Travail - précariat - lutte des classes

Brochure du collectif Silure pour le 1er mai

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Genève |

Brochure annuelle du collectif Silure

Genève, 1er mai 2024

Editorial

« J’vais sauver les miens avant les vôtres, gros, sinon, c’est pas la peine. Mais sauver les siens avant les autres, gros, c’est l’programme des Le Pen »
Vald, Journal perso II, 2019

« Peut-être n’était-ce la faute de personne, peut-être était-ce la faute de tout le monde. Il ne s’agissait pas tant de se demander où était la faute et où se situait l’origine de tout le mal que d’affronter les conséquences de celui-ci : il se trouvait qu’un être, depuis sa toute première jeunesse, avait été méthodiquement démoli, et que le produit de cette démolition se retrouvait maintenant chez le psychothérapeute, les fesses calées dans un fauteuil, attendant de voir ce qui allait se passer. Et cet être démoli, c’était moi. »
Fritz Zorn, Mars

La réussite du capitalisme global tient à son orgueil démesuré. Les catastrophes naturelles se répètent, mais on nous indique qu’il s’agit d’un pur hasard, une conséquence fortuite qui n’implique pas de changement substantiel à part l’installation de deux trois climatiseurs. De plus, ces incidents n’auraient rien à voir avec le mode de production actuel. Le capitalisme fossile est foncièrement innocent des critiques injustes qui lui sont faites, et quand le moment deviendra critique, il utilisera même son homologue vert pour subsister indéfiniment.
Quant à la misère mondiale, elle n’est plus un sujet. En Suisse, la Banque nationale estime que l’inflation a été « vaincue », et plus personne ne fait la queue pour recevoir des colis alimentaires à la patinoire des Vernets comme en 2020. Ça doit être parce que le problème a été « résolu », non ? Quant aux personnes qui traversent la Méditerranée pour chercher du travail en Europe, ils doivent être traités avec sévérité car on ne veut pas d’ « appel d’air », notre fortune nationale a été bâtie de la plus honnête des manières, ce n’est pas pour la partager avec le premier damné de la Terre venu.

Cette vulgate est comme un bateau ivre, on voit très bien où elle nous mène, le nihilisme et l’oubli de soi en échange d’une sécurité toute fictive. Dans un monde qui se réchauffe, et pas seulement du point de vue climatique, que vaut donc cette « sécurité » ? Un réseau d’alarme bien conçu vous protègera-t-il du retour de bâton ? Ce n’est pas un hasard si l’amoncellement de dommages collatéraux du système conduit à une montée électorale des partis néo-nationalistes. Leur style oppositionnel fait mouche, ils font mine d’être dans une position dominée dans le champ politique alors que rien n’est plus faux, en Suisse l’UDC trône comme premier parti depuis bientôt un quart de siècle. Confronté aux difficultés évoquées plus haut, leur seule ambition est de gérer la crise dans une perspective patronale, ultrasécuritaire et xénophobe.

Face à la brutalité de cette droite nationaliste, on nous présente l’idéologie de la paix sociale comme un moindre mal, voir comme un idéal désirable. Là aussi, il s’agit d’une illusion dangereuse. La paix sociale et l’absence de luttes d’ampleur constituent au contraire un puissant carburant pour l’extrême droite. Les luttes de terrain doivent prendre plus de place, c’est la perspective résolument combative qui est défendue dans ce feuillet.

I. Luttes pour le droit à la ville

Le 23 mars dernier, un bon millier de personnes ont manifesté à Genève contre la spéculation immobilière et le démantèlement du droit du bail voté au Parlement fédéral l’année dernière. La manif est partie de la Poste du Mont-Blanc, est passée par la rue du Rhône, la Place neuve, puis le quartier de la Jonction, où le cortège s’est dissout aux anciennes halles TPG, symbole de la lutte contre l’arrivée mouvementée des gentrificateurs du bar « Baroque » dans cet espace vacant !

