Santé - Soins Santé mentale Thème du mois littérature

Comment meurent les femmes. Anne Boyer et le cancer du sein

Ce mois-ci, Renversé invite la Librairie la Dispersion qui vous propose quelques textes choisis, tirés des livres de son stock, qui parlent des problématiques politiques de la santé mentale, notamment de la façon dont la souffrance des corps pèse sur les esprits, des tactiques de résistances psychologique et de soin et du façonnement de l’individu contemporain par les agents du capitalisme. L’extrait qui suit provient du livre The Undying de Anne Boyer (2019), un mémoire sur le cancer du sein. Les questions que pose Boyer repose sur le personnel pour s’ouvrir sur le structurel : comment le capitalisme s’empare-t-il du discours sur la guérison ? Comment le sexisme assigne-t-il des personnes à un destin médical unique et genré ? Comment la médecine néglige-t-elle les corps à cause d’un regard médical raciste et classiste ?

Ce sont deux histoires parallèles, deux histoires qui se croisent parfois : celles de l’esprit et de ses sciences, et celle des pratiques d’émancipation collective et leurs théories. Ce sont deux des moteurs intellectuels les plus puissants de l’histoire occidentale au 20e siècle – les luttes collectives d’émancipation, de classe, décoloniales, féministes, queer, crip, etc. – et la popularisation de la psychologie. Et leur actualité ne s’est pas tarie. Mais l’alliance de ces deux idées est fructueuse en contradictions, ainsi qu’en tensions potentielles – un jeu d’attirance et de répulsion, d’idéalisme contre matérialisme. Car le mental, c’est ce qui fait de nous des individu.x.es – et c’est donc souvent une arme redoutable contre l’idée de collectif. Et inversement, l’émancipation collective a du mal à se penser sans une libération des esprits à sa hauteur.

La Librairie la Dispersion à Genève vous propose quelques textes choisis, tirés des livres de son stock, qui parlent des problématiques politiques de la santé mentale, notamment de la façon dont la souffrance des corps pèse sur les esprits, des tactiques de résistances psychologique et de soin et du façonnement de l’individu contemporain par les agents du capitalisme.

Dans toute cette matière, nous gravitons autour de la notion de « santé mentale », concept utilisé largement depuis les années 1980 de manière publique et politique pour aborder la question de ce qui traite de l’esprit, du mental, de la psyché ; de son bien-être ou de ses souffrances. Nous explorons tout au long de ce cycle différentes pistes hétérogènes pour se réapproprier, s’approcher ou parfois de s’éloigner de cette définition et questionner l’usage de ces termes.

L’extrait qui suit provient du livre The Undying de Anne Boyer (2019), un mémoire sur le cancer du sein. Les questions que pose Boyer repose sur le personnel pour s’ouvrir sur le structurel : comment le capitalisme s’empare-t-il du discours sur la guérison ? Comment le sexisme assigne-t-il des personnes à un destin médical unique et genré ? Comment la médecine néglige-t-elle les corps à cause d’un regard médical raciste et classiste ? Elle entrecroise son histoire personnelle et les destins de dizaines d’autres femmes qui ont elles aussi pensé cette maladie, sous de multiples angles : politique, économique, social et culturel, et en abordant les souffrances physiques et psychiques non pas de manière dissociée, mais dans un continuum. Cette traduction est faite par nos soins, et réunit, de manière libre, l’introduction du livre et plusieurs extraits. Une présentation des personnes cité.x.e.s dans le texte se trouve à la fin.

L’histoire de la maladie, ce n’est pas l’histoire de la médecine – c’est l’histoire du monde – et l’histoire du corps pourrait bien être l’histoire de ce qui est fait à la plupart d’entre nous, dans l’intérêt de quelques-un.x.e.s.
Anne Boyer, The Undying

