Anticapitalisme

[Suisse] A propos de la lutte anti-WEF

Un article récemment publié sur Renversé posait des questions nécessaires sur la pertinence des manifestations et des contre-sommets. Il critiquait en particulier l’adaptation des camarades au calendrier fixé par le pouvoir et que d’autres moyens de contestation devaient être privilégiés pour “attaquer la domination”. Le texte qui suit est une réponse publiée par le collectif autonome D qui revient sur l’histoire des contre-sommets en Suisse.

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Cette année encore, une manifestation anti-WEF a eu lieu le 14 janvier 2017 à Berne. C’est l’occasion de se poser quelques questions sur les pratiques révolutionnaires en Suisse car la lutte contre le WEF et plus généralement les contre-sommets ont été des mouvements de contestation incontournables pendant les années 2000. Aujourd’hui, il semble qu’en Allemagne cette pratique se perpétue avec beaucoup d’entrain. En 2015, 20’000 personnes s’étaient rassemblées à Francfort contre l’inauguration de la nouvelle banque centrale européenne et en juin 2017 une grande mobilisation aura lieu à Hambourg contre le sommet du G20, contrairement à la Suisse où depuis plusieurs années l’opposition au WEF peine à se mobiliser de manière conséquente. En Suisse romande, la manifestation anti-OMC de 2009 semble avoir marqué la fin des mobilisations de ce type. Et en Suisse allemande, différentes manifestations anti-WEF ont eu lieu ces dernières années avec une participation souvent décevante et une présence policière considérable. La lutte contre le WEF fut pendant une dizaine d’années un point de cristallisation des mouvements contestataires suisses. Il ne fait pour nous aucun doute que de telles mobilisations revêtent une certaine importance symbolique et qu’il s’agit aujourd’hui de les construire. Est-il encore possible que la WEF soit un de ces points de cristallisation à l’aube des années 2020 ?

Le WEF

L’histoire de la lutte anti-WEF n’a pas été écrite en français. Pour résumer, au début des années 2000, pendant les grandes années de l’altermondialisme, un mouvement se développe en Suisse et dans différents pays du “Sud” contre le WEF. La première année une manifestation se déroule à Davos puis, pour des raisons de sécurité, les manifestant-es n’ont plus accès à Davos et se retrouvent relégué-es d’abord à Coire en 2004. Dans le trajet du retour, plus de mille personnes se retrouvent bloquées dans la bourgade de Landquart et passent plusieurs heures dans la neige lors d’un contrôle d’identité massif. Depuis, les manifestation ont lieu dans d’autres villes suisses comme Genève ou Berne. Elles se heurtent souvent à la répression. Les grandes coordinations politiques qui organisaient les déplacements à Davos au début 2000 n’existent plus. La plupart ont quitté ce terrain-là et se concentrent désormais sur l’organisation du forum “L’autre Davos” ou des semaines de présentations. L’État et le WEF ont mis en place une stratégie d’intégration/destruction en donnant la parole aux ONG, en leur permettant de faire des petites actions à Davos et en leur promettant des temps de parole dans les médias, pour pouvoir ensuite mieux réprimer les voix plus radicales et donc non intégrées à cette supercherie médiatique.

De la stratégie

Un article récemment publié sur Renversé posait des questions nécessaires sur la pertinence des manifestations et des contre-sommets. Il critiquait en particulier l’adaptation des camarades au calendrier fixé par le pouvoir et que d’autres moyens de contestation devaient être privilégiés pour "attaquer la domination". Il est vrai que le capitalisme se trouve partout, qu’il doit et peut être combattu partout. Des luttes doivent être menées localement et quotidiennement. Mais si nous voulons construire une force révolutionnaire en Suisse, elle ne pourra être juste l’addition d’actions directes diffuses et éparses. La société est traversée de toutes parts de rapports de domination et s’il ne s’agit pas pour nous de hiérarchiser ces différents rapports, il s’agit d’avoir la capacité d’analyser les situations pour comprendre où nous pouvons être utiles, comprendre où une recomposition [1] est possible. Les actes de sabotage peuvent avoir d’excellents effets sur la détermination d’un mouvement, ou être des pétards mouillés. Là encore, c’est le contexte social dans son ensemble qui est déterminant, et le rôle qui revient aux camarades pourrait être celui de participer à la construction de mouvements sociaux d’ampleur où une reconnaissance du sabotage comme pratique légitime serait possible. L’exemple de la place des destructions de pylônes électriques de "Do it yourself 007" dans la lutte antinucléaire suisse des années 1970 et 1980 est là pour l’attester. Dans cette réflexion il ne suffit pas d’attaquer toujours et partout, mais par exemple, comme le disait un texte traduit de l’espagnol, de développer « une pratique du sabotage guidée par des considérations stratégiques, elles-mêmes liées à des intérêts collectifs, une pratique qui n’aurait pas forcément besoin qu’existent a priori des mouvements sociaux, mais qui serait en tout cas attentive à leur apparition et respectueuse de leur déroulement. »

Mais que se passe-t-il ?

À Genève et plus généralement en Suisse, la lutte contre les élites du capitalisme globalisé pourrait avoir du sens. En effet, nombre de personnes sont dégoûtées par les banques qu’elles voient tous les jours ainsi que par le défilé d’ordures qui peuplent les grands hôtels et les organisations internationales. Seulement, suite au déclin du mouvement anti-globalisation international il n’est pas certain que beaucoup de monde descendrait encore dans la rue pour ça. Pourtant les gens manifestent, que ce soit en solidarité avec les personnes en exil, contre l’austérité, pour des lieux de fêtes abordables, pour des meilleures conditions de travail, contre le racisme de la police. Ce ne sont peut-être pas les luttes qui peuplent notre imaginaire révolutionnaire. Mais si nous voulons qu’une recomposition ait lieu, nous devons comprendre les préoccupations d’autres groupes sociaux que nous. Car si nous ne faisons que projeter notre propre imaginaire dans la rue, qu’il soit marxiste ou anarchiste, peu de personnes seront à même de s’emparer immédiatement de nos propositions révolutionnaires. Si nous voulons construire des moments de contestations massifs à l’échelle de la Suisse nous devons avoir une compréhension détaillée du mécontentement de ceux et celles avec qui nous voulons descendre dans la rue. Essayer de comprendre sur quel terrain nous arriverons à être nombreux-ses et déterminé-es pour reconstruire une contestation globale conséquente en Suisse, tel est le défi pour les années qui viennent.

Collectif Autonome D

Notes

[1Recomposition : Dans un mouvement, ce terme désigne le moment où chacune des composantes ne lutte plus pour la simple défense de ses propres intérêts, mais pour un intérêt commun qui va au-delà de ses revendications de base.

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