Écologie - Antiindustriel Manifestation

Au delà des manifestations

Face aux répressions dans les manifestations ou aux injustices commises par certains fonctionnaires de police, l’autodéfense peut être considérée comme nécessaire et légitime.

Pour autant, il est important d’utiliser la force avec le plus de sagesse possible, pour qu’elle n’engendre pas de nouveaux problèmes, mais aussi de ne l’utiliser que dans des contextes où il est pertinent et stratégique de la déployer. C’est principalement sur ce dernier point que nous souhaiterions revenir.

NB : Cet article est écrit initialement pour le contexte français, ce qui explique les références récurrentes à la violence policière.

L’impasse des manifestations comme tactique offensive ultime

On ressent une impasse. La manifestation est considérée par beaucoup de militant.e.s comme la méthode ultime pour faire advenir des changements profonds. Cependant, elles deviennent de plus en plus des champs de bataille où forces de l’ordre et manifestant.e.s s’affrontent violemment, pendant que les dirigeant.es regardent et soutiennent la violence disproportionnée que peuvent déchaîner les forces de l’ordre. (Forcément, les forces de l’ordre maintiennent l’ordre par lequel ils et elles sont au pouvoir)

Les conséquences liées aux conflits physiques en manifestation

En général, lorsqu’on choisit une stratégie, on la pense de telle sorte à atteindre un objectif tout en limitant ses propres pertes. Force est de constater que les pertes en manifestations sont tout sauf limitées.

Dans un contexte de conflit social, il faut savoir se protéger en évitant de donner au système des opportunités pour causer des dommages sérieux au mouvement social. Or les manifestations sont un contexte forçant les manifestant.e.s à s’exposer et se rendre vulnérables, désarmé.e.s, encadré.e.s, maîtrisé.e.s et traqué.e.s par l’institution policière. Et cette dernière dispose de bien plus de moyens et d’avantages que les manifestant.e.s n’en ont dans les manifestations.

Le simple conflit avec les forces de l’ordre entraine en soi des conséquences déplorables pour les personnes présentes lors des manifestations. Les moyens attribués pour la répression violente rendentle rapport de force beaucoup trop asymétrique et entraînent de nombreuses blessures physiques et/ou psychologiques chez les personnes qui manifestent.

Ne soyons pas naïfs, insulter, huer ou lancer des projectiles aux forces de l’ordre ne renverse en rien le rapport de force. Cela décuple simplement leur colère et renforce leur détermination à combattre les personnes qui manifestent, au point de se défouler quand elles en auront l’occasion.

On ne peut pas combattre des personnes en furie par la force, à moins d’en avoir une supérieure, ce qui est rarement le cas dans les manifestations.

Des entrainements pour le maintien de l’ordre

En plus des bilans humains catastrophiques pour les manifestant.e.s (blessures, mutilations, mort, privation de liberté, stress post-traumatique…), les affrontements dans les contextes de manifestation permettent à l’institution policière de mettre en pratique et d’améliorer ses théories et tactiques du « maintien de l’ordre » et le matériel attribué pour ces missions.

Elle augmente ainsi les budgets alloués tout en durcissant la réglementation. Le système se comporte en fait comme un organisme, son système immunitaire — l’institution policière — s’adapte au fur et à mesure des attaques qui ne le tuent pas.

Toute attaque qui ne cause pas des dommages sérieux au système au point de l’empêcher de s’adapter le rend plus fort, et donc nous éloigne collectivement des chances de réussite !

Les impacts limités des manifestations

On pourrait argumenter que de grandes pertes lors d’une action sont acceptables quand les objectifs atteints sont grands. C’est précisément ce point que nous discutons

Même si elles permettent de montrer la force d’un mouvement, de se réunir, se retrouver, échanger, et peuvent inciter davantage de monde à le rejoindre tout en faisant passer divers messages à la population, aux forces de l’ordre et aux dirigeants, les manifestations ne causent pas franchement de dommages sérieux au système, du moins dans sa structure. Les dirigeants connaissent et maîtrisent trop bien ce terrain.

