Il existe un dicton qui dit qu’on ne se baigne pas deux fois dans la même rivière.

C’est pourtant le cas avec l’UDC qui depuis trois ans, s’affiche régulièrement avec le même groupuscule raciste et antisémite. Comme on va le voir, le soutien enthousiaste du parti nationaliste suisse à l’intervention génocidaire d’Israël à Gaza s’accommode très bien de liens avec des antisémites patentés. Le dernier épisode en date est l’interview donnée par le conseiller communal Thibault Schaller (UDC) au site fasciste “La Hallebarde” [1]. Comme on le verra par la suite, les liens de ce groupuscule avec l’UDC sont anciens et précoces. Pour finir, on se demandera pourquoi une association pro-israélienne est silencieuse sur les nombreux liens entre UDC et milieux antisémites.

Retour sur les événements de Lausanne

A la fin août, le jeune Marvin, 17 ans, perd la vie à Lausanne au volant d’un scooter alors qu’il était poursuivi par la police. Ce drame suscite une vive colère et deux nuits consécutives de révolte ont lieu dans le quartier populaire de Prélaz. Parmi toutes les vidéos qui ont circulé sur ces événements, l’une d’elles attire l’attention de la fachosphère. On y voit le conseiller communal Thibault Schaller se faire molester et poursuivre par des jeunes lausannois. Dans un article publié le mois dernier, les milieux antifascistes romands ont donné quelques éléments de contexte sur cette vidéo [2]. Entre 2019 et 2020, Schaller s’affiche plusieurs fois sur les réseaux sociaux avec des t-shirts d’un groupe de métal néonazi ukrainien [3]. Il est aussi coutumier des provocations. Que ce soit durant la manif anti-Zemmour il y a quatre ans à Genève ou l’occupation pro-palestinienne de l’an dernier à l’UNIL, Schaller vient moucharder dans les luttes sociales pour ensuite s’indigner d’en avoir été chassé. Allez comprendre !

Après sa petite course à pied à Prélaz, Schaller a donné deux interviews aux médias traditionnels, la première au site pro-israélien Watson (une sorte de version suisse de “Causeur” ou de “Valeurs actuelles”) et la seconde à la chaîne de télévision privée genevoise Léman bleu, financée par les milieux immobiliers. On ne reviendra pas sur ses déclarations car ce qu’il y a raconté est parfaitement conforme à ce que l’on attend d’un nationaliste borné lorsqu’on lui demande son avis sur une lutte antiraciste.

Une interview pour un site antisémite

Schaller a ensuite opéré une petite diète médiatique, mais c’était pour mieux revenir début octobre avec une interview pour... le site raciste et antisémite “La Hallebarde”.

“La Hallebarde” est un site web animé par trois fascistes romands lancé en 2022 [4]. Il a été condamné une première fois l’année suivante par la justice vaudoise pour appel à la haine après un article violemment homophobe publié suite à la Marche des fiertés [5]. Le site est ensuite supprimé du web pendant quelques mois, mais il réapparaît en mars 2024 en conservant son étiquette de “média satirique” autoproclamé. On peut toutefois remarquer que leur ligne politique s’est radicalisée. Sur X (ex-Twitter), ils se définissent désormais comme “nationalistes révolutionnaires”, une étiquette renvoyant au GUD parisien. Bourré de références aux milieux néonazis étasuniens, le principal animateur du site, qui écrit sous le pseudo “SMH” poursuit sa descente dans les égouts d’internet et publie plusieurs articles racistes, mais aussi violemment antisémites.

Porte-voix de la haine des juifs

Le 22 mars 2024, "La Hallebarde" explique que pour eux le génocide perpétré par Israël contre le peuple palestinien se résume à un « conflit [entre] Shlomo [et] Momo ». On reconnaît ici le discours mainstream sur les soi-disant risques d’ « importation du conflit », mais cette fois-ci dans une version explicitement islamophobe et antisémite.

