Travail Coronavirus

Témoignages de deux agentes d’escale à l’aéroport de Genève

Dans le contexte de la pandémie de Covid-19, Le Silure recueille des témoignages qu’iels publient sur leur site. Retrouvez l’ensemble de ce derniers ainsi qu’un texte introductif dans la section Ressources.

Genève |

Témoignages recueillis dans la deuxième quinzaine du mois de mars 2020, à quelques jours d’intervalle.

Anne : Je travaille à l’aéroport comme agente d’escale dans une entreprise d’assistance au sol pour une compagnie d’aviation. Je travaille au check-in de cette compagnie. Je suis en CDD. J’ai commencé en hiver et mon contrat s’achève ce printemps. Je travaille pour cette entreprise, parce que je ne trouvais pas de boulot à la suite de ma formation. Ce n’est pas là où je me voyais évoluer, mais voilà, c’est le travail que je fais en ce moment.

Caroline : Je travaille comme Anne pour une entreprise d’assistance au sol à l’aéroport de Genève. J’ai un contrat en CDI, mais je suis payée à l’heure.

Menace coronavirus : journal de bord d’une agente d’escale

Caroline : En janvier, on a commencé à parler dans les médias d’une épidémie en Chine. Ce n’était pas très important, c’était lointain. Sauf que pour nous, qui travaillions à l’aéroport avec des vols internationaux, assez rapidement les directions des différentes entreprises actives sur la plateforme aéroportuaire de Genève ont commencé à faire des communications de crise. En disant au départ que le Covid-19, c’était en Chine, qu’il n’y avait pas besoin de s’inquiéter. Par la suite, certaines compagnies ont commencé à se poser la question de l’annulation des connexions avec la Chine, notamment Air France. Mais depuis Genève, sauf erreur, c’est Air China qui opère la liaison directe. Et eux sont partis du principe qu’ils n’annulaient pas leurs vols. A ce moment-là, des agents ont commencé à s’inquiéter et à porter des masques. C’était en janvier. Et quand je parlais de cela en dehors de l’aéroport, aux amis et à la famille, c’était exotique. Plutôt en plaisantant, on me disait que j’étais « la pestiférée ».

Certains collègues travaillant pour Air China portaient des masques, mais ceux travaillant pour d’autres compagnies n’en portaient pas. Les entreprises ont continué à communiquer en disant que ce n’était pas grave, que le virus ne résistait pas sur les passeports, les valises, les surfaces lisses, etc. Alors que fin janvier, les syndicats actifs à l’aéroport avaient dit aux directions et aux collaboratrices et collaborateurs qu’il fallait du matériel de protection. Et qu’en parallèle, l’OMS parlait d’épidémie, appelant à prendre des précautions sanitaires.

Il s’est passé une chose marquante fin janvier, qui est aussi sortie dans la presse : un Britannique ayant transité par l’aéroport de Genève de retour de Singapour s’était rendu en Haute-Savoie. Porteur du virus, il avait contaminé des personnes en Haute-Savoie, puis en Grande-Bretagne en rentrant chez lui. Mais les directions des différentes entreprises de l’aéroport continuaient à dire qu’il n’y avait pas de soucis à se faire ! Pourtant, elles ont admis le fait que cet Anglais, malade du coronavirus, avait transité par l’aéroport de Genève.

En février, les communications étaient encore régulières... mais on parlait toujours du virus « asiatique ». Les syndicats persistaient à demander du matériel pour protéger les travailleuses et les travailleurs. Fin février, je me suis payé un gel hydro-alcoolique parce que, même si, comme tout le monde, je n’y croyais pas complètement et que ce virus restait encore pour moi quelque chose de très lointain, j’ai quand même commencé à m’inquiéter me sachant au contact de beaucoup de personnes… D’ailleurs, même en temps normal, ça me dégoûte de toucher toutes ces affaires, de voir tous ces gens et je me lave souvent les mains. Mais là, je me suis dit qu’on était passé à une étape supérieure.

