Luttes indépendantistes - impérialisme

La guerre civile syrienne reprend : Perspectives sur le conflit depuis l’ouest et le nord-est de la Syrie

Suite à la chute de Bachar-el-assad nous vous partageons la traduction de la compilation d’article proposé par CrimthInc. avec en supplément la dernière déclaration du groupe anarchiste present au rojava “Têkoşîna Anarşîst”.

Rojava |

La guerre civile syrienne est restée largement gelée depuis 2020, en raison d’un équilibre précaire des forces entre diverses factions, soutenues à des degrés divers par la Russie, la Turquie, l’Iran et les États-Unis. Ces derniers jours, cependant, profitant de la façon dont l’Iran et le Hezbollah ont été bloqués par le conflit avec Israël, tandis que la Russie était distraite par l’Ukraine, les forces antigouvernementales Hayat Tahrir al-Sham (HTS) ont pris Alep et intensifié leur campagne contre la dictature de Bachar al-Assad.
Alors qu’Assad est responsable de la mort de centaines de milliers de personnes et que sa chute serait la bienvenue , cette évolution pose de nouveaux dangers.

Comme nous l’avons déjà évoqué , la situation en Syrie est complexe et les mêmes événements peuvent être très différents selon les points de vue. Afin de retracer une réalité éclairée par de nombreux points de vue, nous présentons ici le point de vue des participants à la révolution dans l’ouest de la Syrie, ainsi qu’un rapport des anarchistes du Rojava, la région du nord-est de la Syrie.


Que se passe-t-il dans le nord-ouest de la Syrie ?

Il s’agit de la déclaration de la Cantine Syrienne de Montreuil, un projet créé par des participants à la révolution syrienne en exil. Vous pouvez lire une interview avec eux ici .

Une alliance de divers groupes « rebelles » (jihadistes, islamistes, mercenaires sous tutelle de la Turquie, etc.) a lancé ces derniers jours une vaste offensive pour briser l’encerclement de la ville d’Idlib par le régime et ses alliés, et répondre à leurs attaques meurtrières. L’opération a permis de reprendre le contrôle territorial d’Alep (deuxième ville de Syrie) et de ses environs.

Cette offensive fait suite à la déstabilisation du régime iranien et du Hezbollah suite aux attaques israéliennes. Alliées de longue date d’Assad, les milices contrôlées par l’Iran ont continué à pilonner les zones rebelles de Syrie après le 7 octobre 2023. Même après l’attaque au bipeur orchestrée par Israël au Liban, le Hezbollah a attaqué Idlib (les 20 et 23 septembre 2024) avant de retirer une partie de ses troupes au Liban.

Dans un contexte humanitaire et économique catastrophique, l’opération militaire des groupes « rebelles » a forcé des centaines de personnes à quitter les zones récemment tombées sous leur contrôle (par peur de représailles), mais elle a aussi permis à des centaines de déplacés de revenir sur leurs terres et leurs maisons et de revoir leurs familles après de longues années de séparation et de survie difficile dans les camps de réfugiés.

Il y a des années, Alep avait déjà été libérée du régime d’Assad et auto-administrée par ses habitants de 2012 à 2016 avant de retomber aux mains du régime grâce au soutien de la Russie, de l’Iran et du Hezbollah au Liban. Après un siège brutal, des bombardements incessants qui ont tué 21 000 civils et la destruction quasi totale de la partie est de la ville, la chute d’Alep a marqué une défaite militaire décisive pour la révolution syrienne.

« Nous reviendrons. » Graffiti le premier jour de l’accord d’évacuation civile après la chute d’Alep aux mains du régime.

Aujourd’hui, on ne peut que se réjouir de voir les forces du régime contraintes de fuir Alep : images de détenus libérés de prison, statues de la famille Assad renversées, portraits de Khameini, Nasrallah ou Soleimani déchiquetés. Mais soyons clairs, il n’y a aucune raison d’espérer pour l’avenir de la Syrie dans les zones « libérées » par ces groupes militaires, qu’ils soient jihadistes ou « modérés ».

