Anticapitalisme gilets jaunes

Foutre Machin - Notes et propositions vulgaires pour en finir

Ci-dessous un texte et une vidéo mêlant analyse du mouvement actuel et appel à se mobiliser massivement pour le rendez-vous du 14 mars à Paris (lien vers le blog dédié en fin d’article).
Cette manifestation suscite actuellement une forte émulation et fait l’objet de plusieurs appels, pages, groupes et vidéos sur facebook.
Comme une invitation au voyage...

Foutre Machin - Notes et propositions vulgaires pour en finir from FM2020 on Vimeo.

Tic, tac, tic, tac : c’est l’histoire d’un ras-le-bol populaire qui balance

Premier mouvement : l’heure de la révolte (quand on plongeait vers l’inconnu)

À partir du 17 novembre 2018, le soulèvement des gilets jaunes a marqué une série de
ruptures au sein des « traditions » de contestation en France :

  • rupture d’avec les formes classiques et leurs initiateurs habituels, tant par les
    lieux choisis pour montrer sa présence (les ronds-points, les parcours non déclarés)
    qu’à travers l’indiscipline revendiquée des interventions, ou le fait d’avoir choisi
    les samedis comme repères hebdomadaires ;
  • rupture dans la composition sociale des contestataires, qui en se disant et se
    comportant comme « apartisans », ont affirmé d’abord un rejet de toute affiliation
    aux organisations politiques (considérées à raison comme n’étant d’aucun secours),
    mais surtout que ce qui les tenait ensemble dépassait de loin ces clivages
    mensongers ;
  • rupture par l’exercice d’un certain art des conséquences, puisqu’il ne
    s’agissait plus d’intervenir pour se mettre en scène, mais bien pour qu’advienne
    sans médiation ce qui était exigé (la justice sociale, la démocratie réelle…) ;
  • rupture, encore, de par les effets produits par ce soulèvement chez les
    gouvernants, qui n’ont pas pu cacher que pour la première fois depuis des années,
    pendant quelques semaines au moins, le pouvoir tremblait sur ses bases.
    Autant de ruptures, un même saut qualitatif. Un tel basculement, tant de vies jetées
    dans la bataille, tant de ténacité, une telle reprise de l’offensive… et d’un coup,
    le retour du connu.

Deuxième mouvement : retour à l’horloge système

Le 5 décembre, c’est donc reparti pour des Bastille-Nation dans toutes les villes de
France, au son des camions syndicaux cacophoniques (modèle « j’en ai une plus grosse
que toi ») qui réduisent les manifestants et manifestantes au silence, des ballons
géants et des calicots sérigraphiés pour montrer qu’on est sympa (plutôt que mal
éduqué et imprévisible), des services d’ordre devant les grands magasins (histoire
de bien rappeler que négocier, c’est le contraire de faire justice soi-même), des
guerres d’influence et des calculs politiciens et complaisants.
Une mécanique bien huilée pour affronter un thème pourtant fort présent dans la
colère des gilets jaunes, sous la forme sans doute trop généraliste (et pour cela
bien moins assimilable par les corporations) d’une demande de partage des richesses.
Les leaders de la CGT reprennent leur figure de tête de la contestation « ferme mais
ouverte au dialogue », ceux de la CFDT celle de « partenaires raisonnables mais qui
ont tout de même des limites » (en l’occurrence, un âge-pivot jeté dans le faux
débat public comme un os à ronger), et les gens… les gens, syndiqués ou non, GJ ou
non, les voilà intégrés à un jeu dont ils ne sont que les pions, à défiler
paisiblement « en espérant que… ». C’en est fini d’exprimer sa colère à la sauvage,
sans limite et sans leader, on redevient civilisé, et on s’en remet à ceux et celles
dont c’est la spécialité. Ou alors on se casse en claquant la porte, on va lécher
ses plaies dans un coin, ou on se fait arrêter en préparant des actions radicales
esseulées.
Écoutons un quelconque normalien se soulager en direct à la radio publique, après 3
semaines d’opposition à la contre-réforme des retraites : « […] cette
mobilisation, au contraire de celle des gilets jaunes l’année dernière, s’inscrit
dans un répertoire de mobilisation assez classique, et au fond c’est assez
rassérénant, parce qu’on voit qu’il y a un gouvernement, il y a un parlement, il y a
des partis d’opposition, il y a des syndicats, il y a des corps intermédiaires qui
jouent leur rôle [...], ce qui forme une grande différence avec ce qu’on a pu voir
l’année dernière.
 » (David Djaïz, journal de 8h de France Culture, le samedi 28
décembre 2019).

