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[Sion] On ne guérit pas l’obscurantisme, mais on peut le combattre

Ce texte est l’exposé des motifs d’une demande de débaptisation adressée à l’évêque de Sion. Il a été écrit en réponse aux propos tenus par ce dernier dans la presse, par lesquels il associait l’homosexualité à une “faiblesse de la nature” devant être guérie. Si cet évêque n’aime pas que des homosexuel-le-s affichent leur fierté à la pride, c’est que celles et ceux qui affichent leur souffrance sont plus rentables pour l’Eglise.

Sion |

Monseigneur Jean-Marie Lovey,

Je compte aujourd’hui parmi les innombrables personnes qui, de longue date, ont rompu tout lien avec les croyances et pratiques religieuses qui leur ont été inculquées, mais dont les noms continuent de gonfler artificiellement votre registre. Ainsi ai-je indirectement contribué à nourrir l’idée que nous vivrions en terre chrétienne, avec toutes les instrumentalisations politiques que cela permet, notamment à des fins racistes, sexistes et homophobes.

Bien que fermement attaché à la liberté de religion, on doit constater que certaines croyances – dont les religions n’ont certes, et de loin pas l’exclusivité – contribuent à générer de l’obscurantisme et à produire des souffrances chez les personnes qui ne se conforment pas aux préceptes et aux dogmes décrétés par les autorités cléricales. En cela, ces croyances ne sauraient relever de la simple liberté individuelle, puisqu’elles ont pour effet de priver d’autres personnes de leurs libertés. Les combattre est dès lors un devoir politique et moral.

Dans Le Nouvelliste du 19 mai dernier, Son Excellence s’en prend aux libertés sexuelles de celles et ceux qui ne partagent pas sa vision réductrice de la sexualité humaine, en commençant par affirmer que « l’homosexualité est une faiblesse de la nature ». Sur ce point, étant bien connu qu’on peut faire dire à « la nature » tout ce qu’on veut bien lui faire dire, il est inutile de chercher à contre-argumenter et on se contentera de vous répondre que l’obscurantisme et la bêtise sont des faiblesses de l’esprit.

Aucun argument rationnel, ni aucune croyance religieuse ne sauraient justifier une telle prise de position publique. Défendre le droit de toute personne à sa liberté confessionnelle est une chose, et elle est fondamentale. Revendiquer, sous couvert de religion, le droit à proférer des inepties et à insulter celles et ceux qui ne partagent pas votre avis, en engageant de surcroît votre autorité morale dans cet acte de parole nauséabond, en est une autre.

Une personne qui s’entend dire, dès son plus jeune âge, que l’homosexualité est une « faiblesse de la nature », une faiblesse ou une tare contre laquelle il faut lutter, a de forts risques, s’il lui arrive un jour d’aimer et de désirer une personne du même sexe qu’elle, de vivre cette attirance comme anormale.

À l’appui de votre affirmation selon laquelle l’homosexualité serait « une faiblesse de la nature », vous avancez pour « preuve » le fait « qu’il y a une souffrance réelle de la personne qui le vit et de son entourage ». La souffrance tiendrait donc lieu de preuve d’une faiblesse qui, pour sa part, résiderait dans la « nature » de l’individu. C’est certes là une conception aussi naïve que répandue de l’homosexualité, alors que dans la réalité la chaîne de causalité est inversée : Une personne qui s’entend dire, dès son plus jeune âge, que l’homosexualité est une « faiblesse de la nature », une faiblesse ou une tare contre laquelle il faut lutter, a de forts risques, s’il lui arrive un jour d’aimer et de désirer une personne du même sexe qu’elle, de vivre cette attirance comme anormale, comme « contre-nature », et il n’est dès lors pas difficile de comprendre que dans de nombreux cas cette expérience soit vécue comme une souffrance. A force d’assigner les gens à une position de faiblesse, on finit par produire une fragilité qui est le terreau de toutes sortes de souffrances.