Cette opération, pourtant décidée et coordonnée en Syrie, n’aurait pu voir le jour sans le feu vert de la Turquie, elle-même dépassée par l’ampleur de l’offensive. Il faut bien l’avouer, rares sont ceux qui croient encore aujourd’hui qu’Erdoğan est un ami du peuple syrien. La Turquie massacre les populations kurdes en Syrie et ailleurs, organise des déportations forcées de réfugiés syriens, tente depuis des années de normaliser ses relations avec Assad et utilise les combattants syriens comme mercenaires pour ses intérêts géopolitiques, sans parler de la répression de toute dissidence interne.

Quant aux groupes islamistes, leur pouvoir est contesté depuis des années par la population civile des zones qu’ils contrôlent. En 2024, des manifestations de grande ampleur ont eu lieu à Idlib pour exiger le départ d’[Abou Mohammed] al-Joulani, le chef de Hayat Tahrir al-Cham (HTC), le groupe qui gouverne l’enclave. Sans légitimité populaire, HTC gouverne par la force ; il n’a pas réussi à réaliser les espoirs de la révolution de 2011. Les Syriens qui se sont soulevés contre la tyrannie d’Assad et ont tant sacrifié pour pouvoir vivre en liberté ne peuvent pas vivre sous des groupes comme HTC à long terme.

Al-Joulani = el-Assad.

Une joie amère et ambiguë donc. Beaucoup reste incertain. Les conséquences humanitaires risquent d’être catastrophiques. Le régime et ses alliés ont multiplié les attaques sur les zones déjà contrôlées par les « rebelles » ainsi que sur celles qu’ils viennent de reprendre. Les hôpitaux d’Alep sont déjà débordés par le manque de moyens et de personnel. On ne sait toujours pas quelle sera la position des Forces démocratiques syriennes dirigées par les Kurdes. La seule chose dont on puisse être sûr, c’est l’éternel retour des partisans de « l’axe de la résistance » qui, sous couvert d’opposition à Israël et à l’impérialisme occidental, blanchiront une fois de plus les bourreaux qui ont assassiné et déplacé nos familles et nos amis.

Au milieu de tout cela, nous sommes largement dépossédés de notre révolution et de la possibilité d’autodétermination de notre pays. Entre les puissances étrangères qui jouent à leur jeu d’influence avec notre sang et les milices islamistes qui ne parlent que le langage des armes, pour l’instant, la force brute et les calculs géopolitiques décideront de notre avenir. La situation n’est pas excellente, mais la chute du régime reste la condition préalable à tout changement dans le pays. Encore et toujours, le peuple veut la chute du régime.

Vive la Syrie libre !
Gaza vivra, la Palestine sera libre !
« Ils doivent tous partir » pour un Liban libre !

Sur le panneau, on peut lire : « La garantie de notre victoire est le départ de la Turquie de nos terres. »

Vue depuis Rojava

Un aperçu général des principaux développements des deux derniers jours, apporté par les anarchistes internationalistes en Syrie.

L’offensive de Hayat Tahrir al-Sham (HTS) a fait une percée dans les premiers jours vers l’est (Alep) et le sud (Hama) et a ralenti les 1er et 2 décembre. Les forces du régime d’Assad semblent avoir repris la ville de Hama et stoppé l’avancée de HTS vers la ville de Homs. Les forces aériennes russes mènent une vaste campagne de bombardements, ciblant les unités de HTS mais aussi les infrastructures civiles et militaires à Idlib, Alep et le long de la route de l’avancée de HTS. Des rapports font état de victimes civiles et de combattants. Des avions appartenant au régime d’Assad ont également mené des frappes aériennes, mais à une échelle plus réduite. À Alep, dans le quartier kurde de Sheikh Maqsood, les habitants se sont préparés à l’autodéfense.

Au nord d’Alep, le canton de Şehba est occupé par l’Armée nationale syrienne (ANS) [soutenue par la Turquie]. Des milliers de personnes qui vivaient dans des camps de réfugiés depuis l’invasion turque d’Afrin en 2018 sont actuellement en cours d’évacuation. Les Forces démocratiques syriennes (FDS) organisent un couloir humanitaire pour permettre aux populations de quitter Alep et Şehba. Aucun affrontement majeur n’est signalé entre les FDS et l’ANS pour l’instant.

