Des historiens comme Christophe Bonneuil, Jean-Baptiste Fressoz ou encore Andreas Malm ont montré qu’une majorité des émissions de CO2 découlant de l’industrialisation proviennent d’Angleterre jusqu’au milieu du 19e siècle, qu’une majorité des émissions de CO2 jusqu’à aujourd’hui proviennent d’un faible nombre de pays, et qu’une grande partie de l’espèce humaine – classes populaires des périphéries du capitalisme mondiale – n’a émis qu’une quantité négligeable de CO2 depuis deux siècles. Les émissions de CO2 proviennent ainsi majoritairement des pays riches et des classes aisées. Ces historiens ont également montré que ce n’est guère l’espèce humaine qui aurait décidé de l’adoption massive des machines-vapeurs dans l’industrie au début du XIXe siècle, mais une minorité d’industriels. Et cette minorité de capitalistes n’a pas fait un tel choix pour des raisons philanthropiques, mais dans l’optique d’une restauration de leurs profits dans un contexte de crise économique, de compétition acharnée et de luttes ouvrières. Les machines-vapeurs ont ainsi permis une subordination supérieure des travailleurs et des travailleuses aux capitalistes, une intensification du rythme de travail, une déqualification de celui-ci, une baisse des salaires et un renvoi facilité des grévistes, et donc une restauration des profits et une meilleure compétitivité. Le basculement vers une utilisation massive des énergies fossiles dans l’industrie est donc lié aux intérêts des capitalistes et aux contraintes d’un Marché en proie à des crises récurrentes, et non à une prétendue satisfaction des besoins énergétiques de l’espèce humaine toute entière.
La diffusion de cette économie fossile, de ce capitalisme reposant sur une consommation exponentielle d’énergies fossiles, s’est ensuite également faite contre une majorité de l’espèce humaine. Et ce, au travers de conquêtes coloniales comme celle de l’Inde, permise grâce aux bateaux à vapeur, ou avec l’adoption forcée du modèle industriel anglais, sous peine d’être distancé militairement et/ou commercialement, comme en France, en Allemagne et en Suisse. La suite de l’histoire a confirmé une dépendance structurelle du capitalisme vis-à-vis des énergies fossiles, du fait de leur abondance – il reste encore aujourd’hui des décennies de réserves au rythme actuel de production, pourtant gigantesque –, de leur transportabilité, leur forte teneur énergétique et surtout de leur profitabilité supérieure aux énergies renouvelables. Toute décarbonisation substantielle du capitalisme est ainsi très improbable du fait de cette dépendance structurelle. On devrait plutôt assister, au cours des prochaines décennies, à une diminution relative des énergies fossiles dans l’assiette énergétique du capitalisme mondial, masquant une augmentation absolue de leur combustion – comme au cours des dernières années – et une aggravation consécutive du dérèglement climatique. Tout comme l’essor mondial du pétrole, surtout à partir de 1945, n’avait pas du tout entraîné de diminution de la consommation de charbon, qui avait même cru très fortement au cours desdites « Trente glorieuses » (1945-1975), on assiste aujourd’hui à une simple addition d’énergies renouvelables à un capitalisme restant largement fossile, et non à un remplacement d’énergies fossiles par des énergies renouvelables. Il n’y aura pas de transition énergétique du capitalisme mondial.
De ce fait, le concept de Capitalocène paraît davantage adéquat que celui d’Anthropocène, puisqu’il permet de s’intéresser aux dynamiques, aux intérêts et aux rapports de classes spécifiques ayant conduit au dérèglement climatique au lieu de s’égarer dans un récit pseudo-historique. Mais surtout, il offre une perspective de lutte climatique effective, puisque s’il paraît difficile de cesser d’être une espèce maîtresse du feu, il paraît en revanche possible – et souhaitable – de sortir du capitalisme, et de créer des sociétés émancipées des contraintes du Marché et des logiques du capital, véritables responsables du dérèglement climatique.
La sortie du capitalisme est donc un préalable nécessaire à toute décroissance énergétique.
Le capitalisme, en effet, consomme structurellement de plus en plus d’énergie, du fait des contraintes concurrentielles du Marché poussant chaque entreprise à une technologisation croissante et à une augmentation du volume de production, surtout en contexte de crise comme depuis une dizaine d’années. Les différentes théories du Capitalocène permettent d’éclairer cette nature énergivore – et écocidaire – du capitalisme.