Écologie - Antiindustriel OGM

[Zürich] De la merde à l’EPFZ

Cet article tiré du journal Dissonanz analyse les enjeux de l’action au fumier contre le congrès Eucarpia (génie génétique) et réfute les injonctions au dialogue.

Zürich |

A l’EPFZ (école polytechnique fédérale de Zurich), du 29 août au 1er septembre, un congrès de l’Association Européenne pour l’Amélioration des Plantes EUCARPIA a [eu] lieu. Ce congrès annuel de tous les membres d’Eucarpia était présenté sous la devise suivante : « La sélection végétale, l’art d’amener la science à la vie ». Naturellement le thème qui se cache derrière l’expression anodine « sélection végétale » est assez clair. « La sélection végétale a toujours été considérée comme un art et une science. Le développement de nouveaux outils et le développement technologique rapide de la génomique des plantes, de la bio-informatique et de la phénomique, pour n’en nommer que quelques-uns, a ajouté une dimension nouvelle », lit-on sur la page d’accueil du site web. Il s’agit de génie génétique, de manipulation du vivant à un des niveaux les plus élémentaires que la science a pu atteindre, et d’une des coopérations transfrontalières dans ce domaine scientifique spécialisé. Mais avant tout, Eucarpia se doit d’être un « lien entre la recherche et les entreprises ».
Il n’est alors pas surprenant que ce congrès soit coorganisé par Agroscope, qui gère le champ d’OGM à Affoltern près de Zurich, et soutenu et financé par toute une série d’organisations qui ont un intérêt financier dans les technologies génétiques, au premier rang desquelles on trouve naturellement Syngenta.

A qui profite le dialogue ?

Le lundi matin, environ 300 scientifiques et représentants d’intérêts étaient rassemblés dans le cadre familier de la grande salle de l’EPFZ, quand soudain quelques personnes masquées ont surgi et projeté de la merde de vache, des œufs pourris, de la pisse, du purin et autres matières savoureuses. Elles ont aussi laissé des tags comme par exemple « Merde à la technologie » et ont, dans un premier temps, pu s’échapper. Le congrès a ensuite été interrompu à cause de la puanteur et a dû être déplacé dans une autre salle. On a pu lire deux jours plus tard dans un texte sur internet : « L’action de perturbation ne visait pas le congrès Eucarpia en soi – il aurait pu s’agir de n’importe quel congrès sponsorisé par les multinationales – mais bien davantage les visions du monde capitalistes et technocratiques, le scientisme religieux et les mensonges et mirages qui sont entretenus pour le profit de quelques-uns aux dépens des autres. Quiconque croit vraiment que les chercheurs·euses et les scientifiques qui sont financé·e·s par les grandes entreprises font de la recherche pour un monde plus juste et sans faim est tout simplement myope. » Selon les flics, deux personnes ont été arrêtées après coup avec l’aide de participants au congrès, et ont été ensuite déférés devant le procureur.

« Le tapage et le masquage de visage contredisent fondamentalement l’idée d’un dialogue constructif » dit le président de l’EPFZ Lino Guzzella le lendemain. Et le président d’Eucarpia Beat Boller d’ajouter : « Il existe d’autre possibilités de discuter des avantages et des inconvénients des technologies génétiques. » Ça sonne pourtant différemment quand Jeremy P.E. Spencer, professeur en sciences de l’alimentation et de la nutrition à l’université de Reading, neuroscientifique etc, écrit un peu imprudemment en référence aux perturbateurs·trices : « Animaux ! Il devraient tous être alignés et décapités. De tels idiots devraient être éliminés du pool génétique… au plus vite. » Autant pour le dialogue… Autant pour la vision du monde eugéniste de ce scientifique…
Nous pensons qu’un dialogue constructif sur le génie génétique, quel que soit le nom qu’on lui donne, n’est pas approprié. La discussion sur les avantages et les inconvénients du génie génétique, telle qu’elle est demandée par les scientifiques, sert toujours la poursuite du développement de cette technologie. Les ONG et autres qui s’embarquent dans ce dialogue ne contribuent au final qu’à favoriser l’acceptation de cette dernière.

Ah c’est si neutre…

L’on s’emploie à présenter la recherche et le développement de la technologie comme quelque chose de neutre. Ce n’est pourtant pas le cas. Ceci ne pourrait être plus évident que lors du congrès Eucarpia, où les intérêts sous-jacents sont assez clairs : l’accumulation du capital et l’extension du contrôle. Cependant, même la soi-disant « recherche indépendante », si elle existe, ne peut que demeurer dans la logique du profit et de la domination. L’ensemble de la Science est un complexe qui a pour but l’extension et l’approfondissement du contrôle sur la substance vivante et qui fournit des nouveaux moyens aux puissants pour renforcer leur domination.