Dans d’autres régions de l’Administration démocratique autonome du nord et de l’est de la Syrie (DAANES), des bombardements d’artillerie et des activités de drones ont eu lieu, mais pas plus que d’habitude.

Des informations font état de l’avancée massive de la milice Hashd Ash-Shaabi, soutenue par l’Iran, sur le territoire syrien dans la région de Deir-Ez-Zor. Dans la même région, les FDS et le conseil militaire de Deir-Ez-Zor tentent de prendre le contrôle de certaines villes et villages.

Les forces de l’État islamique qui restent dans le désert du centre de la Syrie n’ont pas encore fait de mouvements majeurs, mais on s’attend à ce qu’elles utilisent la situation au mieux de leurs capacités.

Une carte publiée par Al Jazeera montrant la répartition actuelle du contrôle territorial en Syrie.

Les FDS ont appelé à une mobilisation massive, demandant aux jeunes de rejoindre les FDS et d’être prêts à repousser les prochaines attaques sur le territoire libéré. ​​On s’attend généralement à ce que l’escalade s’intensifie et que les factions soutenues par la Turquie profitent de l’occasion pour attaquer les régions occidentales de DAANES, comme Minbij.

Au début, des rumeurs circulaient sur une tentative de coup d’État à Damas ; si une telle tentative a eu lieu, elle semble avoir rapidement échoué.

L’Égypte, la Russie, les Émirats arabes unis et l’Iran ont exprimé leur soutien au régime d’Assad.

La région autonome démocratique du nord et de l’est de la Syrie, également connue sous le nom de Rojava, est en proie à de nouveaux troubles. Le nombre de réfugiés arrivant dans les cantons occidentaux, en comptant le nombre de personnes arrivées du Liban ces derniers mois, pourrait facilement dépasser les 200 000 dans les semaines à venir.

Au cours des premiers jours de l’offensive de HTS et de l’avancée de l’Armée nationale syrienne (SNA) contre Şehba, ainsi que du siège de Sheikh Maqsood, il est clair que le régime d’Assad se trouve dans une situation très difficile ; il semble possible qu’il s’effondre. Cependant, tout pouvoir potentiel de HTS ne sera pas stable et ne sera pas en mesure de résoudre les problèmes urgents que la dictature de Bachar Al-Assad a créés et aggravés pour la Syrie. Néanmoins, la chute d’Assad pourrait ouvrir une fenêtre de possibilité pour un changement dans la région, si les Syriens – aussi bien ceux qui restent au pays que ceux qui décideront de revenir après l’exil – parviennent à faire revivre les idées originales de la révolution syrienne.

Les grandes puissances mondiales comme la Turquie, les États-Unis et Israël bénéficieront de l’offensive de HTS. HTS répond à tous leurs besoins en tant que force opposée à l’Iran, à Assad et à la Russie. Si elles ont la possibilité de prendre en charge la création de l’État en cas de victoire, en suivant le modèle des talibans, il est possible que les principaux acteurs de HTS exercent leur influence sur un éventuel futur nouveau gouvernement. Il est même possible que les États susmentionnés soutiennent HTS dans sa prise de pouvoir, étant donné qu’ils ne souhaitent pas que le peuple syrien décide de lui-même de manière indépendante.

La chute du régime d’Assad serait bénéfique pour les DAANES à plusieurs égards, mais elle pose également des questions majeures :

A) Il existe un grave danger que, libéré de la nécessité de lutter contre la Russie et Assad, l’État islamique profite de l’occasion pour se développer à nouveau, même s’il sera également en conflit avec HTS.

B) On peut s’attendre à ce que les États-Unis soient de plus en plus envahissants et manipulateurs si les DAANES deviennent plus dépendants des États-Unis pour les protéger d’une éventuelle invasion turque.

C) La recherche d’un nouvel équilibre des forces dans la région s’annonce chaotique et sanglante, et on ne sait pas comment elle se terminera.

D) Cela est particulièrement vrai dans la mesure où la Turquie va étendre la zone de son contrôle direct beaucoup plus profondément en Syrie.