Fin février, les autorités ont annoncé qu’elles interdisaient les rassemblements de plus de 1000 personnes... À l’aéroport, dans le hall, 1000 personnes on y arrive vite ! Et il y avait juste les recommandations qui avaient été affichées : « ne pas serrer des mains, éternuer dans les coudes,… » Il restait qu’en Suisse il n’y avait que quelques cas isolés. Puis, c’est allé très vite. Début mars, la direction a évoqué la question du chômage partiel. Et paradoxalement, elle ne prenait toujours pas de mesures d’hygiène ni de sécurité !

En parallèle, depuis début mars, des collègues et moi avons développé des techniques pour essayer d’être moins en contact avec les passagers. On essayait d’éviter de toucher tout ce qu’on pouvait. Mais rien n’a été mis en place par la direction. Et je sais que c’est pareil dans différents services et dans différentes entreprises. Chez nous, on avait un peu de gel hydroalcoolique mis à disposition, mais clairement pas assez pour tout le monde.

Dès le mercredi 11 mars, Genève a interdit les réunions de plus de 100 personnes. Pourtant, nous, on n’a vu aucun changement à l’aéroport ! Rien n’a été mis en place. Parfois il y avait des gants à disposition, mais évidemment, pas assez ! Moi, je n’en avais pas.

La direction a discuté du chômage technique avec les partenaires sociaux, mais elle n’a rien communiqué officiellement à tout le personnel. Même si on voyait bien que depuis début mars, plus grand monde ne prenait l’avion. Il y a eu clairement une baisse au niveau de la fréquentation. On se retrouvait à préparer des vols à moitié vides. Cela s’est accentué jusqu’au catastrophique week-end du 14-15 mars. Et ce week-end a été médiatisé parce que le Conseil fédéral venait d’annoncer la fermeture des écoles, l’interdiction des rassemblements, l’obligation de respecter une distance sociale (distance interpersonnelle de 2m), etc. Et à l’aéroport, rien n’était mis en place pour protéger du coronavirus ! Pourtant la direction parlait de chômage partiel. On avait donc d’un côté, le stress économique « ça sent mauvais les gars », de l’autre la conscience de la nécessité de se protéger en travaillant, parce que là ça devenait dangereux partout. Sachant que dans le reste de la ville les gens faisaient vite des courses pour se préparer à un confinement, ce week-end-là à l’aéroport, j’avais l’impression d’être dans un autre monde.

Dès le lundi 16 mars, des mesures sérieuses sont progressivement instaurées. Un peu tard puisque depuis deux semaines, de moins en moins de gens transitaient par l’aéroport et prenaient des vols. Un peu tard aussi puisque le week-end précédent, il y avait eu beaucoup de passagers. Les stations de ski ayant fermé, les gens voulaient rapidement rentrer chez eux. Mais les mesures qui auraient dû être mises en place depuis longtemps ne l’ont été qu’après ce fameux week-end, au fur et à mesure, selon les services et les lieux.

Le 19 mars, le syndicat SSP-section aéroport appelait à la grève si l’aéroport ne fermait pas le lendemain, en tout cas au trafic passagers. Ensuite, ils se sont rétractés en disant que des mesures avaient été mises en place pour préserver la santé des employées et employés sur le lieu de travail. C’est vrai que là, ils avaient finalement mis en place des mesures utiles, mais c’était bien trop tard ! Il y a eu un contrôle au niveau de l’entrée du bâtiment qui a plus ou moins bien marché, on filtrait les entrées et on demandait de voir une carte d’embarquement du jour, pour diminuer le nombre de personnes présentes dans le hall. Il y a eu des marques au sol dans les files. Dans les salles d’attente, un siège sur deux a été condamné.

Le vendredi 20 mars, il y avait des vols vides, maintenant il n’y a presque plus rien. Il reste environ 9 vols par jour et le taux de remplissage est dérisoire. Pourtant il y a toujours des vols et, ce qui est bizarre, même avec Rome. En fait, ça n’a jamais été ni les autorités cantonales ou fédérales, ni la direction de l’aéroport ni les entreprises actives sur sa plateforme qui ont pris la décision d’annuler les vols ou de fermer l’aéroport. Ce sont les compagnies qui ont décidé de diminuer leurs vols. Donc, ce n’est pas ici que se prennent les décisions, mais aux sièges des compagnies. Et ce n’est pas la santé des collaboratrices et collaborateurs ou encore celle des passagères et passagers qui motivent leurs décisions, mais des questions économiques et de fermeture de frontières.