L’origine des souffrances qui affectent tant de personnes homosexuelles ne réside pas, contrairement à ce que vous affirmez, dans leur psychisme ou dans leur « nature », mais dans les attitudes et les propos des personnes qui manient le discours d’une homosexualité anormale, qui hiérarchisent les diverses sexualités, réprouvent tout se qui s’écarte de l’hétérosexualité et souhaitent voir l’homosexualité de leurs enfants guérie ou remise à l’ordre. C’est parce que trop de gens pensent et s’expriment comme vous le faites, que tant d’autres peuvent en souffrir au point que le mal-être lié à l’homosexualité constitue ici et aujourd’hui la première cause de suicides parmi les adolescent-e-s. Ces gens peuvent être des parents, des ami-e-s, des professeur-e-s ou des clercs, et certain-e-s portent un crédit tout particulier aux propos émanant des autorités ecclésiastiques. Votre attitude est criminelle.

Tout en affirmant que l’homosexualité n’est pas une maladie, vous appelez pourtant, sans peur de la contradiction, à la « guérison » des personnes homosexuelles, par la prière ou/et par la psychologie. Ce faisant, vous réitérez et alimentez une idéologie qui justifie depuis plus d’un siècle la persécution des personnes homosexuelles. Leurs souffrances sont selon vous le signe qu’il convient de les guérir. Quant aux souffrances (parfois réelles) des personnes qui peuvent être bouleversées à l’annonce de l’homosexualité d’un-e proche, vous proposez non pas de les guérir, mais de les « honorer » et de les conforter dans leur souhait que cela change : « Dans l’environnement des personnes homosexuelles, les proches le ressentent parfois comme une blessure ou une souffrance. Dès lors, il faut honorer leur désir que ça change. ». Dans votre petit marché de la souffrance humaine, le régime du deux poids, deux mesures semble être de rigueur, puisque les souffrances des un-e-s sont jugées dignes d’être honorées, tandis que celles des autres sont appelées à être corrigées par un rappel à l’ordre des brebis égarées, rappel qui n’est guère susceptible d’engendrer chez ces dernières autre chose qu’un surcroît de souffrances liées à la répression de leur sexualité.

Ce sont ces préjugés – et eux seuls – qui sont à l’origine des souffrances que peuvent vivre certaines personnes homosexuelles.

Là où vous identifiez, chez des proches de personnes homosexuelles, des souffrances méritant d’être « honorées », il convient au contraire de déceler des préjugés homophobes contre lesquels il s’agit de lutter. Or, il faut le rappeler, ce sont ces préjugés – et eux seuls – qui sont à l’origine des souffrances que peuvent vivre certaines personnes homosexuelles. Plutôt que de soutenir les campagnes publiques de sensibilisation contre les idées reçues et les attitudes hostiles envers les personnes homosexuelles, vous prenez le parti des personnes homophobes en les réconfortant dans leurs préjugés et en appelant, ni plus, ni moins, qu’à la guérison de l’homosexualité.

Les dédouanements vertueux de Son Excellence, publiés dans Le Nouvelliste du surlendemain en réponse aux protestations qui n’ont pas manqué de se faire entendre, n’enlèvent rien à la gravité de vos propos, mais ne font qu’y ajouter une mauvaise foi somme toute assez révélatrice de la stratégie rhétorique de l’Eglise en matière de sexualité. Votre ligne de défense consiste en trois arguments principaux, plus irrecevables les uns que les autres :

Premièrement, vous affirmez qu’il ne fallait pas entendre le mot « guérison » au sens médical du terme, mais au sens chrétien. Pourtant, vous n’aviez pas hésité à affirmer que « des guérisons psychologiques existent ». Certes, la psychologie n’est pas un champ médical, mais dans le contexte qui nous intéresse, on voit mal en quoi une psychothérapie ou une cure de prières seraient moins susceptibles d’être violentes pour une personne homosexuelle, comparées par exemple à une tentative de guérison par la psychiatrie.

Jusqu’à nouvel avis, aucun groupe social n’a jamais été stigmatisé en raison d’une particularité commune liée à un certain type de vocalisation jugée trop rauque.