Prologue

En 1972, Susan Sontag envisageait de travailler sur un ouvrage qui s’intitulerait “Sur les femmes qui meurent”, ou “Morts de femmes”, ou “Comment meurent les femmes”. Dans son journal, sous la rubrique "matériaux", elle dresse une liste de onze décès, dont celui de Virginia Woolf, de Marie Curie, de Jeanne d’Arc, de Rosa Luxemburg et d’Alice James.[1] Alice James est morte d’un cancer du sein en 1892, à l’âge de quarante-deux ans. Dans son propre journal, James décrit sa tumeur comme "cette horrible substance solide comme du granite dans mon sein".[2] Sontag cite cette description dans La Maladie comme métaphore, le livre qu’elle écrit après avoir suivi un traitement pour son propre cancer du sein, diagnostiqué en 1974 alors qu’elle avait quarante et un ans.[3]

La maladie comme métaphore, c’est le cancer qui n’a rien de personnel (nothing personal). Sontag n’écrit pas "je" et "cancer" dans la même phrase. (...) Les notes du journal de Sontag pendant le traitement du cancer se distinguent par leur petit nombre et leur contenu limité. Ce contenu limité démontre de ce que coûte le cancer du sein à la pensée, principalement à cause des effets secondaires cognitifs graves et durables de la chimiothérapie. En février 1976, en pleine chimiothérapie, Sontag écrit : "j’ai besoin d’une salle de gym mentale". L’article suivant est publié quelques mois plus tard, en juin 1976 : "quand je pourrai écrire des lettres, alors... "[4]

Dans le roman de 1966 de la romancière américaine Jacqueline Susann La Vallée des poupées, un personnage nommé Jennifer, craignant la mastectomie, meurt d’une overdose intentionnelle après avoir été diagnostiquée d’un cancer du sein.[5] "Toute ma vie, dit Jennifer, le mot cancer signifiait la mort, la terreur, quelque chose de si terrible que j’en avais la chair de poule. Et maintenant, je l’ai. Et le plus drôle, c’est que le cancer lui-même ne me fait pas peur, même s’il s’avèrait être une condamnation à mort. C’est juste ce que ça va faire à ma vie." L’écrivaine féministe Charlotte Perkins Gilman, diagnostiquée d’un cancer du sein en 1932, se tue elle aussi : "J’ai préféré le chloroforme au cancer." [6] Jacqueline Susann, diagnostiquée à quarante-quatre ans, meurt d’un cancer du sein en 1974, l’année où Sontag est diagnostiquée.

En 1978, la poétesse Audre Lorde est également diagnostiquée d’un cancer du sein, à l’âge de quarante-quatre ans. Contrairement à Sontag, Lorde utilise les mots "je" et "cancer" ensemble ; elle le fait avec brio dans Journal du cancer, un récit de son diagnostic et de son traitement ainsi qu’un appel à prendre les armes. "Je ne veux pas que ce soit uniquement un compte rendu de deuil. Je ne veux pas que ce soit uniquement un récit de larmes". Pour Lorde, la crise du cancer du sein requiert de "passer en revue avec le soin minutieux du guerrier une arme nouvelle”.[7] Lorde meurt du cancer du sein en 1992.

La romancière britannique Fanny Burney découvre son cancer du sein en 1810. Comme Lorde, elle écrit à la première personne le récit de sa mastectomie.[8] Ses seins lui sont enlevés sans anesthésie. Elle est consciente pendant toute la durée de l’opération :

... pas pendant des jours, pas pendant des semaines, mais pendant des mois, je ne pouvais pas parler de cette terrible affaire sans presque la revivre ! Je ne pouvais pas y penser en toute impunité ! J’étais malade, j’étais confuse à cause de cette seule question – et même maintenant, 9 mois après la fin de l’affaire, j’ai mal à la tête à force de poursuivre ce récit ! ce misérable récit…

"Utiliser des aphorismes", note Sontag dans son journal, dans ses réflexions sur comment écrire sur le cancer lorsqu’elle rédige La Maladie comme métaphore.[9] Le cancer du sein cohabite mal avec le "je" qui pourrait "parler de cette terrible affaire" et livrer "ce misérable récit". Ce "je" est parfois supprimé par le cancer, ou aussi supprimé de manière anticipée par la personne qu’il incarne ; soit par le suicide, soit par une obstination de l’autrice qui empêche de réunir le "je" et le "cancer" dans une même pensée. (...)

