Migrations - Frontières

Il y a de plus en plus d’étrangers dans le monde

Ce tract a été rédigé en 1984 par le groupe autonome français “L’insécurité sociale” dans le second (et dernier) numéro de l’éphémère revue Bulletin de discussion. Bien que le contexte soit différent, cette analyse du racisme de l’État français n’est guère périmée. Elle pourrait tout aussi bien s’appliquer à la politique meurtrière menée aujourd’hui par l’Union européenne contre les nouveaux “barbares” venus des anciens pays colonisés par l’Occident. Elle présente d’autre part un point de vue original en rupture avec les discours dominants de la social-démocratie sur la question des migrations. (Note du contributeur.)

"Il y a de plus en plus d’étrangers dans le monde"

Ces temps-ci les racistes se font plus arrogants et l’Etat de gauche les encourage puisqu’il a repris à son compte le slogan d’extrême-droite : « la France aux Français ».

Pourtant, cela fait longtemps que nous sommes devenus étrangers à nos nations. L’identité nationale n’a plus guère de sens que juridique : c’est le fait d’avoir des « papiers » d’un Etat ou d’un autre. On « a » une nationalité comme on a un chéquier, ou une fiche de paie, ou une contravention. Le nationalisme, qu’il soit français, arabe, israélien, russe, américain ou chinois, se fonde sur des références culturelles de plus en plus dérisoires et stupides.

Le mouvement de l’économie a généralisé le nomadisme industriel et urbain et a fait de tous des « immigrés », des gens qui sont partis de là où ils étaient enracinés, de leurs communautés, de leurs villages, de leurs montagnes, de leurs vallées. L’économie se moque bien des patries !

Ceux qui mettent en avant leur identité nationale par peur de la différence ne sont pas moins déracinés que les autres. Et au fond, ils le savent. Ce qu’ils défendent c’est leur Etat et l’illusion que ce dernier leur assurera un « emploi ».

Quand, à la Courneuve ou à Nanterre, un pauvre type qui se prend pour un
« Français » flingue un môme qu’il prend pour un « Arabe », parce que c’est plus facile que de tirer sur son chef, voilà qui est dégueulasse, d’accord. Mais il faut bien voir que de tels misérables se sentent couverts par l’Etat. C’est l’activité même de l’Etat qui entretient le racisme : il imprime et distribue des cartes d’identité nationale à « ses » ressortissants comme les maîtres d’antan marquaient au fer rouge esclaves et bétaiL Et puis il organise un système de cartes de séjour qui maintient des millions d’êtres humains dans une situation d’expulsables à tout moment.

Les politiciens qui chaque jour proclament « produisons français », qui chaque jour expulsent des Maghrébins parce qu’ils sont Maghrébins et des Noirs parce qu’ils sont Noirs ont bonne mine avec leurs appels antiracistes. Avec la complicité des Etats étrangers et de leurs polices déléguées, les « Amicales », l’Etat français accumule contrôles, rafles et quadrillages policiers contre les immigrés pour les dissuader de sortir de leurs ghettos et les empêcher d’utiliser, comme à Talbot Citroën, la force de leurs liens communautaires pour se défendre. L’extrême-droite sert de bouc-émissaire. En réalité, entre Marchais, Mitterrand, Le Pen et Chirac, il n’y a que des querelles de chiffres sur le nombre d’immigrés à virer.

Beaucoup de travailleurs « français » supportent mal l’image de l’immigré parce qu’il leur rappelle qu’eux aussi sont des prol taires, c’est-à-dire des exclus potentiels. Plutôt que de jeter un regard lucide sur leur propre misère, ils préfèrent se replier sur une pseudo-communauté : celle du travail garanti par l’Etat.

Mais la communauté du travail est devenue aussi incertaine que la communauté nationale. Personne n’est à l’abri des attaques de l’économie - cet autre nom du capitalisme. Les ouvriers du bassin lorrain et d’ailleurs ont pu vérifier que « Français » ou pas, le capitalisme a vite fait de les rendre étrangers à leurs régions, après les avoir rendus chaque jour un peu plus étrangers à eux-mêmes.

Car c’est l’économie qui nous traite chaque jour davantage en étrangers, en nous « employant », c’est-à-dire en nous assignant à des activités aussi vides que l’inactivité du chômeur, en nous contraignant à perdre notre vie pour assurer notre survie.

Nous n’avons que foutre des races et des nations. Nous sommes tous étrangers. Nous voulons vivre nos différentes façons d’être humains comme il nous plaît. La vie nous paraît plus attrayante lorsque l’universel y est vraiment en jeu. La diversité des aspects physiques, les manières variées, les goûts et les couleurs nous sont des possibilités de bonheur.

C’est dans le jeu gratuit de nos différences, de nos attirances, de nos répulsions, de nos révoltes, de nos amours et de nos élans communautaires que nous devenons humains.

A bas toutesles patries !
A bas la France !

Des partisans de la communauté humaine.

Source : Revue Bulletin de discussion, no 2, 1984.

Trouvé sur le site Fragments d’histoire de la gauche radicale.

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