La messe semble dite. Elle a juste ajouté quelques cantiques « On-est-là » à son
carnet de chants, en adaptant les paroles à l’occasion ; mais pour le reste,
circulez, il n’y a plus aucun système à renverser.

Troisième mouvement : quand tout recommence à tanguer

Ce même 28 décembre, pourtant, ne fut pas tout à fait un jour comme les autres : ce
fut plutôt un samedi comme les autres, de ceux qu’on avait inventés et
réinventés pendant plus d’un an, dont la tradition menaçait déjà de disparaître.
L’acte 59 des gilets jaunes à Paris n’a certes pas fait la « une » des médias, mais
il fut un beau moment pour affirmer que la « trêve », c’était pour les confiseurs et
les vendeurs de pacotille. Une vraie manif déter, sans direction,
GJ-BB-travailleureuses vénères, qui part dans tous les sens et ne veut pas
s’arrêter.
Et puis le mois de janvier : avec la CFDT et l’UNSA qui rentrent dans le rang après
avoir fait semblant de chouiner, avec les actions de blocage qui se multiplient bien
au-delà du contrôle des « centrales » restantes, avec les groupes de
travailleureuses du public ou du privé qui débrayent en bandes joyeuses, avec celles
et ceux qui ont mis un mois et demi à se réveiller mais entrent enfin dans la danse,
avec les coordinations interpro qui font savoir à leurs pseudo-représentants
qu’elles ne s’en laisseront pas conter, avec les GJ qui reviennent en sentant bien
que le temps de la naïveté est passé, une fois de plus, et que les portes de
l’inconnu pourraient se rouvrir encore…
Des grévistes qui s’étonnent d’être si peu entendus après avoir tant donné. Des
manifestants et manifestantes qui comprennent dans leur chair de quoi on parle
depuis un an quand on dit que les flics et les fliquettes sont en roue libre. Des
membres du Parti au pouvoir qui ne peuvent plus s’exposer nulle part sans être
poursuivis par des hordes d’opposants, dont on ne sait même plus si ce sont des
gilets jaunes sans gilet ou des syndicalistes radicalisés…

Et toujours la menace d’un retour à l’horloge système (auquel les cadres des
pompiers ont malheureusement commencé à rouvrir la voie le 28 janvier) : quand les « 
centrales » décideront que pousser plus loin voudrait dire perdre le contrôle, quand
celles et ceux qu’elles veulent encadrer accepteront de se demander si, au fond, on
n’a pas déjà assez gagné pour cette fois-ci (et assez perdu d’argent), quand celles
et ceux qui sont en train de tout donner auront l’impression d’avoir tout donné…
est-ce que ce sera comme en 2010 ? Ou comme en 68 à Grenelle, avant que tout ne soit
achevé par les élections ?

Jusqu’au bout du mouvement : retrouver les fondamentaux, mettre fin au spectacle

Post-it (ne pas oublier)

Là où la révolte des gilets jaunes s’est rapidement transformée en offensive de fond
pour une vie plus digne (pour une vie plus dingue !?), s’opposer à la
contre-réforme des retraites n’est jamais que le refus d’une régression de plus.
Ça fait quand même une différence.

Saut qualitatif

Les gilets jaunes ont imposé au cœur de l’hiver occidental un retour aux
fondamentaux qui ne peut que rappeler les soulèvements du récent « printemps arabe
 », et qui d’ailleurs a suscité à son tour des échos dans le monde entier ; après
quoi toute contestation qui se contenterait de faire semblant apparaît pour ce
qu’elle est : une mauvaise mise en scène. Le « mouvement des retraites », au grand
dam de ses meneurs, a été sensiblement déterminé par ce « saut qualitatif » qui l’a
précédé.
C’est bien là où se déploie le jeu de balancier esquissé plus haut : entre la
possibilité d’une rupture sérieuse et conséquente d’avec l’ordre des choses
(où « tout le monde veut la chute du régime »), et la mise en scène
spectaculaire et inoffensive de cette rupture pour qu’à la fin rien ne
change.