Le seul point faible vraiment atteignable lors d’une manifestation est l’image du gouvernement et toutes les valeurs du système en portant un message qui lui nuise et soit relayé massivement ou en montrant au grand jour ses côtés les plus malveillants pour créer de l’indignation, et donc mobiliser.

Nous ne nions pas l’importance de la diffusion d’un tel message, les manifestations doivent faire partie de l’arsenal des moyens d’action des écologistes. Ce que nous remettons en question, c’est la tentation (compréhensible) de transformer la manifestation en champ de bataille. Ce sera une bataille systématiquement perdue.

Si, d’un point de vue stratégique, la manifestation a un intérêt existant, mais limité, pourquoi est elle la méthode quasi systématiquement utilisée ?

Nous pensons que cela est dû à un imaginaire erroné de la lutte sociale, où la manifestation, et les actions de masse en général, aurait un rôle absolument central

Le mouvement de masse, seule méthode à disposition ?

Une idée largement répandue est que tout mouvement social s’initie avec une masse de population organisée, et que seul un mouvement social initié par des millions de personnes pourrait apporter des changements importants.

Un exemple emblématique de cette croyance est une étude reprise à tour de bras, notamment par le mouvement Extinction Rebellion. Celle-ci argumente que si 3,5 % de la population se mobilise de manière non violente, elle parvient à ses fins.

L’étude en question utilise une méthodologie plus que douteuse. Les biais de l’étude sont frappants : que ce soit dans la sélection des événements historiques étudiés, leur qualification de violents ou non-violents, et la détermination de leur succès ou échec, l’ensemble de l’étude est bancale. Cela ne devrait pas nous surprendre : les orientations idéologiques des personnes qui ont mené l’étude ont fortement orienté leurs conclusions. C’est plutôt la croyance aveugle en l’action de masse non violente qui explique les résultats de l’étude que les faits historiques. Une étude approfondie de ceux-ci montre que les mouvements sociaux « réussis » utilisent une grande diversité d’action, de masse et de groupuscules, violente et non violente, et s’adaptent toujours au contexte.

Pour un archipel d’action

Le fait de compter sur une manifestation massive et décisive qui renverserait le pouvoir central — bien qu’elle puisse remplir des objectifs cités plus haut — est un pari très hasardeux. D’autant que cela pourrait entraîner des conséquences encore plus désastreuses si les territoires ne sont pas prêts à s’autogérer.

L’importance de la diversité des actions

De notre part, nous pensons qu’il est malvenu de compter sur une mobilisation massive au regard de la propagande d’état, médiatique et culturelle. Lorsque même « une marche pour le climat » en famille se termine en bain de lacrymogène, nous pensons qu’il est raisonnable de penser que de nombreuses personnes ne souhaiteront pas manifester leur opposition au risque de rencontrer une répression extrêmement violente des forces de l’ordre. Bref, au vu de la propagande et la campagne de terreur organisées par le gouvernement et les classes dirigeantes, il est très hasardeux de miser sur des tactiques demandant des milliers voire des millions de personnes pour réussir.

Bien sûr, il faut du nombre, mais le nombre seul ne fait pas la différence sans une diversité de tactiques. Il faut des actions pour sensibiliser, informer, politiser pour aller vers la radicalité. Il faut des manifestations, mais aussi des blocages, occupations, des squats et ZAD, et enfin des tactiques plus offensives comme des sabotages.

Finalement, nous défendons l’idée qu’il faut renforcer l’archipel des résistances : une diversité des formes de résistance qui se complètent pour créer un ensemble cohérent.

Plutôt que d’appliquer une recette toute faite, se basant sur un répertoire limité d’action, la résistance doit s’adapter au contexte dans lequel elle évolue et aux objectifs qu’elle poursuit en prenant les formes les plus adéquates pour réussir. Les militants doivent être flexibles, comme l’eau qui s’adapte en fonction du récipient qui la contient, c’est un principe élémentaire présenté dans l’ouvrage « l’Art de la guerre » de Sun Tzu.

Samouraï vs shinobis

Parmi les stratégies qui composent la palette du militant, une nous semble être tombée aux oubliettes. Elle peut être résumée ainsi : éviter les points forts, attaquer les points faibles.