Dans le détail, la réactivité du personnel et des passagers face à la très lente mise en place de mesures de protection

Anne : Ça a pris beaucoup de temps pour que l’aéroport et les compagnies se mobilisent pour mettre en place des mesures de sécurité. Ce qui s’est passé, c’est qu’on n’a eu aucuns gants, ni masques délivrés par notre employeur alors qu’on était en première ligne, en face à face avec la clientèle. A un moment donné, j’ai reçu un message comme quoi il y avait des gants. Je suis allée au bureau le lendemain, mais personne n’avait l’air de savoir s’il y avait eu des gants dans le bureau même, pour vous dire. En tout cas, il n’y en avait plus. Finalement une boite de gants est apparue. Je ne sais même pas qui l’avait amenée. Une collègue ? Du coup une moitié des gens qui travaillaient avec moi en avait, l’autre pas. Parce que les gants, ce sont des frais personnels. Et quand bien même, sur le marché, en pharmacie, on en trouvait déjà plus.

Après, le problème des gants, c’est qu’ils se trouent. Parce qu’on bosse avec des étiquettes, donc ça colle, donc ça se troue, donc tu changes de gants. Par conséquent, il en faut une grande quantité. Quant aux gels désinfectants, c’est aussi un problème. On en a eu, une fois, un petit gel collectif au bureau... Nous amenions nos gels et certaines personnes, leurs propres gants. Au début de cette épidémie, je ne mettais pas de gants et puis à force d’entendre les nouvelles, de voir les consignes, j’ai fini par me dire : « ça ne va plus, il faut que j’en mette ». Je suis allée en chercher à la pharmacie, mais à ce moment-là, il n’y en avait plus. De manière générale dans ce boulot, à la fin de la journée nos mains sont dégueulasses parce qu’on touche tout. C’est comme les caissières et les caissiers. Les emplois où tu touches des papiers, où tu touches ce que d’autres touchent, des documents, des produits, etc. Nous, nos mains, elles ont vite une couche de crasse. En quelques minutes seulement, tu la sens cette couche. Tu ne te touches pas les yeux, ni le nez, ni la bouche. C’est dégueulasse. On a vraiment un rapport direct avec plein de choses.

Le week-end du 14-15 mars, il y avait encore des files d’attente où les gens étaient collés. On ne disait pas aux gens de respecter les distances d’un ou deux mètres. Tout le monde était entassé dans la queue comme d’habitude ! Il n’y avait encore aucunes mesures. Ni plexiglas, ni gants, ni rien du tout ! Il n’y a pas eu de ligne rouge au scotch par terre avant le lundi 16 mars. Et ce n’est qu’au début de la semaine du 16 au 22 mars, qu’ils ont enfin installé des vitres en plexiglas. Des gens parfois s’accoudent sur les guichets, se mettent hyper proches, et toi tu es en-dessous. Donc si tu reçois un postillon ou autre, tu es en ligne de mire.

Caroline : Ce qu’ils ont installé trop tardivement, ce sont les vitres en plexiglas. À l’enregistrement, ils ont fini par les mettre, à l’embarquement même pas. Et le personnel volant a continué à faire les vols jusqu’à très tard, sans protections. Sachant que plusieurs fois, sur certains vols, il y a eu des suspicions de coronavirus, voire des confirmations de cas. Certaines directions disaient que le port du masque n’était pas recommandé.

