de Keith Rosenthal
Le sit-in de grande ampleur qui dura 26 jours en avril 1977 au siège du département fédéral de la santé, de l’éducation et de la protection sociale (HEW) à San Francisco fut un moment décisif dans l’histoire des Etats-Unis. Non seulement cette lutte pour l’application de la Section 504 du Rehabilitation Act de 1973 conduisit directement à la promulgation de la première pièce d’importance de la législation fédérale contre la discrimination des personnes handicapées - sans laquelle l’Americans with Disabilities Act (ADA) de 1990 n’aurait pas été possible - mais elle marqua également l’avènement du mouvement contemporain de justice pour les personnes handicapées. “Juste après la signature des réglementations 504 de la manière dont nous le souhaitions”, a déclaré Kitty Cone, leadeuse du sit-in, à l’occasion de la déclaration de victoire du groupe le 30 avril 1977, “la chose la plus importante qui est sortie de [cette lutte] est la naissance publique d’un mouvement des personnes handicapées”.
Partout dans le pays, pas seulement les personnes enfermées dans des maisons de convalescence, mais tout le monde dans ce pays a appris que les personnes handicapées ont une force énorme, que nous sommes capables de mener une lutte qui a obtenu des avancées importantes de la part du gouvernement. C’est une grande confiance en nous-me, une grande fierté, que nous nous sommes donnée à nous et aux personnes handicapées de tout le pays. Et nous avons également montré que si l’on mène une lutte vraiment active et que l’on n’abandonne pas, on peut remporter la victoire.
En tant que l’une des principales organisatrices de cette prouesse presque sans précédent, de cette collaboration et de cette stratégie politique qui a permis la victoire de la lutte, Cone était bien consciente de l’importance historique de leur réussite. Avec 120 activistes et militant·es handicapé·es occupant le bâtiment fédéral à l’intérieur, des centaines d’autres se rassemblant régulièrement pour les soutenir à l’extérieur, et des renforts cruciaux d’assistance pratique provenant de divers autres mouvements sociaux - syndicats, activistes LGBT, groupes féministes et organisations pour la justice raciale - la victoire du 504 est un exemple paradigmatique de solidarité entre mouvements, cultures et de collaborations dans la lutte contre l’oppression sociale. Dans cette veine, il convient de souligner, même si cela a déjà été noté et théorisé dans une moindre mesure à l’époque, que la position à l’intersection de la noirceur et du handicap en tant que matrices de la lutte se renforcent mutuellement.
La préhistoire du 504 et la politique de solidarité
Dans les années 1970, San Francisco est un foyer bouillonnant d’agitation radicale et émancipatrice. Le militantisme contre la guerre des États-Unis au Viêt Nam est très répandu sur les campus et parmi les vétérans de guerre ; les étudiant·es handicapé·es du Berkeley College se battent contre les obstacles structurels à leur égalité ; les groupes de libération sexuelle remettent en question des normes et des rôles bien ancrés ; et la lutte de masse pour la liberté des Noir·es - incarnée par les mouvements associés à Martin Luther King, Jr, Malcolm X, Huey Newton et d’autres - bouleverse pratiquement toutes les relations préexistantes de la société américaine.
Voilà le terreau qui a façonné les personnages, la politique et les caractéristiques du mouvement 504. Les liens établis, les leçons apprises et les leaderships construites dans cette agitation sociale générale, ont précédé le sit-in du 504 et se sont finalement avérés indispensables à son succès. Des personnalités comme Cone, qui, grâce à son expérience d’organisation au sein du Socialist Workers Party, avait passé de nombreuses années à participer à des campagnes contre la ségrégation raciale et avait compris l’importance majeure de construire des coalitions et des réseaux de solidarité entre les luttes sociales.