Ces actions sont à l’image de celles que réalisaient les shinobis — ceux que l’on appelle couramment ninjas, des espions. Dans le Japon féodal, les samouraïs s’entretuaient sur les champs de bataille — les manifestations y ressemblent de plus en plus – en fonction des aspirations des seigneurs de guerre. Les shinobis, eux, agissaient dans l’ombre pour des opérations décisives — renseignement, sabotage, assassinat — pouvant fortement influencer le cours des conflits.

Nous ne défendons pas l’assassinat (!), mais l’idée d’actions dans l’ombre évitant la confrontation directe et se concentrant sur des cibles critiques — qui peuvent n’être que des infrastructures — est assez intéressante en ce temps d’impasse dans les mobilisations sociales et écologistes.

Les actions dans l’ombre

Des attaques menées dans l’ombre par de petits groupes sur des infrastructures clés ou les circuits qui les alimentent sont plus adaptées pour causer des dommages sérieux, voire critiques, au système, en touchant les points faibles de sa structure tout en évitant la répression policière démesurée pour ne pas subir des dommages sérieux en retour.

Les risques sont bien plus élevés sur le plan judiciaire, mais une culture de sécurité adaptée peut permettre de les limiter, et cela n’entraînera pas la blessure et le trauma de milliers de personnes. Plus les offensives de ce genre seront nombreuses, moins le pouvoir sera en mesure de les gérer. Elles demandent très peu de monde donc peuvent être très nombreuses si elles sont coordonnées.

Dans un archipel de résistance équilibré, la confrontation efficace au système en place est fondamentale. Elle n’est pour autant pas suffisante. Les alternatives aux systèmes doivent déjà être initiées pour espérer créer un changement profond.

Le développement des alternatives

Un effondrement sociétal est fort probable, nous sommes même de l’avis qu’il est souhaitable.

Les États, tel que nous les connaissons n’existent que par et pour la croissance et les énergies fossiles. Maintenir une organisation d’une telle taille et contrôler et synchroniser des millions d’êtres humains n’est possible que grâce (à cause ?) des énergies fossiles.

Pour éviter que le vide politique laissé par l’effondrement du pouvoir central ne mène à des structures autoritaires et archaïques, et pour s’assurer qu’il apporte des changements profonds, il est nécessaire de recréer de l’autogestion locale et décentralisée dans les territoires.

De plus, il faut s’attendre que la fin plus ou moins des ressources fossiles mène à la fin des échanges mondiaux des biens et services. D’où l’intérêt de développer l’autonomie, la résilience et l’autogestion locale et territoriale dans tous les domaines (alimentaire, habitat, économie, politique, social).

Enfin, il ya fort à parier que les chocs économiques, politiques et environnementaux à venir touchent en priorité les personnes déjà précarisées. Ces initiatives locales doivent servir de refuge pour les victimes de ces futurs chocs, en leur permettant de subvenir à leurs propres besoins.

Résistance et alternative, deux faces d’une même pièce

Le développement d’alternatives et la résistance doivent avancer ensemble, se soutenir et se nourrir l’un et l’autre, sans forcément agir sur les mêmes terrains et au même endroit.

Parce que sans résistance, le développement de la résilience sera entravé par le système qui réprimera et détruira les alternatives pour poursuivre son projet mortifère. Mais sans expérimentation et sans projet alternatif, la résistance risque de ne jamais aboutir à des améliorations et ne pourra pas tenir dans la durée.

Ce texte ne fait qu’apporter des propositions sur le plan stratégique et tactique, qui sont discutables. Ce qui est certain, c’est qu’à l’heure actuelle, les mobilisations sociales et écologistes sont face à une impasse, et que le temps est compté.

Il faudra se battre pour gagner, se régénérer, soi, les autres et la vie sur Terre.

Pour voir les notes et d’autres articles en lien avec celui-ci, rendez vous sur www.vert-resistance.org

Pour aller plus loin :

P.S.

Vert-resistance est un média portant une critique écologiste et des réflexions sur les stratégies militantes.

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