Deuxièmement, dans une analogie du plus bas étage, Son Excellence a cru bon de faire état de sa « voix éraillée » que vous comparez à une « faiblesse de la nature » au même titre que l’homosexualité que vous aviez précédemment caractérisée de la sorte. Vous ajoutez qu’en conséquence, il ne faudrait voir dans cette formulation aucun jugement moral. C’est un comble, puisque tout votre propos est saturé de jugements moraux sur l’homosexualité. De plus, jusqu’à nouvel avis, aucun groupe social n’a jamais été stigmatisé en raison d’une particularité commune liée à un certain type de vocalisation jugée trop rauque. Il est navrant, mais malheureusement nécessaire de rappeler ici que des centaines de milliers de personnes homosexuelles, tout comme des personnes juives en plus grand nombre encore, ainsi que personnes tsiganes, ou handicapées mentales notamment, ont en commun d’avoir été stigmatisées en raison d’une soi-disant « faiblesse » inhérente à leur prétendue « nature » collective. Tout discours fondé sur une « faiblesse de la nature » censée caractériser certains groupes sociaux est un discours d’infériorisation susceptible de justifier des discriminations et des persécutions dont on sait qu’elles ne connaissent pas de limites. Manier un tel discours relève soit de la haine et de la méchanceté, soit de l’irresponsabilité morale.

Troisièmement, vous cherchez à tempérer vos propos scandaleux en précisant qu’ « on ne peut pas réduire une personne à ses actes », et qu’ « il faut faire une distinction entre la personne et ses comportements ». L’homosexualité serait donc condamnable dans les termes les plus durs et les plus blessants, mais les personnes homosexuelles dignes d’un infini respect. Voilà une distinction tout particulièrement perverse, surtout lorsque l’on sait à quel point la sexualité, dans notre société, occupe une place importante et intime dans la définition de l’identité des personnes. En témoigne, à titre d’exemple, le fait que l’insulte « pédé » sert d’abord à qualifier la personne tout entière, avant même que les enfants à qui elle s’adressent ne comprennent à quel type d’actes et de comportements cela est censé se référer. Il faut reconnaître que par cette distinction entre la personne et ses actes, vous êtes tout à fait fidèle à la tradition pluriséculaire de l’église catholique : Quand vos prédécesseurs faisaient brûler des « sodomites », ce n’était pas non plus aux personnes en tant que telles qu’ils s’en prenaient, mais aux péchés de sodomie qu’elles étaient accusées d’avoir commis. La mort ne faisait sans doute qu’accélérer leur cheminement vers Dieu, dont ils avaient eu le malheur de s’écarter momentanément…

Entre les déjà mort-e-s et les débaptisé-e-s, l’Eglise fait son marché honteux et macabre.

Au bûcher, Son Excellence préfère la guérison par la prière, ce qui n’est un progrès que si l’on se place du point de vue de la morale du moindre mal. Dans la crise de croyance et de vocations que traverse aujourd’hui l’Eglise, mieux vaut avoir des fidèles terriens que célestes. C’est d’ailleurs par ce souci très temporel qu’est introduite votre interview dans Le Nouvelliste : Des personnes homosexuelles, tout comme d’autres, ont-elles tendance à déserter l’Eglise et même à demander leur débaptisation ? En réponse, après avoir pris soin d’injurier toutes les personnes homosexuelles, vous prenez non moins soin d’affirmer que les portes de l’Eglise leur sont grandes ouvertes. Il faut reconnaître que c’est une assez bonne stratégie de recrutement, puisque rien ne vaut un fidèle pénitent. Et pour recueillir la pénitence, quoi de plus efficace que de répandre la honte ? Une fille aime et désire une fille ? Un garçon aime et désire un garçon ? Voilà des scènes de la vie ordinaire qui pourraient être simplement banales si ces êtres, trop souvent encore, n’avaient pour penser leur amour que les mots haineux et préfabriqués que vous et tant d’autres tenez inlassablement depuis des décennies, mots qui les privent de la possibilité même de penser ce qui leur arrive en dehors des catégories homophobes que vous vous appliquez à édifier contre vents et marées. Honte de leurs actes, de leurs plaisirs, de leurs désirs : Accueillir celles et ceux qu’on a contribué à faire souffrir, c’est tout bénéfice pour le recruteur, puisque cette manipulation émotionnelle ouvre un cercle vicieux dont il n’est pas simple de sortir. L’injure vise à susciter la honte ; la honte peut produire la faiblesse ; la faiblesse risque d’entraîner la souffrance, parfois la mort ; la souffrance et la mort servent à justifier la faiblesse, et cette justification vient redoubler l’effet de l’injure. Heureusement, cette stratégie échoue de plus en plus souvent et le cercle peine à se refermer sur ses proies. Pendant ce temps, entre les pénitent-e-s du parvis de la cathédrale et les manifestant-e-s de la pride, entre les déjà mort-e-s et les débaptisé-e-s, l’Eglise fait son marché honteux et macabre.