En travaillant au guichet, je ne me suis pas sentie en sécurité. Je ne suis pas quelqu’un de spécialement angoissé. Mais j’ai pris des dispositions personnelles pour me rassurer. En fait, chacun y est allé de sa petite technique. Un jour, des gants ont été mis à disposition. Mais c’était vraiment pas pratique pour faire notre travail : coller des étiquettes, taper sur un clavier … J’ai continué à me protéger en me lavant très souvent les mains et en ne me touchant pas le visage. J’ai aussi décidé de ne plus toucher de passeports. Je demandais aux passagers de me les montrer et de scanner eux-mêmes leurs cartes d’embarquement. Ça prenait du temps pour que les passagers comprennent. Ce n’est pas venu de la direction, c’est nous qui avons décidé de toucher le moins possible. Fin mars, des gants et des masques ont été mis à disposition. Mais comme moi, des collègues avaient déjà mis en place des tactiques. Par exemple, habituellement, pour procéder à l’embarquement plus vite, pour une question de rentabilité, les collègues scannent tous les passagers et les font attendre dans une zone bien délimitée. Quand l’avion est prêt, les collègues ouvrent la porte et les passagers sont autorisés à entrer dans l’avion. Ce qui fait que les passagers se retrouvaient serrés comme des sardines dans un périmètre très restreint. Et sur ça pareil, il n’y a jamais eu de communication officielle, ce sont les collègues qui ont décidé elles-mêmes de cesser de le faire dès début mars. D’ailleurs pour dire vrai, l’angoisse du virus est d’abord venue des passagers car le personnel continuait à faire comme d’habitude, n’ayant reçu aucune nouvelle réglementation. À ce moment-là des gens disaient : « Vraiment on doit aller attendre là-bas ? ». Même problème avec les bus pour les embarquements et les arrivées. Puis c’est devenu le souci des collaboratrices et collaborateurs qui se sont demandé s’ils pouvaient continuer à entasser des gens dans des bus. Pourtant, selon les directives de la direction et des managers, on devait continuer à opérer comme en temps normal.

« La hiérarchie fait du télétravail depuis un certain temps. »

Caroline : Le directeur de l’aéroport, lui, témoignait depuis son domicile. La hiérarchie fait du télétravail depuis un certain temps. On voit cela dans beaucoup de domaines et de professions liées aux services. Comme la hiérarchie dans les supermarchés. Ils sont bien au chaud chez eux et les caissières sont au supermarché !

À part les emails que notre direction nous transférait à propos des conditions sanitaires, et des communications non officielles, c’est-à-dire des communications sorties dans des articles de presse ou sur les réseaux sociaux, on n’avait pas de nouvelles. Mais par contre on découvrait : le fitness fermé, le bureau des uniformes fermé, le bureau des RH fermé. « Écrivez dorénavant à ces adresses mail, le bureau est FERMÉ. » Et nous, on continuait à travailler car dans certaines professions, impossible de faire du télétravail ! Voilà pourquoi s’impose la nécessité de la fermeture de l’aéroport ou tout du moins de son service passagers !

Volera, volera pas ? Des raisons d’arrêter la machine

Caroline : À partir du lundi 23 mars, certaines compagnies n’opéraient plus de vol, tandis que d’autres en planifiaient encore une dizaine par jour. Et il y a des compagnies qui opèrent encore ! Ils auraient dû faire le choix de s’arrêter bien avant. On a vu dans d’autres pays, des compagnies qui avaient interrompu leur connexion avec la Chine ou avec l’Italie, mais en tout cas à Genève, j’insiste, encore aujourd’hui, des vols partent pour Rome. Ils disent qu’ils font des vols de rapatriement. Et il y a les vols de fret pour les marchandises. Mais ils pourraient fermer la partie passagers. Qui voyage encore entre Genève et Rome aujourd’hui ? Je me demande… Il y a aussi beaucoup de vols entre Genève et Londres. Je ne sais pas ce qui se passe.