Les prises de paroles accentuaient le besoin d’une riposte dans la situation actuelle. Car la colère monte… Comment ne pas vouloir renverser la table lorsqu’on sait le chemin de croix que représente recherche d’un appartement dans ce canton ? Tout le monde ici connaît une personne qui a vécu cette situation humiliante… A Genève, il peut facilement y avoir une centaine de personnes pour visiter un appartement légèrement en dessous des prix du marché. La plupart du temps, les régies réservent les bonnes affaires à leur réseau, les autres se retrouvent à habiter dans des logements inadaptés, non entretenus, voire vétustes. La logique spéculative tente en permanence de mettre en concurrence les locataires les un·e·s par rapport aux autres. Qui aura le meilleur dossier ? Qui sera pistonné·e de la façon plus efficace ? Ce système est la pourriture incarnée, il doit tomber et le plus vite sera le mieux !

Il existe aussi des individus tellement ignobles qu’ils s’inspirent à leur compte de la logique des régies, et en copient les pires travers. Dans le quartier genevois des Pâquis, l’exemple de l’immeuble du 8, Rue Royaume est éloquent : un marchand de sommeil exploitait des travailleurs et travailleuses sans-papiers en collaboration avec une régie de la place. Après un incendie en 2020, il a procédé à l’évacuation avec des hommes de main et fait maintenant mine de vouloir rénover son immeuble alors qu’il coule des jours paisibles au Portugal… En 2023, une tentative d’occupation de son immeuble s’est soldée par une importante opération de maintien de l’ordre dirigée par l’ex-conseiller d’Etat Mauro Poggia (issu du parti social-conservateur MCG), avec des dizaine de gardes-à-vue et d’importantes procédures judiciaires en cours.

La seule solution qui vaille contre des pratiques de ce genre s’appelle l’expropriation, comme l’ont scandé les personnes ayant manifesté à Genève le vendredi 9 février dernier dans une joyeuse équipée sauvage. En plus, la situation ne cesse de se dégrader sur le plan parlementaire puisque l’an dernier, la majorité PLR-UDC-Centre au Parlement fédéral a taillé dans le vif des rares droits accordés aux locataires afin de laisser la spéculation s’exercer sans entrave. Il s’agit bien sûr d’une infamie ; l’ASLOCA a décidé de déposer des référendums contre ces projets et elle a raison, mais la lutte devra continuer sur le terrain même si ces projets passent la rampe en votations.

La situation des périphéries est aussi à observer, en effet la paupérisation de certains quartiers de Haute-Savoie est une réalité, et on oublie un peu vite qu’Annemasse a elle aussi été secouée par les émeutes suivant la mort de jeune Nahel à Nanterre (94) le 27 juin 2023. Le centre et la périphérie ne sont pas statiques, et leur assignation productive est elle aussi un enjeu de rapports de force…

II. Violences policières, violences sociales

Les violences policières sont souvent dirigées contre les minorités, celles qui n’arrivent pas à se défendre, celles dont on pense qu’elles ne sauront pas se défendre. Pour elles et eux, l’arbitraire est la règle, alors même que les étranger·ères sont constamment accusés de commettre plus de délits, la police et le système judiciaire se permet de négliger leur vie même, d’humilier leurs proches et de leur imposer des procédures longues et fastidieuses où tout est fait pour enterrer l’affaire.
Et pourtant ces proches de victimes demandent la justice ! Depuis plusieurs années, des luttes se développent pour exiger la vérité pour Hervé, Lamine, Mike et Nzoy, décédés respectivement en 2016, 2017, 2018 et 2021 dans le canton de Vaud. Ces quatre personnes noires ont été abattues, laissée sans soin dans un violon, ou écrasée au sol sous le poids de plusieurs agents. Elles ont fait l’objet de rassemblements devant les tribunaux, de cris de colère, de conférence de presse, de manifs de rue déclarées ou non, d’affrontements avec les forces de l’ordre. A l’heure actuelle, aucune de ces 4 affaires n’a débouché sur une quelconque condamnation de flics. Les institutions font bloc avec eux, mais le regard du grand public sur ces violences policières est peut-être en train de changer, on en a eu la nette impression après le scandaleux verdict du procès des flics ayant tué Mike en juin 2023 à Lausanne.
En réalité, la dernière condamnation de flics dans le canton de Vaud remonte à 2012, durant l’affaire de Sauvabelin, quand des policiers avaient tabassé et abandonné un mineur de 16 ans d’origine erythréenne en pleine forêt. L’affaire était trop grosse, la victime était mineure et il n’était pas possible d’amener la sacro-sainte « légitime défense » dans ce contexte.
A Genève, deux personnes sont décédées dans les violons du Vieil Hôtel de police (VHP) du boulevard Carl-Vogt les 3 janvier et 22 février dernier. Les victimes, un jeune homme et une jeune femme dont on ignore les noms, avaient toutes les deux 20 ans. Quelle honte ! Nous saluons ici les personnes qui ont manifesté devant le VHP le 24 février dernier pour dénoncer ces morts injustes ! Les autorités cachent les détails de ces histoires pour démoraliser les familles.