Le 17 avril 2024, “La Hallebarde” réagit au décès d’un avocat et ex-président de l’association pro-israélienne CICAD, en l’attaquant non pas sur ses positions politiques hostiles à l’autodétermination du peuple palestinien, mais sur sa judéité elle-même. L’article revendique l’héritage des négationnistes Gaston-Armand Amaudruz (1920-2018) [6], René-Louis Berclaz (dont on reparlera plus tard) et de l’ancien journaliste du Matin Alexandre Bender, qui anime un blog à la gloire d’Adolf Hitler [7]. Toute cette bouillie vomitive entre parfaitement dans la définition de l’antisémitisme de la Déclaration de Jérusalem, en effet l’article charrie de nombreux clichés antisémites sur les juifs qui contrôlent le monde.

En 2025, “La Hallebarde” publie de moins en moins d’articles, mais “SMH” publie des dizaines de tweets chaque jour sur la plateforme d’Elon Musk. Un hacking de leur premier compte @LaHallebarde l’oblige à changer de compte en mars 2025 (@LaHallebarde2), où il poursuit sa propagande haineuse.

Hallebarde et UDC, des liens précoces

Schaller n’est pas un cas isolé, les liens entre l’UDC et “La Hallebarde” existent depuis le départ. En 2022, quelques mois après le lancement du site, Yohan Ziehli, alors ex-président des Jeunes UDC Vaud, vice-président de l’UDC Vaud et assistant parlementaire du parti à l’Assemblée fédérale, participe à une conférence de “La Hallebarde” aux côtés de Jean-Eudes Gannat, l’un des organisateurs du “9 mai”, la grande marche annuelle des néofascistes à Paris [8]. Ziehli s’était défendu dans les médias en disant qu’aucun propos n’avait été contraire à la loi. Une défense qui montre bien la gêne qui l’avait saisi à ce moment-là. Ce qui est d’ailleurs comique là-dedans, c’est que Ziehli avait lui-même défendu Schaller lors de l’affaire du t-shirt néonazi avant de lui-même se compromettre comme orateur dans une conférence organisée par les mêmes milieux trois ans plus tard [9]. Depuis le mois de juin dernier, Ziehli n’a plus de rôle dirigeant à l’UDC, mais il gravite encore dans le lobby pro-armes “ProTell” et Emmylou Ziehli-Maillard, actuelle vice-présidente de l’UDC Vaud qui n’est autre que sa femme, affiche sa proximité avec le groupe raciste Némésis sur les réseaux sociaux, lui-même bien connu pour ses liens avec les néonazis alémaniques de Junge Tat qui vont bientôt passer en procès pour leurs actions racistes et transphobes [10].

En 2023, La Hallebarde subit sa première condamnation en justice. Leur avocat n’est autre que le conseiller national Jean-Luc Addor (UDC/VS), un fanatique islamophobe condamné par le Tribunal fédéral l’an dernier pour son post Facebook « On en redemande » après l’incendie d’une mosquée. Il s’est aussi fait connaître en invitant des membres de Némésis au parlement suisse. "SMH" semble très reconnaissant à son égard.

La connexion négationniste

Comme souvent, les fascistes se tournent vers leur glorieux passé pour compenser le côté hors-sol de leurs élucubrations. C’est pour cette raison que “La Hallebarde” publie régulièrement sur les réseaux des affiches du dessinateur fasciste Noël Fontanet (1898-1982) [11]. Dans la redécouverte de ce passé, ils étaient obligés de trouver sur leur chemin l’idéologue René-Louis Berclaz [12]. Basé en Valais, ce disciple de Gaston-Armand Amaudruz a poursuivi la publication de la lettre d’information qu’il avait fondée, le “Courrier du continent”. Ce bulletin non distribué en kiosque et en librairie est uniquement disponible sur abonnement, ce qui le protège des plaintes pénales. Dans ce réseau souterrain qui mériterait un article à lui tout seul, la quasi totalité des articles concerne la négation de la Shoah, et on retrouve des aticles de soutien enthousiastes au négationniste Vincent Reynouard ou au groupuscule valaisan Résistance helvétique. Sans surprise, “La Hallebarde” a collaboré avec le “Courrier du continent” pour un article dans le no 668 du bulletin en mai dernier.

