intérieur de ce « temps cyclique » typique des milieux politiques qui se tiennent à distance de l’histoire.

Il est beaucoup plus difficile, et bien moins commode pour tout un chacun, d’entamer une analyse dialectique des événements. Les conditions qui étaient les nôtres au départ ne nous laissaient guère d’issue, et ce qui devait arriver arriva. L’épidémie de rage n’a pas été qu’une nouvelle mode esthétique/idéologique du ghetto : toutes les idées qui ont été formulées ont été éprouvées jusqu’à leurs ultimes conséquences. Bien que les résultats en aient été souvent catastrophiques, il s’est agi d’une expérience collective digne de ce nom ; pour cette raison, une autocritique est possible.

Quant aux résultats positifs, ils sont sans rapport avec la position maximaliste que nous avions adoptée et qui souvent s’est retournée contre nous ; mais enfin ils existent. Ces années ont été l’occasion de solder définitivement l’héritage de deux décennies de paralysie et d’inertie du mouvement libertaire. Mais surtout, elles ont vu ressurgir des questions cruciales comme la révolution ou l’organisation, non pas en tant que dogmes idéologiques, mais comme des problèmes vivants, complexes, dynamiques. Ces résultats, modestes il est vrai, gardent une importance qualitative du point de vue des perspectives qu’ils ouvrent. Ils ont eu un coût tragique, payés par les camarades qui ont été et sont encore frappés par la répression.

Ces pages leur sont dédiées.

Signalons que ce texte ne prétend pas trancher, mais apporter au débat une contribution nourrie de ce que nous avons vu, vécu et pensé pendant toute cette période. Plutôt que de parler ex cathedra ou de fournir « notre opinion », il nous a paru prioritaire de reconstruire le mieux possible cette histoire, d’essayer d’élaborer une vision d’ensemble. Pour cela, on ne peut se contenter d’accumuler les dates ou de se remémorer les petites batailles : il faut séparer les faits importants de ceux qui le sont moins, et risquer des interprétations pour savoir pourquoi les choses se sont déroulées de telle manière et non de telle autre. Cette entreprise confère au texte un biais subjectif que nous revendiquons : pour qui veut une vision objective des choses, il y a le JT et les journaux.

Enfin, il était impossible de mener ce travail sans en tirer le moindre enseignement. Nous nous sommes donc risqués à quelques conclusions, même s’il est inévitable qu’elles suscitent des remises en question. C’est aussi bien comme ça.

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