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Vague “populiste” et effondrement des verts : de quoi les éléctions 2023 sont-elles le nom ?

Le premier scrutin des élections fédérales 2023 vient de se conclure. La reconduction du ticket de gauche au Conseil des États apparait encore possible au deuxième tour, mais cela ne saura pas cacher les trois donnes qui sortent des urnes : affirmation du MCG, progression de l’UDC et effondrement des Verts. Ce texte va tenter de mettre en perspective quelques lignes de tendances qui se dégagent à partir de la focale déformée des résultats électoraux, pour faire le point sur la phase politique qu’on traverse à Genève et déchiffrer les contradictions à venir.

L’éléphant dans la pièce est que le "populisme" semble bel et bien être là pour rester. Ils ne s’est pas passé plus que 5 ans depuis que la Tribune de Genève jubilait d’une « Débâcle populiste ». De ces rêves mouillés de centriste, il ne reste plus grand-chose. Crier au loup, comme semble faire la totalité de la gauche genevoise au lendemain des élections, n’aide guère à comprendre la situation et surtout à agir. On touche en effet ici à une tendance à la fois profonde et ambivalente de l’époque que nous traversons.
D’une part, un populisme par le bas, qui traduit l’expression d’un besoin confus de se protéger de la mise en concurrence par le marché (y compris du travail) après les déboires de 30 ans de mondialisation néolibérale. D’autre part, un populisme par le haut, qui représente la nécessité du capital national d’aiguiser les armes notamment dans le regain de compétition entre les blocs après la fin du moment unipolaire américain. Ces deux tendances se manifestent de manière flagrante chez les deux partis « populistes » genevois. Il n’est néanmoins pas question de proposer des schémas simplistes qui vendraient le MCG et son âme « populaire » à contraster avec un UDC à traction « bourgeoise ». Certes, la répartition géographique des votes au sein du canton laisse peu de doutes sur la composante de classe de l’électorat de chacun, mais ces deux poussées sont (pour l’instant ?) entremêlées de manière inextricable dans les deux partis qui s’en accommodent très bien. C’est là d’ailleurs où le bât blesse et à cause de cela que les choses se compliquent.

L’autre donnée concerne l’effondrement sans appel des Verts. Leur explosion en 2019 semble appartenir à une autre ère géologique : une pandémie et deux guerres (en Ukraine et au Proche-Orient) sont passées par là. Portés au pouvoir par la vague de mobilisation d’une « génération climat » qu’ils n’ont ni comprise ni vraiment soutenue (comme démontrent récemment les balbutiements de Delphine Klopfenstein Broggini devant les petites actions de sabotage contre des terrains de golf du canton), les verts perdent pied au moment où les robinets de la transition écologique se resserrent, sur le fond de la crise énergétique enclenché par le crescendo de tensions géopolitiques. Au lieu de comprendre que c’est précisément cette escalade qui est en train de fermer définitivement les portes à la possibilité de dépasser les clivages nationaux pour sauver la planète, les verts semblent décidés à s’embrigader dans le conflit en cours endossant le rôle nuisible d’un ultra-atlantisme sans appel, tant au niveau genevois (croisade contre l’Institut Confucius de l’Université de Genève, déclarations enthousiastes sur l’installation d’un bureau de l’OTAN dans le canton) que national (la mise en scène à Kiev échafaudée par Irène Kälin, présidente du Conseil national, demeure une des poses les plus embarrassantes de propagande de guerre depuis le début du conflit).

Pour le reste, les ajustements sont minimes. Le PLR perd un siège à la faveur de l’UDC, visiblement considérée par la droite économique plus à même de défendre ses intérêts dans les turbulences en cours. Le PS tient bon récupérant probablement un peu de son électorat historique qu’il avait perdu à la faveur des Verts dans l’ivresse des mobilisations climat de 2018-2019.

Si le cadre est assez déprimant, ce nouvel équilibre politique demeure cependant bien précaire. En Suisse, et plus particulièrement à Genève, la nécessité de maintenir le taux de profit dans le contexte de regain de compétition intercapitaliste et de reprise de l’inflation commence à avoir des effets particulièrement visibles. Le sauvetage de Crédit suisse – pour lequel le Conseil fédéral a sorti environ 100 milliards de francs en une nuit – met à nu la marginalisation définitive de la place financière suisse. Cela clôt également toute illusion quant au fait que des injections de liquidités de quelques pétromonarchies en cherche d’un joujou en Europe puissent inverser la trajectoire déclinante du système bancaire helvétique, enclenchée par la fin du secret bancaire décrétée en 2009 sous pression américaine. Ça sera au capitalisme suisse de se sauver lui-même : socialisation des pertes, privatisation des profits, donc.
Cela signifie que les marges pour une dynamique progressive entre travail et capital s’amenuisent, dessinant plutôt la tendance vers une diminution des dépenses sociales ainsi que du coût total de la reproduction de la force de travail. Avant tout, cela ferme la porte à toute possibilité de diminuer la flexibilité des travailleurs et travailleuses, notamment dans les secteurs des services et du tertiaire bas. Les cantons où les rapports de force parviendraient à imposer d’autres dynamiques seront mis au pas, comme le démontre la mise sous tutelle de Genève dans le cadre des attaques de son salaire minimum au printemps passé (la démocratie et le fédéralisme, vous avez dit !).

Cependant, dans un contexte de paix du travail, ce filoutage des classes moyennes et populaires passera surtout par la réduction du salaire indirect. La mise sous tension récente de deux piliers de cette machine à compromis social qui est le capitalisme suisse, le logement et la santé, évoque une dynamique qui ne pourra que s’approfondir dans les prochaines années. En effet, nous assistons au déclenchement d’une attaque d’une ampleur inédite aux droits des locataires, lancée notamment par les grands groupes de la finance zurichoise. Cela se traduit déjà par une vague de hausses de loyers à Genève et dans plusieurs projets de loi à Berne visant à augmenter la marge de manœuvre des propriétaires. Ensuite, on s’achemine vers une augmentation monstrueuse des primes des assurances maladie, annoncée au début de l’automne. Cela aura comme impact non seulement une réduction sans précédent du salaire réel, mais également un report massif des soins pour de larges pans de la population.
C’est justement en raison de ces deux grands enjeux que le bloc populiste sorti gagnant de ces élections pourrait prochainement se fissurer. Comment s’insérer dans ces contradictions, cela demeure une question ouverte pour celles et ceux qui voudraient trouver du grain à moudre dans les luttes à venir.

L. - 22/10/23

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