E) Enfin, la prise de contrôle de l’ouest de la Syrie par les fondamentalistes religieux du HTS provoquera un conflit aigu avec le projet révolutionnaire dans le nord-est de la Syrie, notamment en ce qui concerne la façon dont cela a changé le statut des femmes dans la société.

La situation du Liban sera très difficile, car le pays sera coincé entre Israël et la partie syrienne contrôlée par le Hamas. Cela pourrait conduire à une escalade des conflits internes. Le Hezbollah se retrouverait sans aucun moyen de recevoir le soutien de l’Iran.

Dans le contexte régional, le DAANES représente dans une certaine mesure une solution non étatique fondée sur l’autogouvernance et l’autonomie culturelle, religieuse, de genre et ethnique. Pourtant, c’est lui qui bénéficie du moins de soutien international.

Salutations révolutionnaires !


Mise à jour : 6 décembre 2024

Ce rapport de suivi nous parvient du même groupe d’anarchistes internationalistes en Syrie.
Il se passe tellement de choses aujourd’hui qu’il est difficile de les résumer. Nous allons partager quelques informations pertinentes, en précisant que nous ne sommes pas un service de renseignement mais simplement des anarchistes révolutionnaires qui suivent la situation dans le nord-est de la Syrie.

L’actualité principale du jour est l’effondrement général de l’Armée arabe syrienne (l’armée du gouvernement de la République arabe syrienne, ou AAS), avec des soldats se retirant de nombreux fronts différents, et faisant même défection publiquement dans certaines régions.

Front occidental

L’avancée de Hay’at Tahrir al-Sham (la principale coalition d’opposition islamiste, HTS) se poursuit. Après avoir pris le contrôle de la ville de Hama, ils atteignent les faubourgs de Homs. Des vidéos d’attaques de drones Shaheen (des kamikazes autoproduits par HTS) contre des postes militaires de l’AAS à Homs circulent déjà sur les réseaux sociaux.

Alors que l’offensive du HTS se déplace vers le sud, les combattants s’étendent également vers l’est et l’ouest, non seulement en combattant mais aussi en concluant des accords avec des groupes locaux. À Mahardah, à l’ouest de Hama, ils ont négocié le retrait des soldats de l’AAS avec la communauté chrétienne locale ; à Salamiya, à l’est de Hama, ils ont conclu un accord avec la communauté ismaélienne.

Leur avancée vers l’ouest se fait dans le désert, où l’État islamique (ISIS) a maintenu son insurrection. On ne sait pas encore si les cellules rebelles de l’EI vont affronter HTS ou les accueillir.

Front de l’Est

Les soldats de l’AAS se retirent de leurs positions à la périphérie de Raqqa, tandis que les Forces démocratiques syriennes (la coalition militaire des forces de défense du Rojava, SDF) se déplacent pour capturer ces territoires afin d’empêcher toute nouvelle activité de l’EI.

Un scénario similaire se déroule dans la ville de Deir Ezzor, où il semble qu’une certaine coordination ait été mise en place pour sécuriser la zone avec les soldats de l’AAS avant qu’ils ne quittent leurs positions.

Au moins une ville située à 50 km au sud de Deir Ezzor, Al-Quraya, semble être sous le contrôle des forces de l’EI qui y ont pénétré alors que l’AAS se retirait.

Les forces des FDS ont également pris le contrôle du poste frontière avec l’Irak à Albukamal, qui a été un point de passage très important pour les lignes de coordination et d’approvisionnement de diverses forces mandatées par l’Iran.

La SNA a publié un communiqué de presse annonçant son opération contre les FDS à Manbij, exhortant les civils à rester à l’écart des zones militaires.

Fronts du Sud

Un nouveau front s’est ouvert dans le sud du pays, alors que différents groupes rebelles à Quneitra, Daraa et Soueida ont commencé à mener des actions militaires contre l’armée saoudienne en déclin. Ils auraient créé une salle d’opération commune pour coordonner les attaques contre les soldats du régime.

