Editorial
Depuis le printemps 2014, un double grillage barbelé, des détecteurs de mouvement et des caméras de surveillance protègent un champ de l’Agroscope près de Zürich. Les essais en plein champ de plantes OGM ont repris sur le site protégé de Reckenholz, avec des agents de sécurité et des chiens de garde sur place 24h sur 24. Ces deux dernières années, les essais ont porté sur sur du blé et des patates transgéniques et cette année, une demande d’autorisation pour planter des pommiers « cisgéniques » est en cours. Dans le monde entier, les tentatives d’introduction d’OGM ont rencontré de la résistance (des pics-nics anti-OGM aux sabotages publics ou clandestins) et plusieurs pays ont laissé tomber les essais en plein champ. Le moratoire, qui interdit temporairement les cultures commerciales et la vente d’OGM en Suisse mais autorise la recherche, vient d’être prolongé jusqu’en 2021 mais l’introduction des OGM dans l’agriculture suisse se prépare, au nom du sacro-saint Progrès, pour encore plus de domination sur le vivant. Depuis la fin du programme de recherche en 2010 et la prolongation du moratoire, l’opposition s’endort et les nouveaux essais en plein champs ont commencé sans que personne ne proteste. Pourtant il s’agit bien pour le gouvernement de trouver des OGM acceptables pour les paysan·nes et les consommateurices, qui jusqu’ici n’en veulent pas.
Aujourd’hui, les 99 pour cent de ces plantes dont le code génétique a été modifié sont des « plantes à pesticides » c’est-à-dire qu’elles sont soit développées pour être capables d’absorber un pesticide spécifique sans mourir (la graine et le pesticide souvent vendus par la même entreprise...) soit pour produire elles-mêmes un insecticide tout au long de leur vie. Toute plante génétiquement modifiée peut être brevetée pour interdire son utilisation sans autorisation et donc être transformée en une marchandise, une marchandise qui profite uniquement à celleux qui ont les moyens financiers pour le développement technologique de ces plantes. C’est-à-dire que non seulement les OGM profitent aux géants de l’agrochimie mais surtout ils créent et entretiennent une dépendance et donc un rapport de domination sur chaque personne qui cultive. Quand on sait que ces entreprises et les moyens de recherche sont (presque) exclusivement concentrés dans les pays du nord, on comprend vite qu’ici le lien de dépendance suit la logique impérialiste. Depuis 25 ans de recherches dans ce domaine, on nous parle encore de « lutter contre la faim dans le monde » grâce à la recherche scientifique sur les OGM. Dans un monde d’argent et de pouvoir, c’est un dangereux mensonge que de nous faire croire à une recherche neutre et indépendante.
Mais ce que nous voulons montrer c’est que les OGM ne sont qu’un des aspects de la marchandisation du monde, qu’un des aspects d’un monde d’exploitation, de domination et de contrôle total. Les barbelés de Reckenholz sont les mêmes sur lesquels des personnes se tuent en voulant passer les frontières pour arriver en europe. Les caméras de surveillance de Reckenholz sont les mêmes qui surveillent les prisons où les gens sont enfermé·es. Les agents de sécurité de Reckenholz et les flics sont les mêmes qui harcèlent, humilient et frappent quotidiennement les dominé·es. L’idéologie qui nous fait croire que l’agriculture est une affaire d’expert·es biologistes est la même qui nous fait croire que nos pensées sont l’affaire des psy, que l’organisation de la « société » est l’affaire des politicien·nes, que la critique du monde est l’affaire des universitaires. Nous voulons une agriculture autonome et écologique, nous voulons des communautés libres de vivre et de cultiver.
Depuis une année et la publication de la brochure « Le champ du contrôle », une opposition renaît dans ce pays sur des bases clairement anarchistes, parallèlement à quelques manifestations plus ou moins cadrées par les opposant·es institutionnel·les. Avec ce journal nous voulons diffuser des informations théoriques et pratiques sur la lutte contre les OGM et le monde qui va avec, nous voulons faire connaître et tisser des liens entre les différents actes de résistance contre ces technologies de mort, favoriser l’échange, le débat et la critique sur les moyens d’actions et les événements qui ont lieu dans le mouvement. Parce que nous vivons à côté des champs d’essais OGM, des centres universitaires et de recherche, des industries agrochimiques, des société de négoces des matières premières, nous nous sentons concerné·es de près, autant parce que nous sommes directement touché·es que par solidarité avec toutes les vies détruites ailleurs sur la planète. Nous voulons nourrir un mouvement riche de toutes les formes de lutte émancipatrices et de tous les moyens nécessaires contre les OGM et leur monde. Nous voulons une vie et des modes d’action autonomes et indépendants de l’état, des institutions et des expert·es en tout genre parce que nous voulons un monde libéré de toute domination et de toute exploitation, maintenant.