Un autre personnage clé est Donald Galloway, l’un des premiers Noirs à occuper une position de premier plan au sein du mouvement des Independent Living Center (ILC) de Berkeley au milieu des années 1970. Galloway faisait depuis longtemps pression sur le ILC pour qu’il joue un rôle plus actif dans le combat contre le racisme et la vie de la communauté noire. Galloway était parfaitement conscient du fait que le militantisme des personnes handicapées autour de l’ILC avait négligé l’expérience spécifique des personnes handicapées noires de San Francisco et de la région voisine d’Oakland. Cette négligence, selon Galloway, portait préjudice à la fois à l’ILC et à la population noire handicapée qui aurait pu bénéficier des ressources, des discours politiques et des possibilités de militantisme offertes par l’ILC.
Je ne voyais pas beaucoup de personnes noires. Autant que je sache, j’ai été la première personne noire engagée à plein temps au sein du Centre. J’étais le seul Noir, et j’ai commencé à faire venir des Noir·es au centre en tant que chauffeur·euses et accompagnateur·ices. Nous n’étions qu’une poignée à venir, mais nous nous sommes réuni·es et avons décidé que nous devions participer à ce système.
Nous vivions dans une communauté majoritairement noire. Le mouvement était majoritairement blanc. Nous devions tendre la main à la communauté noire d’Oakland, impliquer les Black Panthers et tout autre groupe qui souhaiterait s’impliquer.
Galloway s’est finalement senti frustré dans ses tentatives d’établir des liens manifestes entre le mouvement des personnes handicapées et la population noire locale mais ses efforts n’ont pas été sans effet significatif par la suite. Comme Galloway l’a rappelé plus tard :
Il y avait un homme gravement handicapé dans le Black Panther Party nommé Brad [Lomax], et Brad était notre lien avec les Black Panthers. Nous lui fournissions des soins et un moyen de transport, car nous avions un petit système de transport, une flotte de fourgonnettes qui se rendaient dans la communauté. Ed [Roberts, le directeur de l’ILC] a décidé qu’il voulait que nous nous engagions davantage auprès des Black Panthers et d’Oakland. Nous allions donc à certaines de leurs réunions et expliquions nos programmes. Comme Brad, l’un de leurs membres, avait un handicap grave, nous étions bien acceptés.
Ce lien avec Bradley Lomax et le Black Panther Party (BPP) s’avérera particulièrement déterminant dans la lutte à venir.
La lutte pour la libération des Noir·es et le mouvement
Au moment du sit-in 504, Lomax était membre du BPP depuis près de dix ans. Il l’avait rejoint à la fin des années 1960 à Washington, où il était activement impliqué en tant qu’organisateur. Au milieu des années 1970, Lomax s’est installé à Oakland, où il a pris conscience des formes parallèles d’oppression qu’il subissait en tant que Noir et en tant que personne handicapée. Dans une nécrologie tardive pour la rubrique “Overlooked” du New York Times, Connelly raconte :
À Oakland, Lomax a eu du mal à se déplacer avec le système de transport en commun. Pour monter dans un bus, son frère, Glenn, devait le sortir de son fauteuil roulant, lui faire monter les marches et le placer sur un siège, puis retourner chercher le fauteuil roulant. De telles situations d’humiliation ont poussé Lomax à s’intéresser au sort des personnes handicapées dans un monde qui ne leur rend pas la vie facile.
En peu de temps, Lomax est devenu un participant actif des actions d’organisation communautaire du BPP d’Oakland visant à “servir le peuple”. Cela comprenait, entre autres, la mise en place de nourriture et de cliniques de soins médicaux gratuits pour les habitant·es noir·es pauvres et de la classe ouvrière de la ville. Dans le cadre de ce programme, Lomax a souhaité intégrer des politiques et des services destinés aux personnes handicapées. Il a commencé à travailler avec Ed Roberts et Donald Galloway pour tenter d’intégrer un centre de proximité de l’ILC dans la vie d’Oakland. À son tour, le BPP est devenu plus conscient et plus actif sur les questions relatives à la discrimination à l’encontre des personnes handicapées et des personnes âgées dans le domaine du transport et du logement, qui ont bénéficié d’une couverture accrue dans le journal du parti, The Black Panther.