Plusieurs groupes ont pris d’assaut des postes de contrôle, des commissariats de police et des casernes militaires dans certaines zones. L’Armée syrienne libre réagit à ces attaques par des bombardements et des affrontements intermittents.

Des vidéos de soldats de l’AAS faisant défection publiquement et rejoignant les milices de défense locales se propagent sur les réseaux sociaux, en particulier au sein de la communauté druze de Soueida.

Dans le sud, mais à l’est, le bataillon d’Al-Tanf progresse également. Connu sous le nom de Maghawir al-Thawra, ce groupe faisait partie de l’Armée syrienne libre (l’ancien nom utilisé pour désigner les groupes d’opposition contre Assad), mais après l’émergence de l’EI, son objectif principal s’est déplacé vers la lutte contre le califat. Il a reçu une formation et des armes des États-Unis, ainsi qu’un soutien dans ses opérations contre l’EI. Ces dernières années, il a bloqué les voies de livraison d’armes à l’Iran et a lancé des raids contre les groupes de contrebande de drogue Captagon. Aujourd’hui, pour la première fois, il a quitté sa zone d’opérations locale et affronte les forces de l’AAS à Palmyre.

Rumeurs

Israël bombarderait des installations de recherche chimique pour les empêcher de tomber aux mains des « rebelles ». La Russie évacuerait une partie de ses forces aériennes stationnées en Syrie.

Des rumeurs font état d’un coup d’Etat contre le gouvernement Assad à Damas. Des informations émanant du Mossad (les services de renseignements israéliens) indiquent également qu’Assad aurait quitté la Syrie, ce qui laisse penser qu’il se serait enfui en Iran.

Évaluations préliminaires

Il est clair que plus personne ne fait confiance au gouvernement d’Assad. Nous sommes confiants d’annoncer que c’est la fin du régime. Pour de nombreux Syriens, ce jour sera un jour de fête. Après presque 13 ans de guerre, de misère et d’exil, leur rêve d’une Syrie sans Bachar se réalise. En ce sens, c’est aussi un jour de fête pour nous.

Mais la fin du régime ne sera probablement que le début d’une nouvelle phase de conflit et d’instabilité, une phase très difficile. La Syrie est devenue un champ de bataille où de nombreuses forces militaires (étatiques et non étatiques) utilisent la violence pour atteindre leurs objectifs sans craindre les conséquences. Cela comprend la brutalité du régime syrien et les bombardements massifs de la population civile par la Russie, les massacres horribles de l’État islamique et les occupations génocidaires et impérialistes de l’armée turque et de ses mandataires visant le peuple kurde et la révolution du Rojava.

Plus d’une décennie de guerre et de souffrances a laissé des blessures qui ne se refermeront pas avec la fin de la dynastie Assad, et le lendemain nous assisterons probablement à davantage d’effusions de sang et d’atrocités. Les déclarations d’opération de l’Armée nationale syrienne (SNA) contre Manbij marqueront probablement le début d’une guerre d’occupation brutale, comme nous l’avons déjà vu en 2018 à Afrin et en 2019 à Serekaniye et Gire Spi. L’avenir de Damas n’est pas encore clair, et l’islamisme de HTS commencera bientôt à révéler ses vraies couleurs au peuple syrien. Quoi qu’il en soit de ce qui est montré sur CNN, les habitants d’Idlib souffrent et protestent contre le régime autoritaire de HTS depuis des mois.

Les puissances occidentales accepteront tacitement cette version apparemment diluée du salafisme, comme elles l’ont déjà fait en Afghanistan. Et ces grands changements détourneront l’attention des massacres perpétrés par la Turquie à Manbij, donnant à ce membre rebelle de l’OTAN au Moyen-Orient les coudées franches en échange de sa loyauté dans d’autres affaires plus prioritaires pour l’agenda occidental.

La révolution au Rojava est menacée, comme toujours. Célébrons la chute du régime, mais continuons à construire le nouveau monde que nous portons dans nos cœurs.

Salutations révolutionnaires !


Ajout de Rebellyon

Le régime est tombé, la guerre continue.