Début mars, on avait encore tous les vols habituels. Sauf qu’ils ont pris note qu’il y avait moins de personnes qui partaient en vacances ou se déplaçaient pour le travail, que la fréquentation diminuait. On peut aussi remarquer que cela n’a pas été une décision économique ou sanitaire mais simplement légale : quand les pays ont commencé à fermer leurs frontières, les premiers vols ont été annulés. Les pays de l’Est ont été dans les premiers à fermer leurs frontières, impliquant l’arrêt immédiat des vols. On n’en a pas du tout parlé dans les médias. La première décision qui a provoqué l’annulation de vols, c’est la fermeture des frontières ; ça n’a pas été une décision de la compagnie. Par contre face à la situation italienne, certaines compagnies ont communiqué début mars pour dire qu’à partir de mi-mars, les vols avec l’Italie seraient annulés. Elles ont anticipé un peu. Cela s’est reproduit avec l’Espagne. En revanche, certaines compagnies n’ont jamais invoqué d’arguments sanitaires.

Contrats : ce n’est plus un aéroport, c’est une épicerie...

Caroline : À l’aéroport, très peu de gens travaillent en contrat fixe et ce sont un peu les privilégiés avec un 13e salaire. Mais par rapport au coût de la vie à Genève, ce salaire reste dérisoire. Mes collègues et moi sommes en CDI, mais payés à l’heure. Nous n’avons pas un salaire mensuel établi, mais un salaire qui varie selon les heures qu’on a effectuées. Et il y a une troisième catégorie de salarié.e.s, celle des personnes placées par une boîte temporaire, elles sont les plus mal loties, comme partout.

Anne : Le coronavirus a commencé à se répandre et à faire parler de lui, au moment où les auxiliaires en CDD devaient annoncer leur souhait pour la suite.

La grande majorité des auxiliaires a demandé un CDI. La plupart de mes collègues sont étudiant.e.s. Ils embauchent en décembre, parce qu’il y a beaucoup de passagers qui atterrissent à l’aéroport de Genève pour aller faire du ski. Je fais partie d’une équipe qui vient en renfort, en hiver. Ça s’appelle la période « charter ». Parce qu’il y a des milliers de voyageurs, provenant surtout d’Angleterre, qui viennent skier dans les stations environnantes et qui repartent quelques jours plus tard. Début mars, on n’avait toujours pas de réponse. Ce qui signifiait que si notre contrat n’était pas prolongé, on devait trouver un nouveau travail en peu de temps... La réponse a fini par tomber, disant qu’au vu de la situation, avec le coronavirus, aucun CDI ne serait possible, peut-être quelques CDD. Coup dur pour pas mal de gens ! Il fallait trouver un autre job...

Avec cette crise, on entend beaucoup de choses par rapport à nos droits, mais on a des doutes. Le chômage technique a été accordé aux travailleuses et travailleurs en CDI. Mais nous, les CDD qui terminons au printemps, nous n’avons droit à rien pour l’instant.

Il y a un moment où j’ai beaucoup hésité à me rendre au travail. Je ne voulais pas, en y allant, risquer de contaminer d’autres personnes ensuite. Un dilemme entre santé et argent. Faire le choix de ne pas aller travailler lorsqu’on est payé à l’heure serait revenu à ne pas avoir de salaire. Le bruit qui court en ce moment est qu’en avril, on n’aura presque pas d’heures. Je ne suis pas certaine que le nombre d’heures inscrit sur mon contrat sera respecté. Il n’y a presque plus de vols. Nos horaires nous seront communiqués fin mars pour le mois d’avril, donc quelques jours avant la fin du mois, c’est chaud pour s’organiser ! Nous n’avons pas de protection, de même que les personnes en stage. Il y a une liste de la direction qui indique toutes celles et tous ceux qui ne sont pas concerné.e.s par les mesures de chômage technique.

Caroline : Le chômage technique partiel avait été évoqué tôt mais les communications étaient évasives, c’était flou et ça le reste encore. On se questionne. La première communication semblait assez claire puisque cela disait que les personnes en CDI et payées au mois, recevraient 80 % de leur salaire mensuel. Mais pour les employés en CDI, payés à l’heure effectuée, cela n’était pas précisé ; on a donc écrit à la direction, les syndicats aussi.