La romancière Kathy Acker est diagnostiquée d’un cancer du sein en 1996, à l’âge de quarante-neuf ans. "Je vais raconter cette histoire telle que je la connais", commence "The Gift of Disease", un récit sur le cancer d’une simplicité inhabituelle qu’elle écrit pour The Guardian : "Encore aujourd’hui, c’est étrange pour moi. Je n’ai aucune idée de la raison pour laquelle je raconte cela. Je n’ai jamais été sentimentale. C’est peut-être juste pour dire que c’est arrivé". Acker ne sait pourquoi elle raconte cette histoire et pourtant elle le fait : "En avril de l’année dernière, on m’a diagnostiqué un cancer du sein".[10] Acker en meurt en 1997, dans les dix-huit mois qui suivent le diagnostic.

Bien que le cancer du sein puisse toucher toute personne ayant des tissus mammaires, ce sont les femmes qui font les frais – considérables – de ses désastres. Ces désastres se manifestent, chez les femmes atteintes d’un cancer du sein, par une mort précoce, une mort douloureuse, des traitements mutilants, les effets secondaires invalidants de ces traitements, la perte de partenaires, de revenus et de capacités, mais ces désastres se manifestent également dans le marasme social de la maladie ; sa politique de classe, ses contours genrées et sa répartition racialisée de la mort, ses alternances cycliques entre instructions confuses et violentes impostures.

Peu de maladies ont des effets aussi désastreux pour les femmes que le cancer du sein, et encore moins n’engendrent une souffrance aussi importante. Cette souffrance ne concerne pas seulement la maladie elle-même, mais également ce qui est écrit ou non sur celle-ci, ou si oui ou non il faut écrire sur celle-ci, ou comment. Le cancer du sein est une maladie qui soulève de troublantes questions de forme.

Les problématiques soulevées par ces questions de forme sont souvent concurrentes, revues et corrigées entre elles. Pour Lorde, poétesse féministe lesbienne noire, le silence autour de la maladie est un point d’entrée pour sa politique : "Mon travail consiste à habiter les silences avec lesquels j’ai vécu et à les remplir de moi-même jusqu’à ce qu’ils aient le son du jour le plus brillant et du tonnerre le plus fort".[11] Pour Sontag, romancière et essayiste blanche de classe supérieure, la problématique centrale relève du caractère personnel de la maladie. Comme elle écrit dans une note sous des titres potentiels pour ce qui deviendrait La maladie comme métaphore  : "Ne penser qu’à soi-même, c’est penser à la mort".[12]

Comme quatrième titre pour ce texte jamais écrit, Sontag propose "Les femmes et la mort". Elle affirme : "Les femmes ne meurent pas les unes pour les autres. Il n’y a pas de mort "sororale"”. Mais je pense que Sontag avait tort. Une mort sororale ce ne sont pas des femmes qui meurent les unes pour les autres ; mais qui meurent dans une aliénation parallèle. Une mort sororale, ce serait des femmes qui meurent d’être des femmes. La théoricienne queer Eve Kosofsky Sedgwick, diagnostiquée d’un cancer du sein en 1991, à l’âge de quarante et un ans, écrit sur la façon dont le genre est imposé de façon étonnante, parfois brutale, dans la culture du cancer du sein. Sedgwick, lors de son diagnostic, relate cette pensée : "Merde, maintenant j’imagine que je dois vraiment être une femme."[13] (...) Sedgwick décède d’un cancer du sein en 2009.

Les femmes ne meurent peut-être pas les unes pour les autres, comme le prétend Sontag, mais leur mort du cancer du sein ne se déroule pas sans sacrifices. À l’ère de la “prise de conscience” – une alternative lucrative et enrubannée de rose à la “guérison” – ce qu’on est sensé abandonner pour le bien commun relève moins de sa propre vie que de l’histoire de sa propre vie. Le silence autour du cancer du sein dans lequel Lorde écrivait autrefois est à présent devenu le vacarme de l’extraordinaire production de langage autour du cancer du sein. Aujourd’hui, le défi n’est pas de prendre la parole dans le silence mais d’apprendre à former une résistance au bruit, souvent assourdissant. (...)

J’ai commencé à collectionner des images de Sainte Agathe portant ses seins amputés sur un plateau. Agathe est la sainte patronne du cancer du sein, des incendies, des éruptions volcaniques, des femmes seules, des victimes de torture et viols. Elle est aussi la patronne des tremblements de terre, car lorsqu’elle perdit la vie alors que ses tortionnaires lui amputaient les seins, le sol s’est mis à trembler de vengeance.

