>>>La forêt et les miroirs : vers un multi-naturalisme
The Forest of Mirrors, projet de danse hypnotique et habité, fait le lien avec la figure de la sorcière qui était au cœur du cycle de la première partie de saison, Rêver l’obscur.
Ce spectacle conçu par la chorégraphe chilieno-mexicaine Amanda Piña est le troisième volume d’un vaste projet de recherche intitulé Endangered Human Movements, qui s’attache à donner forme, corps et voix aux gestes et mouvements éradiqués pour des motifs de colonisation ou d’évangélisation. Le présent opus prend pour cœur la perspective amérindienne ; ses ontologies, ses cosmologies, mythologies, son iconographie, sa magie and son art.
Comme on peut le lire chez l’ethnologue Eduardo Viveiros de Castro, qui a travaillé sur les indigènes de l’Amazonie, le point de vue des Amérindiens renverse vertigineusement le nôtre. Celui-ci rassemble toutes les associations humains-animaux-végétaux dans un même régime ontologique. Là où les Occidentaux voient une nature unique et de multiples cultures ou perspectives, les Amérindiens conçoivent une perspective unique (l’humain est dans tous les corps) et des natures multiples.
Le projet d’Amanda Piña, silencieux et presque ineffable, est une voie royale pour sortir des binarités qui ont colonisé notre regard. On part très loin de la dualité occidentale entre nature et culture : et ça glisse.

>>>Mali, bazin, corps et politique
Du 23 au 25 novembre, deux chorégraphes maliens arrivent à Genève pour se partager la scène du TU, dans deux spectacles dansés à teneur politique.
Dans Bazin, le chorégraphe Tidiani N’Diaye évoque ce tissu emblématique de son pays. Faisant du bazin un objet-témoin, il retrace d’une part sa propre histoire, celle d’un déplacement du Mali vers la France ; ainsi qu’une histoire plus vaste liée aux traces de la colonisation et aux géographies de la globalisation. Car si le bazin est teint au Mali, il est dans un premier temps fabriqué dans les usines allemandes ou chinoises avant d’être exporté vers l’Afrique de l’Ouest où il est transformé, magnifié et porté. Dans une véritable danse de la réappropriation, Tidiani N’Diaye donne corps et forme à ce tissu, et aux possibles détournements et rencontres qu’il génère.
Dans le solo Fatou t’as tout fait, qui succède à Bazin, Fatoumata Bagayoko, l’une des rares chorégraphes femmes d’Afrique, prend la parole pour raconter son histoire et celle de nombreuses autres femmes maliennes soumises à la pratique de l’excision. Dans ce spectacle frontal et brut qu’elle a d’abord présenté dans son propre village au Mali, Fatoumata Bagayoko se fait maîtresse de la narration d’un événement vécu. L’occasion en Suisse de dépasser les postures ethnocentrées et paternalistes sur la question de l’excision – et de décoloniser le féminisme traditionnel, majoritairement blanc, bourgeois et universaliste.
>>>Évènements autour du cycle
Les spectacles programmés dans le cadre du cycle DÉCOLONISATIONS étant tous vecteurs de cette volonté d’ouvrir une brèche dans la matrice de nos subjectivités, ils seront accompagnés d’une série de rendez-vous qui contribueront eux aussi à ouvrir et fluidifier nos frontières, réinventer nos sexualités et déplacer nos constructions de l’histoire.
Le jeudi 9 novembre, rendez-vous au Cinéma Spoutnik, pour une soirée « TransForme non-binaire. Au-delà de la binarité du genre ».
Pour amorcer cet événement, la projection à 19h30 du film Weder Noch mit Bart / Ni l’un ni l’autre barbu de Babette Bürgi, suivie d’une discussion en présence du protagoniste. Après un repas vegan prix libre, on se transbahute à 21h30 au TU, pour une soirée de performances ! Butterfly, trans réfugiée palestinienne, proposera une danse orientale ; Petit Cœur Blessé, trans mauricien-suisse, fera résonner sa slam poetry ; et Lila Lisi, chanteuse italiano-zürichoise queerfeministe offrira les sons de sa guitare et de sa voix.
Le dimanche 12 novembre, c’est à 17h au TU qu’on se retrouve, pour un « Teatime pour la sisterhood » où les femmes, personnes trans, lesbiennes de tous horizons sont conviées en non-mixité. De quoi tester ce type de procédé « pour les sceptiques et féministes discrètes ». Un après-midi organisé par le collectif Préau, qui avait voulu dans un précédent Teatime en mai dernier thématiser la non-mixité comme outil de lutte. Pour cette prochaine rencontre, la thématique corps et sexualités a été retenue. Ateliers, lectures, écoutes et discussions dans un cadre bienveillant, avec traduction simultanée en français/anglais pour les non-francophones.
Enfin, le samedi 25 novembre, rendez-vous à 19h au TU pour une brève intervention théorique proposée par le groupe PostCit (Incite, Université de Genève), en lien avec le spectacle BAZIN de Tidiani N’Diaye qui suivra. Cette prise de parole intitulée « Les textiles wax. Archives (post)coloniales en mouvement » s’interrogera sur les imprimés wax – ces tissus aux couleurs vives et aux motifs variés, que l’on trouve dans toutes les rues de la planète et dans les défilés de mode. Quelle est l’histoire de ce tissu souvent associé au continent africain ? Pour la chercheuse Sarah Burckhardt, interroger le mode de production, les usages et les réappropriations du wax c’est faire le récit du colonialisme, mais surtout des vécus afropéens et afropolitains contemporains.
Pour rappel, les samedis au TU sont PRIX LIBRE et tous les événements autour des spectacles sont en entrée libre.
Pour vous servir en novembre et à l’heure d’hiver,
Le TU.