Comme souvent quand on parle des antisémites, l’UDC n’est pas loin en embuscade. Dans le numéro 669 du bulletin, c’est Yvan Perrin, ancien conseiller d’Etat neuchâtelois, ex-secrétaire général de l’UDC Genève et collaborateur du site d’Uli Windisch “Les Observateurs” (sorte de version suisse du site “Frdesouche”), qui prenait la plume pour contester l’accord-cadre entre la Suisse et l’Union européenne.

L’ordinateur retrouvé de Schaller

Revenons-en pour finir au cas Schaller. Quelques jours après sa collaboration avec “La Hallebarde”, il continue de se décomplexer et partage sur X (ex-Twitter) une photo de son ordinateur portable récupéré après un vol. Les deux autocollants collés dessus témoignent une fois encore de sa proximité avec les néofascistes.

A droite, on reconnaît le sticker de “Kalvingrad Patriote” (KP), groupuscule néonazi basé à Genève lancé en 2015 et autodissous il y a 5 ans grâce à la mobilisation antifasciste locale [13]. Ses anciens membres ont été condamnés l’an dernier pour l’attaque de l’Espace autogéré Nadir le 31 octobre 2019, et leur implication probable dans le caillassage de la Librairie du Boulevard quelques mois plus tard [14].
Sous son post, le compte @HelvetDux, ex-membre de “KP”, contributeur occasionnel au site “La Hallebarde” (un article révisionniste au sujet du massacre du 9 novembre 1932) et participant enthousiaste à la marche fasciste du 10 mai dernier à Paris, félicite Schaller pour son autocollant. Schaller répond avec un smiley “frimeur”, signe qu’ils ont sans doute dû déjà se fréquenter par le passé.

Le second sticker renvoie à l’univers National-Socialist Black Metal (NSBM). En effet, “Pale Riders” n’est autre qu’un projet parallèle du groupe “Baise ma Hache” basé à Monnetier-Mornex en Haute-Savoie (74), avec le néonazi étasunien Paul Wagenner.

Très réseauté, à l’international, “Baise ma Hache” a donné un concert en Ukraine en 2020 aux côtés de membres d’Azov comme le mentionnait Renversé à l’époque [15].
Plus récemment, Mediapart a largement documenté le rôle tenu par “Baise ma Hache” dans la scène NSBM française, notamment dans les concerts “Call of Terror” organisés (et parfois annulés) en région lyonnaise, en Isère ou dans la Meuse [16].

Entre l’interview à “La Hallebarde” et ces autocollants que Schaller poste lui-même sur les réseaux sociaux, ça commence à faire un lourd passif pour lui, on saura désormais à quoi s’en tenir avec ce personnage  !

Conclusion provisoire

Que ce soit avec Schaller, Ziehli, Addor ou Perrin, l’UDC continue d’entretenir une proximité marquée avec des propagandistes fascistes et antisémites. Il ne s’agit pas que de “petites mains”, mais d’élus très insérés dans l’appareil du parti et les institutions. Comme avec le RN en France, l’UDC assume davantage sa haine des musulmans, mais si on gratte le vernis, l’hostilité envers les juifs est toujours là.

Assemblée antifasciste Genève & AFA-Loz, 17 octobre 2025
assemblee-antifa-ge@riseup.net ; afa-loz@riseup.net

Addendum : Pourquoi les associations pro-israéliennes ne font pas partie de la solution

Le 6 octobre dernier, un autre article violemment antisémite est publié par “La Hallebarde” contre le secrétaire général de l’association CICAD. Comme avec l’article de 2024 évoqué plus haut, cette dernière réagit rapidement, annonce le dépôt d’une plainte et publie des extraits de l’article de “La Hallebarde” sur son compte Instagram.

