Féminismes - Luttes Queer Grève CUAE

Pour des lieux de formation résolument féministes et révolutionnaires (2/5) - Langage

Cet ensemble de textes est une mise à l’écrit des discours de l’Assemblée Générale féministe du 17 avril 2019. Vous y trouverez donc certainement des formulations plutôt orales.
Nous vous proposons 5 textes pour vous faire part de nos réflexions sur les oppressions liées au genre dans nos lieux de formation :
1. Introduction
2. Langage
3. Formation
4. Espaces
5. Conclusion

Bonne lecture !

Genève |

Langage

Une approche historique sur le rôle et la puissance du langage

Il est incontestable que le langage fait partie intégrante de notre imagination, de nos vies, de nos sociétés. Nous pensons, imaginons, faisons passer nos idées, argumentons par le langage. Cela, les instances gouvernementales et les lieux de pouvoir l’ont bien compris, même si iels ont énormément de peine à l’avouer. La langue est en effet un outil de contrôle très puissant. 
Prenons l’exemple de l’Académie française. Fondée au XVIIe siècle elle sera uniquement composée d’hommes cis pendant plus de trois cent ans, jusqu’à ce que soit élue en 1980 Margerite Yourcenar, première académicienne. On compte aujourd’hui 5 femmes pour 31 hommes cis.

Sa création coïncide presque avec le début du règne de Louis XIV, qui sera l’initiateur de la centralisation du pouvoir français et imposera une monarchie absolue de droit divin. Il décrète l’obligation pour tout le peuple d’utiliser une seule et même langue uniforme, dont les règles sont édictées par l’Académie. Evidemment, cette « nouvelle » langue n’essaie pas de faciliter l’apprentissage du français ou de le rendre plus accessible, bien au contraire, elle fait primer les formes orthographiques étymologiques, provenant donc du latin ou du grec, rendant bien souvent l’orthographe plus complexe et moins intuitive. Par exemple, on remplace le « f » dans de nombreux mots par le « ph ».

Cette langue ne pourra être apprise et comprise que par les élites masculines éduquées et cultivées, excluant ainsi toutes les autres personnes de toute possibilité d'acte politique et d'accès à des postes prestigieux.

Cette langue ne pourra être apprise et comprise que par les élites masculines éduquées et cultivées. Les très nombreux dialectes utilisés partout en France sont donc écrasés et la population ne faisant pas partie de l’élite est exclue définitivement de toute possibilité d’acte politique et d’accès à des postes prestigieux.

D’ailleurs, le choix du genre masculin l’emportant sur le féminin est loin d’être un choix anodin. Au contraire, c’est une construction idéologique. Ce choix a été fait car le genre masculin était considéré comme plus “noble”.

L’Académie Française a donc réalisé un double « exploit » :
1. mettre la main sur une grande majorité de la population française et assurer un contrôle ferme ce celle-ci par le biais de la langue.
2. assurer à long terme, que sa vision conservatrice du langage reste la norme, en créant une orthographe qu’elle place au rang de sacré et immobile.
Actuellement l’Académie n’a plus le droit d’édicter des règles strictes sur la langue et son utilisation, mais ne doit « que » formuler des "avis" sur la langue. Bien sûr, son influence et sa vision du langage restent incontestablement présentes dans nos mentalités et la plupart des personnes continuent de croire que c’est l’instance légitime à décider des règles grammaticales.

Le pouvoir absolu du roi, couplé à l’instauration d’une seule langue maîtresse et "perfectionnée", a instauré le "mythe" de la langue française, toujours très présent aujourd’hui. On nous apprend que cette langue est sacrée, intouchable, parfaite ; c’est un des principaux arguments des personnes s’opposant à toutes les réformes de la langue, car nous n’avons pas le droit de modifier ce « patrimoine historique et culturel » qui a "toujours été noble", comme on ne cesse de le rappeler.

Paradoxalement, même si l’Académie française perpétue le mythe de l’immuabilité du français, elle prouve que des changements sont possibles. En 2006, plus de 2’400 mots ont été modifiés pour faciliter l’orthographe : on trouve principalement des remplacements du "ph" par le "f" (nénufar), le retrait du i circonflexe (maitresse), etc.