Synchronisations

  • « Tout le monde sait bien » au fond que la question des retraites est loin d’être
    la seule mesure gouvernementale qui mérite qu’on se soulève, et que c’est toute la
    clique qui se relaie au pouvoir depuis des années qu’il faut dégager. De même que
    tout le monde, hormis quelques abrutis, s’était bien rendu compte que la
    question du carburant n’était pour les gilets jaunes que la goutte d’eau de trop
    dans un océan d’humiliations.
  • Beaucoup de celles et ceux qui ont endossé leurs gilets en 2018 n’avaient eu cure,
    dans les années précédentes, des appels répétés à se mobiliser pour stopper la
    régression sociale ; le mépris et la bien-pensance de gauche leur auront depuis fait
    comprendre ce que c’est que de hurler dans le vide alors qu’on voudrait tellement
    être « tous ensemble ». Beaucoup de ceux et celles qui ont commencé à défiler en
    décembre 2019 n’avaient eu cure, au cours de l’année précédente, des appels répétés
    des gilets jaunes à les rejoindre sur leurs bases inédites ; la collaboration de
    classe et les efforts d’encadrement des centrales auront fait comprendre à un
    certain nombre, depuis bientôt deux mois, combien toute contestation sérieuse du
    pouvoir a besoin de se réinventer, et combien les GJ ont (r)ouvert la voie.
  • De la même manière, les uns comme les autres ont eu l’occasion de constater le « 
    mépris » de nos gouvernants, la réalité incontestable des « violences policières »,
    et le fait que malgré tout cela, les gens refusent de rentrer chez eux et s’étonnent
    de leur propre persévérance.
    Et si on commençait à être synchro ?

Le haut et le bas

Les GJ sont en bas, se foutant de savoir s’ils sont à droite ou à gauche.
Les travailleureuses mobilisées sont à gauche, ou à droite, mais beaucoup ont oublié
qu’ils étaient aussi en bas.
Pour ceux-là comme pour tous les autres, tout doit donc d’abord se passer en bas :
sans quoi rien n’aura lieu que ce qui a lieu en haut.
Le bas, au demeurant, c’est le pouvoir aux assemblées de base – que le reste en
découle, qui sera simplement la vérité du peuple. La « démocratie » mérite peut-être
qu’on croie en elle.

« Pour l’honneur des travailleurs, et pour un monde meilleur… »

Il est tout de même notable qu’un chant au ton aussi suranné, dans le pur style
XIXe, soit devenu un hymne de la révolte au XXIe siècle. Il s’agit alors de se
demander de quels travailleurs parlent les gilets jaunes qui le scandent,
et qui les défend. Les grandes centrales ont donné leur réponse (« c’est pas nous
 »), et les gilets jaunes ont inventé celle dont ils avaient besoin (« personne
d’autres que nous-mêmes »), retrouvant au passage les formes fondamentales de la
solidarité populaire.
Un peu plus d’un an (ou un siècle) plus tard, les organisateurs d’un mouvement au
style autrement suranné (bien qu’ils se refusent encore à l’admettre) étouffent les
conversations des manifestants en diffusant des mensonges à 3 kilos de son : « c’est
dans la rue qu’ça’s’passe » – alors que tout se négocie dans les salons, et qu’ils
veulent la rue inoffensive ; « on lâche rien on lâche rien » – alors qu’en fait « on
 » lâche presque tout, sauf son pré carré…
La fraction des travailleureuses revendiquée par les syndicats majoritaires est
celle qui perdure malgré leurs défaites. Elle existe, mais il faut bien reconnaître
qu’elle ne représente plus vraiment tout le monde – les gilets jaunes, c’est juste
tous les autres.
La question se pose alors de savoir si les uns ou les autres ont vraiment besoin
d’un tel encadrement.

Grève à la crème et tarte générale

La grève générale « à la papa » a donc fait long feu. Dans une société uberisée,
précarisée, éclatée par des années de contre-révolution négociée,
l’imaginaire de l’usine de masse prolétarienne dont la fumée prend la forme d’un
point rageur ne sied plus qu’à quelques secteurs en voie de disparition ; elle a
d’ailleurs bien du mal à retrouver la folie collective des occupations à l’heure où
la grève ne s’exerce plus qu’un ou deux jours par semaine.
Pendant ce temps-là, le peuple des ronds-points s’est occupé d’inventer la « 
perruque » de notre temps : c’est-à-dire un détournement des outils de l’entreprise
au profit des intérêts du peuple, qui ne s’exerce plus seulement dans les usines
mais dès la forme de l’auto-entreprise (devenue dans l’intervalle le déguisement
quasi-obligatoire pour tout précaire). Les gilets jaunes ont ainsi donné le meilleur
de ce qu’ils et elles savaient faire pour apporter de la consistance à leur révolte.
Les travailleurs et travailleuses paupérisées des Zones Artisanales et Commerciales
ont amené palettes et visseuses, utilitaires bondés et savoir-faire
professionnels pour ériger des cabanes du peuple aux quatre coins
du pays. Des électriciens, des serruriers, des assistantes maternelles, des
transporteurs routiers, des restaurateurs et restauratrices, ont aussi donné à la
lutte le meilleur de leur travail dès que le besoin collectif s’en est fait
sentir.
Au reste, c’est aussi une forme de perruque que pratiquent certains des grévistes du
mouvement actuel quand ils détournent les habilitations et compétences liées à leur
emploi, par exemple en coupant l’électricité aux riches pour la donner aux pauvres.