Dans le paysage pinkwashé du savoir sur le cancer du sein, une seule catégorie de personne est admise : celle.x.s qui ont survécu. Ces vainqueur.x.euses remportent le butin de la narration. L’histoire qui doit être racontée à propos de son propre cancer du sein est une histoire de “survie” à travers le management personnel néolibéral – c’est le récit d’individu.x.es atomisé.x.es qui font tout juste, qui se sont auto-examiné.x.es et mammographié.x.es ; la maladie guérie par la conformité, des joggings de 5 km, green smoothies bio et pensée positive. Comme Ellen Leopold le souligne dans A Darker Ribbon, la montée du néolibéralisme des années 1990 modifie les conventions narratives du cancer du sein : "Le monde extérieur est pris comme tel, comme une toile de fond sur laquelle se joue un drame personnel "[14].

N’écrire que sur soi-même ne se résume pas à écrire seulement sur la mort. Mais dans les conditions actuelles, ce serait plus précisément comme écrire sur un seul type de mort, ou d’état proche de la mort, qui ne comprendrait aucun aspect politique, aucune action collective, aucune histoire plus générale. L’étiologie industrielle du cancer du sein, les histoires et les pratiques misogynes et racistes de la médecine, l’incroyable machine à profit du capitalisme et la répartition inégale de la souffrance et de la mort du cancer du sein entre les différentes classes sociales sont omis de la forme littéraire désormais courante. N’écrire que sur soi-même pourrait être une façon d’écrire sur la mort, mais écrire sur la mort, c’est écrire sur tout le monde. Comme écrivait Lorde, "je porte sur mon cœur une liste tatouée de noms de femmes qui n’ont pas survécu, et il y a toujours une place pour une de plus, la mienne".[15] (...)

Comme quatrième titre pour ce texte jamais écrit, Sontag propose "Les femmes et la mort". Elle affirme : "Les femmes ne meurent pas les unes pour les autres. Il n’y a pas de mort "sororale"”. Mais je pense que Sontag avait tort. Une mort sororale ce ne sont pas des femmes qui meurent les unes pour les autres ; mais qui meurent dans une aliénation parallèle. Une mort sororale, ce serait des femmes qui meurent d’être des femmes.

Hoax, 3e partie

Le cancer du sein de la romancière Kathy Acker n’aurait très probablement pas pu être guéri par la chimiothérapie, mais elle n’avait aucun moyen de le savoir au moment où elle a refusé ce traitement, en 1996. Ou du moins, elle n’avait aucun moyen rationnel de le savoir. Il semble cependant qu’elle ait eu d’autres formes de savoirs : “Je vis en croyant”, écrit Acker dans “The Gift of Disease”, “que la croyance égale le corps”.[16]

Cependant, certain.x.e.s de ses ami.x.e.s, malgré le manque de preuves, semblent persuadé.x.e.s que sa décision de renoncer à la chimiothérapie fut la cause de son décès. Le fait que Acker ait “voulu” mourir ou qu’elle ait provoqué sa propre mort d’une manière ou d’une autre est l’une des nombreuses contre-vérités qui circule sur le cancer du sein. (...)

Contrairement à ce qu’écrit le Financial Times, Acker n’a pas simplement “refusé la chimiothérapie parce que ses guérisseurs.x.euses alternatifs.x.ves lui assuraient que le cancer avait disparu”.[17] Elle a refusé la chimiothérapie pour un ensemble complexe de raisons, dont la peur de ce traitement, son coût, et la déclaration de son médecin que la chimiothérapie n’augmenterait ses chances de récidive que de 20 %. Si Acker avait accepté une des solutions de chimiothérapie disponibles en 1996, elle aurait presque certainement passé les derniers mois de sa vie avec une variation des symptômes suivants : yeux secs et qui démangent, lésions cutanées, anales, buccales, nez en sang, muscles atrophiés, nerfs en déclin, dents pourries, absence de cheveux et/ou de système immunitaire, cerveau trop endommagé pour écrire, vomissements, perte de mémoire, perte de vocabulaire et fatigue importante. Ce sont les effets secondaires les plus courants, mais il y en a d’autres, notamment les caillots sanguins, l’insuffisance cardiaque et la leucémie chimio-induite – ou encore un risque de pneumonie mortelle et d’infections nosocomiales. Acker aurait très probablement enduré tous ces effets secondaires, ou du moins une partie, tout en supportant les symptômes physiques de son cancer lui-même. (...)