Plus tard, lorsqu’une coalition a commencé à prendre corps autour du projet d’occuper le bâtiment du HEW pour faire pression à propos de la Section 504, le BPP et Lomax connaissaient déjà bien la nature de la lutte pour la justice pour les personnes handicapées et son imbrication avec l’oppression d’innombrables membres de la communauté noire. Ainsi, Lomax, Chuck Jackson, membre du BPP et accompagnateur de Lomax, Dennis Billups et d’autres activistes noir·es handicapé·es, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du BPP, ont été impliqués dès le début dans la lutte autour de la Section 504.
Le succès du sit-in du 504 doit, sans exagérer, autant à l’implication du BPP et d’autres activistes noir·es qu’à des leaders du mouvement comme Cone et Judy Heumann et à la myriade d’autres mouvements sociaux qui ont apporté leur soutien. À des moments clés, le BPP s’est mobilisé pour empêcher le sit-in de s’effondrer sous la charge de la répression d’État et des attaques contre le mouvement. À un moment donné, au début de l’occupation du bâtiment HEW, la police fédérale a bloqué les entrées pour empêcher l’arrivée d’autres participant·es ; elle a également interdit la livraison de nourriture aux manifestant·es. Corbett O’Toole, l’une des occupantes du HEW, se souvient :
Une des personnes avec nous était un homme noir qui faisait partie des Black Panthers. Il a appelé les Panthères et a dit : “Je participe à cette manifestation.” ... Iels pensaient que tou·tes cell·eux qui contestaient l’emprise du gouvernement fédéral sur leur vie et qui se battaient pour leur autonomie et leurs droits étaient des gens cool. Et iels avaient un ami là-dedans, alors iels sont venus.
Iels tenaient une soupe populaire pour la communauté noire d’East Oakland et iels venaient tous les soirs nous apporter le dîner. Le FBI [qui gardait l’entrée du bâtiment] était du genre : “Mais qu’est-ce que vous faites ?” Iels ont répondu : “Écoutez, nous sommes les Panthères. Vous voulez affamer ces gens, très bien, nous irons dire aux médias que c’est ce que vous faites, et nous nous présenterons avec nos armes à feu pour faire face aux vôtres et nous discuterons de qui parlera à qui pour la nourriture. Sinon, laissez-nous simplement nourrir ces gens et nous ne vous causerons aucun problème” - et c’est en gros ce qu’iels ont fait.
Je pense que l’histoire secrète du sit-in 504 est que nous n’y serions jamais arrivés sans les Black Panthers. Les Black Panthers nous ont donné à manger - iels ont nourri 150 personnes, dont une seule était une Panthère - tous les soirs pendant toute la manifestation. Nous n’aurions jamais survécu sans elles.
En plus de fournir une assistance logistique cruciale et un puissant élan de solidarité morale à la cause des manifestant·es du mouvement 504, le BPP a contribué à faire connaître la lutte, à l’animer et à solliciter le soutien de la communauté. Le journal The Black Panther publiait régulièrement des articles sur l’évolution de la lutte et expliquait les enjeux à ses lecteur·ices. Par exemple, un numéro du journal contenait une interview de Dennis Billups, “un jeune aveugle noir de San Francisco... l’un des participants actifs et enthousiastes de l’occupation en cours des bureaux du HEW par des personnes handicapées et invalides luttant pour leurs droits civils et humains”. L’interview de Billups se lit comme un appel à l’action :
A mes frères et soeurs qui sont noir·es et qui sont handicapé·es : Sortez de là, on a besoin de vous. Venez ici, nous avons besoin de vous. Où que vous soyez, nous avons besoin de vous. Sortez de votre lit, mettez-vous dans votre fauteuil roulant. Prenez vos béquilles et vos cannes. Si vous ne pouvez pas marcher, appelez quelqu’un, parlez-en au téléphone ; si vous ne pouvez pas parler, écrivez ; si vous ne pouvez pas écrire, utilisez le langage des signes . Nous devons faire tout ce que nous pouvons. Nous devons montrer au gouvernement que nous pouvons avoir plus de force qu’il ne pourra jamais en avoir.