Les violences policières sont les symptômes d’un système social intrinsèquement violent. C’est pourquoi l’encadrement de la « férocité policière » se pose désormais comme une exigence de justice et une exigence de classe. Il n’est pas admissible de subir ces violences, et si la question de la répression est inhérente à la forme-Etat, tout le monde sait que des avancées (et des régressions) sont possibles, l’exemple américain montre la voie de ce qu’il faut combattre, une instrumentalisation de la police pour mener une guerre aux pauvres et aux population non-blanches.

III. La Palestine, miroir du monde

Lors d’une intervention au Conservatoire national des arts et métiers de Paris le mois dernier, le chercheur et militant écologiste radical Andreas Malm a tenu les propos suivants : « Ce génocide a plusieurs caractéristiques, l’une d’entre elles est son lien avec l’Occident. Ma première réaction après la matinée du 7 octobre a été de me dire qu’Israël allait raser Gaza complètement, entrer à l’intérieur et tuer tout le monde. C’était la réponse prévisible dès le départ. Ce que l’on n’a pas pu (ou su) anticiper, c’est la soif insatiable de sang palestinien de la part des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de l’Allemagne et d’autres Etats membres de l’UE. Ils ont tous accourus pour participer au génocide ».
Pour Malm, la décision de couper les fonds de l’UNRWA, l’agence onusienne pour les réfugiés palestiniens s’inscrit dans la continuité du soutien militaire, scientifique et politique (ces trois dimensions étant liées) de l’Occident avec l’Etat israélien. On ne peut qu’être d’accord avec lui lorsqu’on voit la pitoyable campagne dans laquelle la droite suisse (toute tendance confondue) s’est engagée depuis six mois pour supprimer la contribution suisse de 20 millions de francs promise par la Suisse à l’UNRWA. Cette politique s’est accompagnée de fortes entraves au droit de manifester avec des décrets gouvernementaux interdisant toute manifestation de solidarité avec la cause palestinienne comme à Berne, Bâle ou Zurich. Dans ces deux dernière villes, deux manifs non autorisées ont été organisées respectivement les 22 et 25 novembre 2023 pour lutter contre cette répression de la solidarité. A Genève, notre collectif a soutenu dans la mesure de ses moyens les nombreuses manifs organisées par le comité BDS Genève. A ce titre, la situation commence à se tendre avec les milieux d’affaires genevois, qui s’indignent de cette solidarité « qui bloque la ville ». La chaîne Léman bleu, propriétaire d’un magnat de l’immobilier, et le Conseil administratif de la ville de Genève participent allégrement à cette campagne d’invisibilisation de la solidarité. Que vaut une manif si elle est parquée dans une rue peu fréquentée ? Absolument rien ! « Le droit de manifester s’exerce, il ne se mendie pas », comme nous l’avions déclaré aux cotés de la Coordination genevoise pour le droit de manifester lors d’une conférence de presse en 2020.
A l’avenir, la solidarité avec le peuple palestinien pourrait emprunter la voie suivante : dénoncer inlassablement la collusion évidente entre les gouvernements occidentaux, les institutions académiques et l’appareil d’Etat israélien. Cette collaboration vise aussi des entreprises, la campagne BDS invite donc à lutter depuis là où nous sommes contre l’occupation et pour le droit plein et entier du peuple palestinien à disposer de lui-même.

@le_silure

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