On peut toutefois remarquer une chose : quand l’association CICAD dénonce “La Hallebarde”, elle oublie de mentionner ses liens avec l’UDC. Au contraire, elle fait intervenir des membres de ce parti sur sa chaîne Youtube. Pourquoi cette complaisance ? Il faut s’interroger sur les buts de cette association. En effet, son acronyme signifie “[lutte] contre l’antisémitisme et la diffamation”, mais le second terme s’applique à la “diffamation d’Israël”, le “seul Etat juif” que les palestiniens voudraient “annihiler”. Or, depuis sa création et bien avant le 7 octobre 2023, cette association a toujours mis sa priorité sur la défense des intérêts israéliens et a lancé de nombreuses polémiques sur ce sujets varié (poursuites contre le professeur William Ossipow, dénonciation des lieux Apartheid Free Zone à Genève, du mouvement pro-palestinien ayant mené une occupation du campus d’Uni-Mail en 2024, de l’agenda-guide de la CUAE, etc.)

C’est là que sa propagande rencontre celle de l’UDC. Depuis 25 ans, l’UDC est le premier parti de Suisse et son nationalisme chauvin s’accompagne d’un fanatisme pro-israélien, qui s’est manifesté entre autre par une campagne politique pour que la Suisse sabre les finances de l’UNRWA en Palestine occupée [17].

Bien entendu, on ne trouvera jamais dans les publications de l’association CICAD de soutien explicite à l’UDC, il faut rester apartisan ! Mais on peut parfois observer des signaux faibles de ce soutien, comme dans cette newsletter il y a quelques mois lorsque l’association CICAD relaie un article concernant la plainte déposée contre le conseiller national sioniste évangélique David Zuberbühler (UDC/AR) à côté de son programme de débats au Salon du livre de Genève. Ce choix éditorial est curieux, Zuberbühler serait-il devenu un héros de la lutte contre l’antisémitisme grâce à sa croisade contre l’UNRWA ?

Pourtant quelques jours plus tôt, le 7 mars 2024, un plan d’action national contre le racisme et l’antisémitisme était adopté par le parlement suisse malgré l’opposition des élus de l’UDC au Conseil national dont Zuberbühler. Si ce plan était soutenu par l’association CICAD, elle s’est bien gardée de critiquer l’UDC car elle fait exactement les mêmes amalgames qu’eux : “Pour Andreas Glarner (UDC/AG), la stratégie demandée se trompe de cible. L’antisémitisme en Suisse vient des immigrés illégaux entrés en Suisse et portant le foulard palestinien, a-t-il dit en substance. Il faut plutôt les refouler et renforcer les frontières, estime-t-il” (RTS). Ça se passe de commentaire !

Venons-en maintenant à “La Hallebarde”. Dans sa newsletter de la semaine dernière, l’association CICAD mélange allégrement la dénonciation de leur propagande ignoble avec un article accusateur contre la manif déterminée du 2 octobre dernier à Genève pour la flotille Soumoud ! D’une certaine manière, la cause palestinienne est ainsi amalgamée aux discours antisémites de ces fascistes. Les mêmes méthodes diffamatoires ont été employées par l’association CICAD contre la manif antisioniste du 12 avril dernier ; elle avait pressé les autorités cantonales de l’interdire, sans succès. Une réponse avait d’ailleurs été publiée sur Renversé [18].

Si toute personne victime de racisme ou d’antisémitisme mérite d’être soutenue indépendamment de son appartenance politique, il faut toutefois se garder de faire front commun avec n’importe quelle organisation. L’association CICAD est malheureusement devenue une antichambre de la confusion politique [19], qui a perdu de vue le fait que la lutte contre l’antisémitisme ne peut pas se concevoir sans une approche antifasciste globale, qui combat également pour les droits du peuple palestinien contre les différents courants du sionisme politique. Cette confusion entre défense du sionisme en tant qu’idéologie et lutte contre l’antisémitisme est particulièrement préjudiciable, on préfèrera séparer les deux pour combattre à la fois les groupuscules fascistes, mais également leurs relais dans l’extrême droite institutionnelle, représentée en Suisse par l’UDC.

Photo d’illustration : montage entre le logo de l’UDC et une photo de Junge Tat.