Communiqu de Têkoşîna Anarşîst media center, 7 décembre 2024

Les rêves révolutionnaires de millions de Syriens qui ont envahi les rues en 2011 sont enfin devenus réalité : le régime est tombé. Après des décennies de dynastie d’Assad, nous nous réveillons aujourd’hui dans une Syrie sans gouvernement central fonctionnel. L’État syrien s’est effondré.

En tant qu’anarchistes et révolutionnaires, nous ne pouvons rien faire d’autre que de célébrer un tyran de moins. Bravo pour cela ! Mais après plus de 7 ans de vie révolutionnaire, nous avons appris une leçon impopulaire : la victoire n’est qu’un premier pas vers la transformation sociale dont nous avons besoin. Car chaque victoire n’est qu’un pas vers le prochain combat.

Heureusement, le Mouvement de libération kurde a des décennies d’expérience dans ses poches, et il est plus qu’heureux de la partager avec nous. Et ce n’est pas tout, il a aussi 12 ans d’expérience pratique à la tête d’une société révolutionnaire dans le nord-est de la Syrie, avec la libération des femmes, l’écologie sociale et la confédération des gouvernements locaux comme boussole pour construire un socialisme libertaire. Non sans défauts, non sans erreurs, mais c’est déjà plus que ce que beaucoup d’autres révolutions libertaires ont jamais accompli.

En même temps, les succès militaires de Hayat Tahrir al-Sham (HTS) contre le régime, ainsi que leur gouvernance islamiste autoritaire à Idlib, ont ouvert une opportunité à leur leader d’influencer les gros titres des agences de presse mondiales. La société de l’information du XXIe siècle oublie aussi vite qu’elle fait défiler son écran, il faut donc peut-être vous rafraîchir la mémoire. Aujourd’hui, qui se souvient de la libération de Manbij des griffes de l’EI ? Qui parle des djihadistes qui ont kidnappé et trafiqué des femmes yazidies du Sénégal dans le monde salafiste ? Et qui se souvient des femmes qui ont proclamé la victoire des FDS sur Raqqa, autrefois capitale du califat ?

Pour ceux qui l’auraient oublié, nous vous rappelons que les YPJ continuent de se battre, menant le front de la révolution des femmes au Rojava. Un front qui est une fois de plus attaqué par des forces mandatées par l’État turc, rassemblées sous le nom ironique d’Armée nationale syrienne (ANS), une coalition de gangs criminels sous contrôle turc. Aujourd’hui, elles menacent la ville multiculturelle de Manbij, un bel exemple de pluralisme et de gouvernance locale intégrée dans le système de l’Administration démocratique autonome du nord-est de la Syrie (DAANES).

La révolution du Rojava ne touche pas seulement les Kurdes mais aussi les Arabes, les Arméniens, les Assyriens, les Syriens, les Turkmènes, les Circassiens et bien d’autres groupes ethniques présents ici. Les forces arabes du Conseil militaire de Deir Ezzor ont été acclamées par la population locale lorsqu’elles sont entrées dans la ville de Deir Ezzor, comblant le vide sécuritaire laissé par les soldats du régime en fuite. Le système confédéral du nord-est de la Syrie est un modèle éprouvé qui peut servir de fondation à une Syrie révolutionnaire. Omar Aziz, un anarchiste éminent de Damas, a travaillé pour une alliance confédérale de conseils locaux, les proposant comme colonne vertébrale de la révolution syrienne. Il a été arrêté et est mort dans les prisons du régime d’Assad en février 2013. Nous ne l’avons pas oublié, et nous chérissons ses mots et son expérience en tant qu’anarchiste et en tant que révolutionnaire ici, en Syrie.

Tous les révolutionnaires syriens en exil, arabes, kurdes et bien d’autres, ont la responsabilité de faire en sorte que leur révolution réussisse. Les anarchistes, les communistes, les féministes, les écologistes et les autres révolutionnaires internationalistes doivent également se sentir responsables de la défendre. Nous avons une belle opportunité de donner l’exemple aux mouvements révolutionnaires du monde entier, du Kurdistan à la Birmanie, du Chiapas à la Palestine. Les États-nations sont la pierre angulaire de la modernité capitaliste, et seule une confédération mondiale de mouvements révolutionnaires populaires peut la remettre en cause. L’alternative est une descente vers l’autoritarisme, l’occupation impérialiste et la haine fondamentaliste. Nous ne laisserons pas cela se produire.

