Antifascisme Extrême-droite

L’extrême-droite suisse selon Claude Cantini

Interview de Claude Cantini, parue dans l’Affranchi n°10 au printemps 1995, au sujet de son livre Les Ultras, Extrême droite et droite extrême en Suisse : les mouvements et la presse de 1921 à 1991.

Suisse |

Afin de mieux connaître l’extrême-droite de ce pays, nous avons demandé à Claude Cantini, auteur de plusieurs livres sur le sujet, de répondre à un certain nombre de nos questions.

  • Dans ton livre « Les ultras » tu distingues les organisations réactionnaires, les groupements antidémocratiques et les mouvements clairement fascistes. Peux-tu brièvement expliquer où se situent les différences ? S’agit-il de divergences idéologiques ou est-ce avant tout les moyens d’action qui diffèrent ?
  • Le fascisme ne tombe pas du ciel, il est le résultat de l’évolution d’une mouvance réactionnaire et nationaliste. En ce qui me concerne, j’aime affirmer que tout nationalisme est un fascisme en puissance, même si les politologues puristes trouvent cette affirmation par trop péremptoire.

Au niveau du système démocratique, il est clair aussi que le rapport de forces grippe toujours plus son fonctionnement : à cause surtout de l’intervention lourde de groupes de pression (économiques et politiques) qui disposent des moyens nécessaires pour « former » l’opinion publique, selon leurs intérêts. C’est le premier échelon : celui que le professeur Erich Gruner appelle « démocratie réduite ». Le deuxième échelon, caractérisé par la « démocratie autoritaire », est représenté par toute une série de mouvements politiques qui ont comme dénominateur commun — nonobstant les adjectifs trompeurs dont ils s’affublent — l’antidémocratisme. La gamme idéologique de ces mouvements est suffisamment large pour nous autoriser à parler, pour certains d’entre-eux du moins, de groupements à la limite du fascisme.

Un esprit réactionnaire de base unit toutes les nuances de l’extrême-droite. A partir de quoi, par un effet de synergie, elles jouent les unes par rapport aux autres le rôle de courroies de transmission, provoquant ainsi, tout naturellement, une escalade idéologique, plus ou moins rapide suivant les circonstances sociales, qui mène vers l’extrême-droite musclée : c’est l’échelon terminal. De la pensée à l’action en quelque sorte : d’où la responsabilité écrasante (trop souvent niée, sous le prétexte de légitimes positions théoriques) d’une certaine catégorie d’intellectuels. C’est dans ce sens que Roger Francillon a écrit récemment (à propos de Gonzague de Reynold) : « L’opposition entre dictature totalitaire et droite autoritaire est certes justifiée, mais on peut se demander si, une fois le doigt mis dans l’engrenage de l’autoritarisme, la tentation totalitaire ne suit pas forcément ».

  • Tu montres aussi qu’il y a de nombreux liens entre certains groupes « ultras » et les partis gouvernementaux de droite. Pourrais-tu rappeler la nature de ces liens ? Comment les expliquer ?
  • Étant donné que les partis gouvernementaux de droite sont par excellence le relais parlementaire des intérêts signalés plus haut, il me semble tout à fait normal que des liens personnels se développent entre partis bourgeois traditionnels et groupes plus ou moins extrémistes. Du reste, chaque parti de droite a sa frange « ultra » qui permet de faire aisément le joint : les exemples fournis par une Geneviève Aubry (radicale), par un Christoph Blocher (démocrate du centre), par une Suzette Sandoz (libérale) et par un René Berthod (démocrate-chrétien) ne sont pas uniques. En ce qui concerne les mouvements « à la limite », l’exemple de la Ligue vaudoise est aussi significatif : elle a représenté la première école idéologique de plusieurs frontistes des années 30 et 40.

Du reste, toute l’histoire politique le prouve, si une partie de la troupe des mouvements philofascistes et philonazis a été fournie par des sous-prolétaires et autres travailleurs en crise, le gros et surtout les cadres moyens et supérieurs provenaient presque sans exception des partis de droite ; vers lesquels, ces nationalistes fiévreux sont souvent retournés après l’échec de leurs tentatives totalitaires. En Suisse romande, le parti libéral a été particulièrement entraîné dans ce va et vient idéologique, comme dans certains cantons, le parti catholique-conservateur, devenu démocrate-chrétien.

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