Après la signature des réglementations 504 et la déclaration de victoire des manifestant·es du HEW, The Black Panther publia un numéro spécial consacré à la lutte, comprenant des interviews, des analyses et une introduction aux détails juridiques de la section “504” : Civil Rights for the Disabled “. Le titre de la première page criait en lettres capitales :” LES HANDICAPÉ·ES OBTIENNENT LEURS REVENDICATIONS - FIN DE L’OCCUPATION DU H.E.W.". Malgré la relative méconnaissance des cadres d’analyse propres aux luttes handicapées trahies dans le choix des mots, l’article principal présente une évaluation touchante de l’importance de la lutte elle-même, notant qu’en plus de la victoire qu’a été la signature effective des règlements 504 par le secrétaire américain du HEW, il y a également eu
une autre victoire, un triomphe de la volonté humaine, à vrai dire, réalisée ici dans la Bay Area. C’est le type de victoire qui ne peut être mis en évidence par un acte unique. Elle s’est exprimée de nombreuses façons ; par exemple lorsqu’une jeune femme noire s’est approchée de Brad Lomax, un membre du Black Panther Party atteint de sclérose en plaques. et l’a enlacé dans son fauteuil roulant, en disant : “Merci d’être un exemple pour nous tous·tes”.
De manière très concrète, la fin de l’occupation du HEW a été comme la dissolution d’une famille - un adieu à la communauté humaine, bienveillante et très soudée que les manifestant·es handicapé·es et leurs aides formaient entre ell·eux.
Les thèmes importants ont été répétés à maintes reprises lors du rassemblement - “les droits humains”, “l’égalité d’accès”, “la fin de la ségrégation”, “se sentir enfin comme un être humain” - tous résumés par Kitty Cone lorsqu’elle a simplement crié dans le microphone la seule pensée derrière toutes ces émotions souriantes, “NOUS AVONS GAGNE, NOUS AVONS GAGNE, NOUS AVONS GAGNE !”.
Théoriser la noirceur et le handicap
La lutte pour le 504 incarne les possibilités d’une politique concrète de solidarité entre les luttes pour le handicap et la justice raciale. Les implications théoriques incarnées par l’histoire du mouvement 504 continuent de figurer en bonne place dans les idées des chercheur·euses et des militant·es qui s’intéressent aux épistémologies superposées, croisées et sous-estimées des études noires sur le handicap.
S’appuyant sur le travail novateur de Kimberlé Crenshaw, qui a fait progresser la théorisation des formes d’oppression intersectionnelles, Erevelles et Minear ont écrit sur la nécessité contemporaine d’un modèle théorique permettant de comprendre la phénoménologie singulière de l’incarnation simultanée de la noirceur et du handicap. Erevelles et Minear font particulièrement référence au fait que, dans les écoles publiques du pays, les enfants noirs ont tendance à se voir attribuer de manière disproportionnée des diagnostics de handicap médicalisés et sont donc surreprésentés dans les programmes d’éducation spécialisée.
Ce thème apparaît également dans les écrits d’Artiles et de Liasidou. Artiles considère la complexité du discours entourant la “racialisation des handicaps” montrée précédemment, dans laquelle la “double contrainte” de l’oppression raciale héritée et de l’oppression du handicap acquis “aggrave encore les inégalités structurelles que ces groupes ont historiquement endurées”. De son côté, Liasidou affirme que la convergence de la théorie critique de la race et des études sur le handicap offre un cadre cohérent pour comprendre cette “double contrainte” (ou triple, quadruple, etc.). Se référant à Guillaum, Liasidou soutient que “l’identité raciale et l’identité handicapée d’une personne ne peuvent être dissociées, précisément parce que l’expérience du handicap et du racisme ne peuvent être traitées séparément..... [Cette] analyse se concentre sur la critique de la législation anti-discrimination et des politiques d’éducation qui traitent séparément les questions de handicap et de racisme, tout en ignorant les manières dont certaines personnes peuvent faire l’expérience de formes intersectionnelles de traitement inégalitaire et discriminant”.