Vers une nouvelle révolution syrienne !

En tant qu’anarchistes, nous devons aussi apporter des réponses à la question de l’État-nation. Tout en appelant à la fin des États et des frontières, nous devons faire valoir non seulement nos critiques, mais aussi nos propositions et nos solutions. Nous devons le faire non seulement en théorie, mais aussi en pratique, en nous organisant avec les communautés locales et les mouvements sociaux pour construire le pouvoir populaire.

Les forces autoritaires, comme le HTS ou la Turquie d’Erdogan, utiliseront toujours la force pour imposer leur contrôle en période d’instabilité. La seule façon de les contrer est l’organisation populaire, une société civile éthique et politique forte, la construction de l’autodéfense populaire et d’une culture révolutionnaire. Avec la solidarité internationale, pour défier le nationalisme et le chauvinisme qui nous divisent et qui servent trompeusement à légitimer le système d’État-nation de la modernité capitaliste. Avec la gouvernance locale et les modèles confédéraux, pour défier les systèmes centralisés et les frontières des États-nations, qui ne font qu’engendrer l’oppression et la violence sur la diversité. Avec les femmes et les organisations queer en première ligne, pour défier l’oppression patriarcale d’où proviennent tous les modèles autoritaires.

Depuis le printemps arabe de 2011, nous avons assisté à de nombreuses tentatives révolutionnaires au Moyen-Orient, mais aucune n’a réussi à trouver une solution libératrice, et le pays s’est enfoncé encore et encore dans de nouvelles formes tyranniques d’oppression. Que fait-on après la chute d’un tyran pour empêcher qu’un autre ne le remplace ? Il existe une petite fenêtre d’opportunité lorsqu’un régime s’effondre. Une brève période révolutionnaire, pendant laquelle le peuple peut reprendre le pouvoir entre ses mains, empêchant une nouvelle autorité centralisée de s’imposer. Nous devons être prêts à saisir ces opportunités lorsqu’elles se présentent.

Faisons en sorte que la révolution syrienne, ainsi que le mouvement de libération kurde qui mène une résistance démocratique dans la région, deviennent un exemple pour de nombreuses autres révolutions à venir ! Luttons ensemble pour construire le monde nouveau que nous portons dans nos cœurs !

Que pouvez-vous faire ?

– Rejoignez votre organisation locale de solidarité avec le Rojava.
– Écrivez dans les médias, attirez l’attention sur la crise des déplacés internes et présentez une image plus précise de toutes les forces impliquées dans les combats. Cela s’applique particulièrement si vous travaillez déjà dans les médias et avez accès à des publications plus importantes.
– Créez des œuvres d’art et des visuels qui peuvent être diffusés. Essayez de les relier à des brochures, des écrits, des campagnes de solidarité, etc.
– Organisez et rejoignez des manifestations, tenez des discours publics.
– Préparez des campagnes contre les compagnies aériennes turques et pour la fermeture de l’espace aérien au-dessus de la Syrie. Dans le passé, les attaques aériennes ont été le plus gros problème des FDS, si cela arrive, ce sera à nouveau un facteur important.
– Faites un don à Heyva Sor.
– La frontière de Semalka est ouverte aux journalistes. Venez au Rojava !
– Si possible, rassemblez-vous avec vos camarades/amis/familles et faites ensemble les points mentionnés ci-dessus. Formez vos propres groupes ou rejoignez ceux qui existent déjà.

Si vous souhaitez soutenir les évacués dans le nord-est de la Syrie, vous pouvez le faire ici.

Notes

DANS LA MÊME THÉMATIQUE

À L'ACTUALITÉ

Publiez !

Comment publier sur Renversé?

Renversé est ouvert à la publication. La proposition d'article se fait à travers l’interface privée du site. Si vous rencontrez le moindre problème ou que vous avez des questions, n’hésitez pas à nous le faire savoir
par e-mail: contact@renverse.co