Les problèmes inhérents à certains types de contrats ne sont pas nouveaux. L’année passée, on avait déjà fait remonter à la direction ce problème des CDI payés à l’heure. Ce type de contrat peut être établi pour 15 heures, 20 heures ou 24 heures en moyenne par semaine, mais il y a également une petite mention sur nos contrats qui indique « selon le besoin opérationnel ». Et il n’y a aucun minimum d’heures effectuées garanti par le contrat. Ça arrive régulièrement d’avoir très peu d’heures effectuées, par exemple en novembre qui est un mois creux. La convention collective s’arrêtait fin 2019, donc on était justement en renégociation mais la direction ne voulait rien entendre. On leur avait déjà dit que pour les personnes payées à l’heure, ça n’allait pas de ne pas respecter les heures contractuelles. L’année dernière, on avait fait remonter que pour certaines personnes, il manquait des centaines d’heures. Par rapport à leur contrat, cela équivaut à trois ou quatre mois d’heures non payées par année. Le chômage dédommage 80% du salaire. Mais, contrairement à d’autres entreprises, les dirigeants de notre entreprise ont clairement dit qu’ils n’allaient pas compléter les 20 % restant. Par ailleurs, on aurait voulu que les personnes payées à l’heure, le soient par rapport à leurs heures contractuelles. Et mauvaise surprise, la dernière communication de la direction, même si elle n’est pas très claire, donne à comprendre qu’ils vont calculer le pourcentage de travail mensuel sur la moyenne des heures effectuées l’année dernière. C’est injuste ! Parce que les gens qui ont eu plus d’heures l’année dernière seront mieux servis que ceux qui ont déjà été lésés ! Il faut aussi voir qu’une part non négligeable de notre salaire provient du fait que le dimanche, ainsi que les jours où l’on commence très tôt et où l’on finit très tard, on a une majoration de salaire horaire. Cette majoration représente des centaines de francs en plus pour nous chaque mois. Sur ce point, par exemple, ils n’ont jamais communiqué alors que ça change pas mal nos salaires. La grosse question est de savoir si le chômage partiel sera calculé sur nos salaires effectifs avec ces points et majorations ou pas.

Il n’y a pas un grand engagement syndical au sein de notre entreprise. Je pense que cela s’explique par le tournus important, le nombre de contrats à l’heure ou à temps partiel, et par le nombre d’étudiant.e.s recruté.e.s. Et malheureusement, alors qu’on pourrait penser que les étudiant.e.s ont le temps pour la réflexion et l’engagement, ces personnes-là sont moins soucieuses des conditions de travail. Elles/Ils sont chez papa et maman et, au pire, à la fin du mois ils sortiront un peu moins. De toute manière en ce moment, la question ne se pose pas puisqu’elles/ils ne peuvent pas sortir !

Il y a des gens très précaires aussi qui n’osent pas trop s’engager, parce qu’ils sont déjà bien contents d’avoir ce travail et se disent : « Si j’ouvre ma gueule, je risque de perdre mon emploi ». Parmi ces étudiant.e.s et ces personnes précaires, beaucoup ne comprennent pas le système, ne savent pas où consulter leur fiche de paie, ne comprennent pas le système des primes pour les heures du dimanche... Mais là, avec la crise, il y a eu un regain d’intérêt pour les syndicats et leurs propositions.

« Je te raccourcis ton shift » : diminution abusive des horaires de travail

Anne : Début mars, ils ont commencé à envoyer des emails concernant les horaires pour nous enlever la moitié de la journée de travail. On t’annonce ça quelques jours avant. Tu n’es pas payé. Ce n’est pas légal. Ils ont aussi proposé par exemple, qu’au lieu de faire les huit heures prévues, tu n’en fasses plus que quatre ce jour-là et que tes autres heures soient remplacées très tôt un autre jour. Ils te font travailler 4h tôt le matin et 4h tard dans la soirée, avec 5h de pause au milieu ! Plus tard dans le mois, ils ont aussi commencé à appeler le matin ou la veille, j’imagine pour que les gens viennent travailler plus tard que prévu, avec une perte de salaire là aussi : « Oui, en fait, on n’a pas besoin de toi. Est-ce que tu peux venir à 13h30 au lieu de 11h30 ? ». Un collègue a décidé de ne pas répondre et d’y aller pour ne pas perdre ses heures.