Une théorie et une pratique fondées sur un modèle à l’intersection des oppressions liées à la race et au handicap permet d’ éclairer les expériences réelles vécues par les personnes qui sont à la fois noires et handicapées et les discriminations qu’elles subissent. En d’autres termes, dans les domaines de l’emploi, de l’éducation et de la société civile, il existe des cas où une personne peut être victime d’oppressions spécifiques parce qu’elle est à la fois noire et handicapée. Imaginez une personne qui postule à un emploi auprès d’un employeur qui nourrit les préjugés sociaux dominants à l’encontre des Noir·es et des personnes handicapées. Si la personne était noire mais pas handicapée, elle pourrait peut-être passer sous le seuil de discrimination de l’employeur et se voir offrir le poste. Il en va de même si la personne est handicapée mais blanche. Toutefois, les préjugés cumulés de l’employeur à l’égard des Noir·es et, séparément, à l’égard des personnes handicapées, peuvent être suffisants pour dépasser le seuil discriminatoire lorsqu’ils sont incarnés par un·e candidat·e à l’emploi qui est à la fois Noir·e et handicapé·e. Par conséquent, la personne qui a subi la discrimination dans ce cas n’est ni la victime d’une discrimination raciale, en tant que telle, ni d’une discrimination fondée sur le handicap, en tant que telle, mais plutôt d’une discrimination spécifiquement raciale et validiste. En d’autres termes, l’emploi ne lui a pas été refusé simplement parce qu’elle est noire ou simplement parce qu’elle est handicapée, mais plutôt parce qu’elle est à la fois noire et handicapée.
Cela rejoint certaines des réflexions de Johnnie Lacy, une femme noire handicapée qui a été poussée à l’activisme politique par les événements du sit-in 504. Lacy, a occupé une position de premier plan au sein du mouvement ILC californien dans les années 1980. Elle raconte qu’elle a commencé à intégrer consciemment ses diverses identités dans un tout multiple dans le contexte de l’événement 504 :
Je crois que les Afro-Américain·es considèrent les personnes handicapées de la même manière que tout le monde - sans valeur, sans intérêt - sans se rendre compte que c’est la même attitude que les autres ont envers les Afro-Américain·es. Cette croyance a pour effet d’annuler l’identité noire qu’iels partagent avec une personne noire handicapée, tant sur le plan social que culturel, car l’expérience du handicap ne nous place pas sur le même plan que si l’on était seulement noir·e et non handicapé·e. En raison de cette perception limitée, je ne pouvais pas, en tant que personne noire handicapée, participer au dialogue intellectuel considéré comme réservé aux Noir·es. En d’autres termes, je pouvais être l’une ou l’autre, mais pas les deux.....
L’une des choses que j’ai apprises est que je ne peux pas me permettre de tomber dans le piège de l’identification par les autres, que je dois développer un sens propre de mon identité personnelle. Et ce sens est très lié à ce que je suis en tant que femme de couleur et en tant que personne handicapée, et j’essaie de penser ensemble ces trois identités.
Conclusion et autres domaines d’étude
Il y a beaucoup à apprendre de l’expérience de la lutte du 504, tant sur le plan théorique que pratique. Les implications analytiques et les domaines d’étude potentiels d’un modèle de l’oppression raciste-validiste sont innombrables. Mollow en fournit un exemple urgent et contemporain dans sa discussion du mouvement Black Lives Matter et des cas de violence policière pour lesquels le mouvement a demandé réparation. Mollow note que dans les cas d’Eric Garner, Barbara Dawson et Tamir Rice (pour n’en citer que quelques-uns), qui ont tous·tes été tué·es par la police, leur mort a été décrite par les défenseur·euses de la police comme une conséquence de leur obésité, de leur asthme ou de leurs problèmes cardiaques. Comme l’a écrit un policier dans un forum en ligne à propos de la mort de Garner, “Arrêtons de trouver des excuses aux comportements criminels parce qu’ils sont noirs. Ce type serait mort en montant des escaliers. C’est son régime alimentaire qui l’a tué”. Nous voyons ici une illustration parfaite de la manière dont le racisme et le handicap sont réunis pour articuler un récit qui tente de rendre la victime responsable de sa propre oppression aux mains d’un agent armé de la répression étatique.