Toutes ces pratiques ne relèvent pas du spectacle de la contestation, de
l’incantation à un « tous ensemble » qui ne s’adresse en fait qu’à une fraction
instrumentalisée de la population, mais d’un mouvement réel qui n’attend
plus après aucune « direction » – ou plutôt qui perce et percole malgré les
tentatives des directions. Il manque encore à cela que les voix parlant de la grève
à la radio cessent de nous « pri[er] de les en excuser » et mettent leur outil de
travail au profit de la lutte et d’un véritable débat public ; que les cheminots se
décident enfin à envoyer chier cadres et dirigeantes pour transporter les foules
jusqu’à Paris (ou dans d’autres centres du pouvoir) en osant parier sur la
solidarité et la victoire qui suivront ; que les « gestionnaires » des caisses de
grève reversent leur dû à toutes celles et ceux qui, syndiquées ou non, mettent
leurs vies en jeu en dehors du cadre d’un mi-temps syndical ; etc. De vraies prises
de risque pour un vrai basculement…
Ce qu’il nous faut, plutôt que des tartes à la crème, c’est une sorte de perruque
généralisée, qui emporte avec elle la réappropriation réelle des outils de travail
et l’arrêt effectif par tous les moyens (y compris la grève lorsque c’est la forme
opérante) de ce monde tel qu’il va, tel qu’il est « en marche ».

Tic, tac (bis)

Pendant ce temps, la planète aussi balance. On ne l’a pas oublié. Mais ceux et
celles qui n’ont pas la chance d’être à l’abri de la misère humaine savent bien
qu’aucune justice climatique n’est possible sans justice sociale (ou que, comme le
dit une sympathique formule, « la planète bleue a besoin de jaune pour rester verte
 »).
Horloge système, horloge planétaire : ce sont les mêmes cadres qu’il faut
exploser pour éviter que tout ne s’effondre sur nous cependant que certains iraient
s’abriter dans quelques quartiers bunkerisés. Un seul et même compte à rebours, qui
a bel et bien commencé.

Pour en finir avec le spectacle

Les gilets jaunes ont exercé une poussée révolutionnaire exceptionnelle sur la
clique macroniste. Celle-ci s’en est réellement trouvée affaiblie : plus personne ne
se bouscule au portillon de la valetaille, le pouvoir a été contraint de se montrer
de plus en plus cru, à tel point qu’il ne reviendra sans doute jamais en arrière.
Le mouvement commencé le 5 décembre, quant à lui, a débuté comme un retour au
conformisme le plus plat, mais quelque chose de ce qui l’a précédé s’y est bientôt
infiltré partout.
Dit autrement, il n’est pas impossible désormais qu’une poussée suffisamment
sérieuse (et non pas mise en scène), du même ordre que celle de 2018,
permette d’en finir vraiment avec Macron et son monde.
Finissons-en donc avec tout ce qui fait ce mauvais spectacle, « municipales » et
autres illusions de changement par les urnes comprises !

Que chacun et chacune considère cette proposition (qui ne sera sans doute pas isolée
dans la séquence actuelle).
Que l’on prépare de quoi bloquer les flux marchands et de quoi s’éloigner des
dangers, de quoi se défendre et de quoi attaquer, de quoi se nourrir et de quoi se
restaurer, de quoi prendre soin de ses proches et de quoi s’enjailler, de quoi se
retrouver et de quoi faire la fête du siècle.

Histoire d’arrêter enfin de se mentir quand on crie depuis des générations : « 
Machin, t’es foutu, le peuple est dans la rue ». Car le temps semble venu d’enfin
foutre Machin.

À toutes celles et ceux qui ne veulent pas
moraliser le système
mais le mettre à terre ;

À celles et ceux qui s’activent sincèrement, depuis des semaines ou plus d’un an
pour en finir avec les mensonges et l’arrogance des puissants
et établir la solidarité et la justice ;

À celles et ceux qui n’ont pas compris les gilets jaunes,
ou n’ont pas cru aux illusions des manifestations encadrées,
mais qui continuent de ronger leur frein en attendant le moment.

Donnons-nous ce moment.
Préparons-nous à mettre vraiment ce monde à l’arrêt.
Ceci est une invitation au voyage.
(et le premier qui monte dans son hélicoptère a perdu)

Depuis une périphérie quelconque de la métropole
globale

Des gilets jaunes du Limousin et quelques complices
Le 31 janvier 2020

Notes

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