Caroline : J’ai eu la chance d’avoir des collègues qui m’ont mis la puce à l’oreille en me racontant ce qui se faisait. Mais le plus fourbe, c’est la manière qu’ils ont utilisée. En temps normal, on nous demande : « Je t’ai rajouté un shift, dis-moi si ok ? » C’est l’habitude. Et tu réponds automatiquement : « Merci d’avoir pensé à moi ». En utilisant le même mode, personne n’a compris qu’en acceptant ainsi, ils acceptaient une diminution d’heures de travail et donc de salaire. Le problème, c’est qu’ils te demandaient ton accord. En fait, personne n’a dit non. Pourtant ces collègues auraient pu refuser. Et maintenant, les personnes qui ont accepté ces réductions d’horaire ne peuvent pas récupérer ces heures parce qu’elles ont « accepté ».

Début mars, ils ont dit : « On va vers une période difficile, posez des congés non payés, récupérez vos heures supplémentaires dans les mois qui viennent » Plein de collègues ont répondu et la direction a dû revenir en arrière, car la loi a changé et ils n’ont plus le droit. C’est juste parce qu’ils ont été obligés par la loi...

Une anecdote cocasse illustre la communication de notre employeur. Depuis le début de la crise, il n’a jamais fait sa propre communication. Notre entreprise n’a jamais écrit quoique ce soit à propos du coronavirus. Il n’a fait que relayer les informations qui avaient été rédigées par Genève Aéroport. Ce qui a récemment donné une communication mythique, puisque dans un email que notre entreprise a simplement transféré à ses employés, il était dit : « voici les dernières mises à jour sanitaires concernant le coronavirus » et « nous avons le plaisir de vous annoncer qu’en ces temps de chômage partiel vous serez payés à 100 % ». Sauf que c’était Genève Aéroport qui écrivait à ses employés ! Notre employeur a transféré cet email à tous ses collaborateurs, alors que cette mesure de dédommagement ne s’applique justement pas à nous.

« Là en gestion de crise, c’est zéro. Mais il faut dire que c’est délirant comme entreprise en temps normal. »

Anne : En temps normal, en tant que CDD, notre pause, on l’a après 5h à 5h30 de travail. Quand tu es programmé pour faire 5h, tu n’as pas de pause. C’est hyper pénible. C’est un travail machinal, à la chaîne, qui ne s’arrête jamais quand tu as un flux de passagers. Un peu comme une caissière ou un caissier. C’est extrêmement pénible comme travail. Tu répètes le même discours pendant 5h sans pause. On ne soulève pas les valises nous-mêmes. Tu as le tapis où le passager pose sa valise. Après avoir contrôlé les documents, tu enregistres la valise et tu mets l’étiquette. Le tapis est toujours au même endroit, donc tu te cambres pour attacher l’étiquette d’un côté plusieurs heures d’affilée. J’ai entendu des collègues se plaindre d’avoir très mal à force de se pencher ainsi du même côté. Et les pauses ne durent que 30 minutes. Même si tu fais 8h d’affilée. En 30 minutes, tu n’as pas le temps de te poser vraiment. Il faut manger, boire, aller aux toilettes, fumer si tu fumes... Ta pause, tu la passes à courir. La salle de pause est loin, donc on n’y va jamais. Ça ne sert à rien de prendre un tupperware pour le faire chauffer au micro-ondes, parce que tu n’as pas le temps. À traverser l’aéroport, on en perd du temps, alors finalement on ne bouffe pas de la nourriture de chez nous et on dépense de l’argent au MacDo ou au Starbucks en haut. C’est tout un circuit interne. C’est du foutage de gueule !

Ils sont stricts sur des conneries. Genre, tu ne peux pas avoir les cheveux longs et détachés. Dès que des cheveux mi-longs touchent les épaules, si le patron débarque, les collègues concernées se prennent une remarque. Donc elles se coupent les cheveux juste au-dessus des épaules ou doivent les attacher. Ça n’a aucun sens parce que quand tu as les cheveux longs et que tu attaches ta queue de cheval, elle tombe aussi de toute façon sur tes épaules… c’est ridicule !