Il est inutile de vous réfugier, comme vous le faites, derrière l’excuse d’un « faux pas de communication » ou de propos qui auraient été « mal interprétés ». Votre discours est parfaitement cohérent, et c’est cette cohérence qu’il faut mettre au jour pour mieux le combattre. En matière d’homophobie, votre attitude est la plus hypocrite qui soit, et à bien des égards ses effets sont plus insidieux et plus sournois que ceux des propos orduriers auxquels nous ont habitué-e-s les tenants de l’extrême-droite valaisanne.

Vos insultes s’inscrivent dans la droite ligne des diatribes des intégristes qui, il y a quatorze ans lors de la première gay pride organisée à Sion, s’étaient vu autoriser une pleine page de publicité du groupe Romandit dans Le Nouvelliste, contre une homosexualité qualifiée de « calamité », de « décomposition des mœurs », de « criminalité », de « péché mortel », etc... Un débat parfois constructif s’en est suivi, mais en choisissant de faire porter celui-ci sur l’homosexualité, plutôt que sur l’homophobie qui est le seul problème à régler, le rédacteur en chef du journal a pu se donner des airs d’ « ouverture » et de « tolérance », tout en se permettant de désigner l’homosexualité comme une « dérive » et une « anormalité » qu’il serait dangereux de reconnaître. Entre temps, ce sont les propos haineux d’un militant des Jeunesses UDC qui ont défrayé la chronique valaisanne et suisse, celui-ci voyant dans l’homosexualité une menace « contre l’équilibre psychique et moral de la jeunesse ». Un rédacteur intégriste du Nouvelliste, incendiaire endossant cette fois-ci le rôle du pompier, avait alors répondu, pensant calmer le jeu, en prétendant que l’indignation suscitée par ces propos relevait simplement du « malentendu », et en appelait, par « charité », à incriminer les comportements et non pas les personnes…

Dans les deux cas, en 2001 et en 2009, tout comme aujourd’hui en 2015, nous avons affaire à la même clôture du débat sur lui-même, au même jeu de ping pong entre discours homophobes : Giroud contre Dayer, Logean contre Pellegrini, et à présent Mgr Lovey contre Mgr Lovey. Non pas qu’il faille vous attribuer un quelconque dédoublement de personnalité, mais à voir la manière dont vous cherchez à vous dédouaner de vos propres affirmations méprisantes, il faut bien constater que votre double discours a pour fonction de faire prendre des vessies pour des lanternes. Apeurer pour ensuite rassurer, et en définitive mieux piéger : c’est la stratégie éculée du bon flic et du mauvais flic. Cette division du travail de police des consciences n’est rien d’autre qu’une version réactualisée de l’alliance du sabre et du goupillon.

Quarante ans après « mon » baptême, et au terme de vingt-cinq années d’athéisme non militant, je me décide donc à exiger ma débaptisation.

Quarante ans après « mon » baptême, et au terme de vingt-cinq années d’athéisme non militant, je me décide donc à exiger ma débaptisation. Si j’y ai certes songé quelques fois auparavant, c’était pour aboutir à la conclusion que l’enjeu n’en valait pas la peine, et que cela aurait risqué de blesser gratuitement des personnes proches qui avaient, à ma naissance, placé en moi certaines attentes et certaines espérances de nature religieuse et morale. Aujourd’hui, c’est précisément pour des raisons politiques et morales qui sont les miennes – et que je sais compatibles avec des valeurs de certaines personnes chrétiennes – que je vous adresse cette lettre. Les propos que vous avez tenus publiquement sont trop graves pour que je m’en accommode. De plus, en tant que représentant de l’Eglise catholique, c’est aussi en mon nom que vous vous êtes cru autorisé à les tenir. Mon nom n’a désormais plus rien à faire dans votre registre.

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