Besoin d’un exemple ? Les plantes génétiquement modifiées servent à Syngenta depuis des années à pousser la paysannerie dans une dépendance sans précédent, en lui imposant des semences stériles ou à usage unique. Les paysans affectés sont forcés à racheter chaque année à Syngenta des semences et des produits toxiques, ce qui les mène à se retrouver en faillite et privés de ressources. Ainsi est combattue la « faim dans le monde » qui est utilisée comme raison pour l’utilisation du génie génétique… au moyen d’une famine et d’une dépendance accrue !

La poursuite du développement de la technologie, que ce soit dans le domaine de la génétique, de l’informatique, de l’électronique, des nanotechnologies, de la mécanique, de la bioénergétique… est promue et menée pour sauver le système actuel du cul-de-sac dans lequel il se projette. Il s’élabore une restructuration complète du vivant, foncièrement pour créer un monde qui se réduirait à un microcosme exploitable et contrôlable, dans lequel le hasard se calcule et dont on peut tirer profit.

Pas d’expérimentations scientifiques…

Ce qui est enseigné, recherché et développé dans les universités, et particulièrement dans des universités comme l’EPFZ, est non seulement utile au renforcement du système, mais lui est aussi vital. Spécialisés et isolés, les étudiants et les professeurs travaillent, qui sur des algorithmes, qui dans des laboratoires, qui sur tel ou tel détail. Ils s’adonnent à ces activités créatives, sans consacrer la moindre réflexion à ceux pour qui ou ce pour quoi ils font ça. La capacité de comprendre le monde – et donc leur propre activité en son sein – dans un sens global se perd de plus en plus dans ce secteur.

Nous rejetons tout net la Science, ou du moins ce qui en porte le nom aujourd’hui. Non pas parce que nous refuserions d’essayer de comprendre, d’analyser et de transformer le monde alentour. Mais la Science, qui prend aujourd’hui un rôle similaire à celui que prenait autrefois la religion, est une institution qui sert à la légitimation et au perfectionnement du pouvoir, et tente d’intégrer toute connaissance dans cette logique et de la rendre exploitable. La science est une méthode qui permet un accès au vivant de l’extérieur, pour mieux le contrôler et le manipuler…

Mais nous pensons que la connaissance doit nous permettre d’améliorer la qualité de la vie, de développer l’autonomie individuelle et de créer des relations libres entre individus, ainsi que les conditions nécessaires pour cela. Ceci se heurte à la logique de la Science, qui n’a ni la notion de l’individualité, ni celle de la liberté. Et ceci nous amène en conflit avec le monde de la domination et de l’exploitation, où d’autres contrôlent notre vie et tentent de la calculer et de la rendre calculable.

… mais des expérimentations révolutionnaires

Les expérimentations que nous menons et que nous proposons sont incalculables. Il s’agit d’expérimenter comment les mécanismes et les structures de la domination peuvent être démantelés. Des expérimentations qui ne sont qu’un début, un essai de générer une rupture et d’arracher notre liberté. L’exploration de l’environnement est nécessaire à l’emploi de tout ce qui peut nous amener plus loin dans la lutte contre la domination. Un dialogue constructif n’est pour nous possible qu’avec celles et ceux qui tentent de conquérir la liberté. Mais avec les puissants, les profiteurs, développeurs et défenseurs de l’ordre actuel, il n’y a, pour qui veut décider soi-même de sa vie, qu’un conflit. Quand ils nous invitent à parler des « avantages et inconvénients » de la technologie, il n’y a aucune base de discussion. Car les « avantages et inconvénients » dont ils parlent sont les avantages et inconvénients pour le pouvoir, pour le profit. Et pour évaluer ça, nous n’avons certainement pas envie de les aider.

Nous pensons surtout qu’il fait sens de créer, avec autant d’efforts, avec tout autant de perspicacité et de vigueur, un bouleversement révolutionnaire de la société actuelle. Des expérimentations telles que la perturbation d’un congrès scientifique à l’université, sont certainement une bonne contribution dans ce sens. Car tant que l’on pourra rechercher tranquillement dans ces usines de la connaissance, les puissants auront un pas d’avance. La science, la recherche technologique, est une branche de la société qui peut trop souvent – drapée dans son manteau de neutralité – agir sans être inquiétée. Or le Pouvoir serait pourtant vulnérable, précisément ici, les chercheurs et inventeurs étant pour lui souvent irremplaçables...

P.S.

Texte traduit de la Dissonanz, journal anarchiste suisse-allemand.

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