Un cancer comme celui de Acker, qui l’a tuée en dix-huit mois, a sur deux ans un taux similaire de mortalité, que le patient ait subi ou non une chimiothérapie. (...) Il n’y avait pas de remède à l’époque. Il n’y en a pas aujourd’hui. En décidant de vivre selon ses valeurs, Acker a fait de son mieux.

Peut-être que dans le futur, les historien.x.ne.s de la médecine regarderont la chimiothérapie avec la même curiosité perplexe que les nôtres face à des pratiques médicales autrefois courantes comme les saignées – des traitements qui, non seulement empoisonnaient gravement les gens pour tenter de les soigner, mais que, même dans les cas où la chimiothérapie ne fonctionne pas et ne fonctionnera pas et qu’elle entraînera la mort, des dommages et des handicaps, un désir populaire de la subir subsiste pour les patientes atteintes d’un cancer du sein. Lorsqu’il n’est pas motivé par le profit, ce surtraitement semble résulter de la superstition plutôt que de la science, et le désir irrationnel de chimiothérapie n’advient pas seulement pour les proches d’une patiente cancéreuse, comme dans le cas Acker. Il advient parfois chez les patient.x.e.s eux-mêmes. Il y a des patient.x.e.s qui, par peur, par convention, par désinformation ou par pression sociale, subissent une chimiothérapie même dans des circonstances où elle n’a pas d’utilité médicale prouvée ou n’est soutenue par aucun avis scientifique. (...)

Au lieu d’opter pour la mort douloureuse que lui réservait les traitements disponibles, Kathy Acker a fait ce qu’elle avait prévu de faire pour le reste de sa vie après avoir été diagnostiquée : vivre. Le refus peut être source d’isolation ; l’injonction sociale à la conformité médicale, autour d’une maladie genrée comme le cancer du sein, peut être elle brutale. Comme l’écrit Acker : “Beaucoup de mes amis m’ont téléphoné, en pleurant et en me criant dessus parce que je ne faisais pas de chimiothérapie”.[18] Mais malgré le fait qu’à peu près tout dans le monde semble être conçu pour tuer les femmes avant qu’elles ne soient réellement mortes, Kathy Acker a choisis de ne pas la faire. Elle a attendu pour mourir jusqu’à ce que sa fin soit incontestable, et même à ce moment-là – selon les récits de ses ami.x.e.s – elle a essayé, au moins pour la bonne cause, de la contester.[19] Le cancer du sein a tué Kathy Acker. Kathy Acker n’a pas tué Kathy Acker.

Qui est qui (par ordre d’apparition) :

Anne Boyer [née en 1973] : Poétesse et essayiste américaine, elle travaille – depuis qu’elle a été elle-même diagnostiquée d’un cancer du sein en 2014 – sur les politiques du soin à l’ère de la précarité. Ses livres n’ont pas été traduits en français, à l’exception d’un court recueil de poèmes publié par After 8 et actuellement épuisé.

Susan Sontag [1933-2004] : Essayiste, romancière et militante américaine, elle a travaillé sur des sujets aussi variés que la photographie, la critique littéraire, le féminisme, la maladie et notamment le SIDA. Elle s’est fermement élevée contre la guerre au Vietnam et à Sarajevo. Ses ouvrages les plus connus sont La maladie comme métaphore, Contre l’interprétation, Sur la photographie.

Alice James [1948-1892] : Autrice américaine, elle a beaucoup écrit sur la maladie, notamment dans ses journaux qui sont ses textes les plus connus. Sa santé mentale était fragile, elle fut qualifiée d’hystérique. Ses problèmes de santé, dont elle a souffert pendant toute sa vie, ne furent jamais pris au sérieux au-delà de ce diagnostique en vogue à l’époque.