Malgré l’avènement d’une ère prétendument post-raciale dans le sillage de la présidence Obama, et d’une ère post-discrimination du handicap dans le sillage de l’ADA, les fléaux du racisme et du validisme persistent, tout comme celui de l’oppression racialisée du handicap. La capacité des luttes sociales nouvelles et émergentes à provoquer le type de changement fondamental et structurel nécessaire pour véritablement conquérir la justice dans l’Amérique du 21e siècle dépendra désormais de la centralité et de la culture d’un cadre intersectionnel aussi divers, varié et multiple que le sont la société réelle et les oppressions qu’elle s’obstine à reproduire.
Références
Artiles, A. (2013). Untangling the racialization of disabilities : An intersectionality critique across disability models. Du Bois Review : Social Science Research on Race, 10(2), 329-347. https://doi.org/10.1017/S1742058X13000271
Campbell, F. A. K.(2008). Exploring internalized ableism using critical race theory. Disability & Society, 23(2), 151-162. https://doi-org.remote.baruch.cuny.edu/10.1080/09687590701841190
Connelly, E. A. J.(2020, July 8). Overlooked no more : Brad Lomax, a bridge between civil rights movements. New York Times. https://www.nytimes.com/2020/07/08/obituaries/brad-lomax-overlooked.html
Dash, L. (2009, Sept. 24). Interview with Kitty Cone [Interview]. Leon Dash Papers, 1923-87 ; University of Illinois Archives. https://archives.library.illinois.edu/e-records/index.php?dir=University%20Archives/1303023/CD6_KittyCone_9-24-2009
Erevelles, N., & Minear, A. (2013). Unspeakable offenses : Untangling race and disability in discourses of intersectionality. In L.J. Davis (Ed.), The disability studies reader [eBook edition]. (4th ed.). Routledge.
Erkulwater, J. L.(2018). How the nation’s largest minority became white : Race politics and the disability rights movement, 1970–1980. Journal of Policy History 30(3), 367-399. https://www.muse.jhu.edu/article/698511
Handicapped win demands – End H.E.W. Occupation. (1977, May 7). The Black Panther, 1, 6. Retrieved December 12, 2020, from http://www.disabilityhistory.org/BlackPantherParty_504.html
Landes, D. (2000). Political organizer for disability rights, 1970s-1990s, and strategist for section 504 demonstrations, 1977 [Interview with Kitty Cone]. Regional Oral History Office, University of California, Berkeley. https://oac.cdlib.org/ark:/13030/kt1w1001mt/?brand=oac4
Liasidou, A. (2014) The cross-fertilization of critical race theory and Disability Studies : Points of convergence/ divergence and some education policy implications, Disability & Society, 29:5, 724-737, DOI : 10.1080/09687599.2013.844104
Livingstone, J. (2020, July 24). What the Americans with Disabilities Act has to teach today’s protesters. The New Republic. https://newrepublic.com/article/158618/americans-disabilities-act-teach-todays-protesters
Lukin, J. (2013). Disability and blackness. In L.J. Davis (Ed.), The disability studies reader [eBook edition]. (4th ed.). Routledge.
Pelka, F. (2012). What we have done : An oral history of the disability rights movement. University of Massachusetts Press.
Mollow, A. (2017). Unvictimizable : Toward a fat black disability studies. African American Review 50(2), 105-121. doi:10.1353/afa.2017.0016
Schweik, S. (2011). Lomax’s matrix : Disability, solidarity, and the Black power of 504. Disability Studies Quarterly, 31(1). http://dx.doi.org/10.18061/dsq.v31i1.1371