Il y a un système au travail où on t’accorde un point rouge si tu fais des grosses erreurs, et des points verts si tu fais des choses en plus, si tu prends des initiatives en faveur de l’entreprise, par exemple, un accueil exemplaire. On a des consignes pour l’accueil standard : un sourire, un truc, un machin… un merci, un au revoir. Si tu fais plus que ça, avec encore plus de sourires, tu peux avoir un point vert. Mais c’est arbitraire comme système, parce que c’est seulement si un chef passe que ça se voit. Il y a un portail où tu peux aller voir tes points verts et tes points rouges. Je déteste ce système, donc je ne vais jamais vérifier si j’en ai. Je ne veux pas le savoir !

Santé ou argent ? Telle est bien la question

Anne : Je n’ai pas d’économies. Face à la menace du coronavirus, je me suis sentie coincée, sans savoir quoi faire. Ça m’a tellement tendue qu’ils ne prennent pas de mesures de sécurité pour nous protéger. On est scandalisé par ce qui se passe. Pour me décider si je devais continuer à travailler dans ces conditions, j’ai fait un sondage parmi mes potes en leur demandant de répondre à la question : santé ou argent ? Ils disaient : « Santé ! Et on t’aidera, on sera solidaire ! »

« Personne ne devait aller absolument à Pula avant qu’une compagnie lowcost ne propose cette destination »

Caroline : Je pense que les entreprises actives dans l’aviation vont être très impactées par la crise. Et on ne se rend pas encore compte jusqu’à quel point. C’est intéressant parce qu’à court et à moyen terme, ce secteur va devoir se poser des questions. Surtout les compagnies lowcost. Elles ont créé un désir qui n’existait pas avant. Vendre ce désir comme un besoin, celui d’aller passer un week-end entre amis dans telle ou telle ville. Par ces compagnies, j’ai découvert des destinations que je ne connaissais pas. Et personne ne devait aller absolument à Pula avant qu’une compagnie lowcost ne propose cette destination. Et les prix aussi ! Les prix qui sont devenus dérisoires. Quand j’étais petite, on se posait mille fois la question avant de voyager. Alors qu’aujourd’hui, vous pouvez aller à New York pour 500.- Quand j’étais petite, ce n’était pas envisageable d’aller un week-end à Londres en avion.

Pour moi, une entreprise qui en temps normal prend soin de ses collaboratrices et collaborateurs, sera plus attentive en temps de crise aux problèmes de santé publique et aux salaires. Nous, on savait déjà qu’en temps normal, notre entreprise nous traitait bien mal, qu’on était en sous-effectif chronique, qu’au niveau salarial, c’était complètement hallucinant. La crise venue, ça ne fait que confirmer nos craintes. C’est l’illustration de la basse estime qu’ils ont pour nous.

En ce moment, je suis absolument pour que tout ce qui n’est pas nécessaire à la survie de l’humanité soit fermé ! Et l’aviation en fait partie.

Ensuite ma réflexion est plus générale. C’est mon travail, mais je suis assez critique : pourquoi tout à coup c’est la crise du coronavirus qui arrive à arrêter les vols passagers ? Pourquoi toutes les revendications et les cris d’alerte au niveau de l’environnement n’ont pas été entendus ? C’est aberrant ! Même les gens qui appréciaient des week-ends en Espagne toutes les deux semaines, se disent à présent : « Là, il faut peut-être arrêter tous les vols et fermer l’aéroport ». Maintenant tout le monde est tout à coup d’accord. Alors qu’en temps normal, quand des gens disent « il faut réduire le trafic », ils ne sont pas entendus. Que ce soit les habitants de Vernier ou de Cointrin qui souffrent du bruit et de la pollution ou Extinction Rébellion qui fait des sit-in, personne ne les écoute… Je pense que la majeure partie de l’opinion publique est assez d’accord pour dire qu’une partie non-négligeable du trafic passagers dans l’aviation n’est pas nécessaire. Mais il n’y a qu’aujourd’hui que ça saute aux yeux !

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