Audre Lorde [1934-1992] : Essayiste et poétesse américaine, militante féministe lesbienne et antiraciste, elle est connue pour ses écrits sur la colère et sur l’identité de femme noire. Une grande partie de ses essais sont paru aux éditions Mamamélis à Genève, comme notamment Journal du cancer, Sister Outsider et Zami.

Jacqueline Susann [1918-1974] : Actrice américaine et autrice de romans à succès, elle est surtout connue en France pour son best-seller La Vallée des poupées, paru chez Belfond en 1984.

Charlotte Perkins Gilman [1960-1935] : Sociologue et autrice américaine, sufragette, elle a autant publié de la sociologie que des romans, des nouvelles et de la poésie. Elle est surtout connue pour les romans Herland et La Séquestrée.

Fanny Burney [1752-1840] : Femme de lettre et romancière anglaise, elle a également écrit des pièces de théatre. Son roman le plus connu est Evelina.

Kathy Acker [1947-1997] : Poète, romancière, artiste et essayiste américaine, féministe pro-sexe, punk, new-yorkaise, son livre le plus connu est sûrement Blood and Guts in High School, en français Sang et stupre au lycée (Éditions du Rocher, 2005). Son oeuvre est toutefois partiellement traduite en français et peu diffusée.

Eve Kosofsky Sedgwick [1950-2009] : Théoricienne féministe américaine, à l’avant-garde de la pensée queer, critique littéraire et culturelle, elle a écrit sur de nombreux sujets, notamment la performativité queer, l’écriture expérimentale, la pédagogie, et la culture matérielle. Son seul livre en français, Épistémologie du placard, est paru en 2008 aux éditions Amsterdam.

Ellen Leopold [née en 1944] : Autrice américaine, elle publie A Darker Ribbon après avoir guéri d’un cancer du sein. Le livre tente de faire le lien entre les multiples ouvrages scientifiques écrits sur la maladie et les témoignages des personnes atteintes du cancer.

P.S.

Notes :
[1] Susan Sontag, Journal, Volume 2, La conscience attelée à la chair, 1964-1980, Bourgeois, 2013.
[2] Alice James et Leon Edel, The Diary of Alice James, Northeastern University Press, 1999.
[3] Susan Sontag, La maladie comme métaphore, Christian Bourgois Editeur, 2009.
[4] Susan Sontag, Journal, Volume 2.
[5] Jacqueline Susann, La vallée des poupées, Belfond, 1984.
[6] Charlotte Perkins Gilman, The Living of Charlotte Perkins Gilman : An Autobiography, Ayer, 1987.
[7] Audre Lorde, Journal du cancer, Mamamélis, 1998.
[8] Fanny Burney, Barbara G. Schrank, and David J. Supino, The Famous Miss Burney : The Diaries and Letters of Fanny Burney, John Day, 1976.
[9] Susan Sontag, Journal, Volume 2.
[10] Kathy Acker. “The Gift of Disease”, The Guardian, 18 janvier 1997, p. 14.
[11] Audre Lorde, Journal du cancer.
[12] Susan Sontag, Journal, Volume 2.
[13] Eve Kosofsky Sedgwick, A Dialogue on Love, Beacon Press, 2006.
[14] Ellen Leopold. A Darker Ribbon : Breast Cancer, Women, and Their Doctors in the Twentieth Century, Beacon Press, 2000.
[15] Audre Lorde, Journal du cancer.
[16] Kathy Acker, “The Gift of Disease”.
[17] Lauren Elkin. “After Kathy Acker by Chris Kraus—Radical Empathy.” Financial Times, 11 août 2017, www.ft.com/content/b4ce8f48-7dc5-11e7-ab01-a13271d1ee9c.
[18] Kathy Acker, “The Gift of Disease”.
[19] Chris Kraus, After Kathy Acker : A Biography, Penguin Books, 2018.

Notes

DANS LA MÊME THÉMATIQUE

À L'ACTUALITÉ

Publiez !

Comment publier sur Renversé?

Renversé est ouvert à la publication. La proposition d'article se fait à travers l’interface privée du site. Si vous rencontrez le moindre problème ou que vous avez des questions, n’hésitez pas à nous le faire savoir
par e-mail: contact@renverse.co