De plus, ce qui est certain, c’est que la langue accompagne les changements sociétaux et

il est évident que cette langue, qui traduit explicitement la domination masculine et la vision binaire des genres, doit être réformée.

s’adapte aux nouvelles réalités. Ainsi, à l’heure où les mouvements féministes se multiplient et prennent de l’importance, où la présence des femmes et des autres minorités de genre dans toutes les sphères de la société croît fortement, il est évident que cette langue, qui traduit explicitement la domination masculine et la vision binaire des genres, doit être réformée.

Nous tenons à préciser que nous avons principalement parlé, dans cette partie historique, de la puissance du langage pour assoir l’hégémonie masculine sur la société et par là, invisibiliser les femmes. Nous n’avons donc pas beaucoup parlé des autres minorités de genre, pour la raison que ces personnes étaient et sont encore plus invisibilisé.x.e.s, d’où l’importance aujourd’hui de les inclure dans l’histoire et dans la langue.

Impact de la langue sur la société actuelle

On nous demandera : Mais finalement est-ce si grave ? Le passé est le passé et ce n’est pas la modification de la langue actuelle qui fera diminuer le sexisme.
Plusieurs études ont tenté de répondre à ce postulat.

En 2009, Wesely et Wassermann, deux chercheur.euse.x.s, ont étudié le lien entre le niveau genré d’une langue et le degré de sexisme dans la société qui la parle. Il faut savoir qu’il existe des langues peu ou pas genrées, comme le finnois ou l’estonien, des langues moyennement genrées, comme l’anglais et des langues très genrées. Le français fait partie de cette dernière catégorie. Les adjectifs, les participes passés, les pronoms... Tout s’accorde.

Wesely et Wassermann [1] ont demandé à des élèves américains avec un haut niveau de français de lire un passage de Harry Potter et le Prince de Sang-Mêlé en français pour les faire réfléchir dans la langue. Un groupe témoin devait lire le même passage en anglais. Iels ont ensuite exigé que les deux groupes se soumettent à un test mesurant le sexisme. Il en est ressorti que le groupe des élèves qui avaient réfléchi en français au préalable obtenaient des scores de sexisme plus élevés que le groupe témoin.
Cette expérience démontre que plus une langue est genrée, plus les personnes qui la parlent auront tendance à avoir des attitudes sexistes. Le langage a donc un impact réel sur le niveau de sexisme d’une société.

Cette expérience démontre que plus une langue est genrée, plus les personnes qui la parlent auront tendance à avoir des attitudes sexistes


De là, découle la nécessité d’un langage neutre, qui inclut tout le monde !

Selon les détracteur.euse.x.s du langage inclusif, le masculin aurait déjà cette fonction. Procédons donc à une mise en situation : Pensez à un scientifique. À qui avez-vous pensé ? Probablement à un homme cis. Cette expérience peut être réitérée en remplaçant « scientifique » par héro, médecin, président etc. Comment les minorités de genre peuvent-elles se sentir légitimes à occuper le devant de la scène si elles n’existent même pas dans nos représentations mentales ? 
La langue française actuelle comporte deux genres. Pourquoi est-ce le masculin qui a été choisi pour représenter le neutre ? Si ce choix était inversé, on retrouverait des phrases comme « Dans ce film, les réalisatrices ont voulu montrer l’universalité des droits de la Femme ». Il est probable qu’aucun homme cis lisant ce texte ne se sente inclus dans une telle phrase. Alors pourquoi exiger de tou.te.x.s les autres un effort d’adaptation pour se sentir intégré.e.x.s dans un masculin soi-disant neutre ? 
Cette absence de neutralité du masculin a été démontrée par plusieurs expériences, notamment par l’expérience « wudgemaker ». En 1984, le métier fictif de wudgemaker a été présenté à des enfants en utilisant le pronom il ou le pronom elle. La description comportait des tâches "neutres" que les stéréotypes genrés n’associent pas typiquement à un genre. Or, les enfants d’un autre genre que le pronom utilisé se pensaient moins capable d’exercer ce métier. 
La neutralité du masculin est donc un leurre. L’utilisation du masculin de manière hégémonique ne sert qu’à une chose : invisibiliser les autres genres. Mais alors, quelle neutralité doit être mise en œuvre ?


Ecriture inclusive

Nous considérons que l’écriture doit nécessairement être inclusive de toutes les identités de genre : femmes , hommes, personnes trans*, personnes non binaires et autres réalités de genre. Quand nous utilisons "un et une étudiant•e", nous mettons de côté et invisibilisons les personnes ne se retrouvant ni dans le genre "homme" ni dans le genre "femme". Nous prônons donc l’écriture inclusive comme moyen de visibiliser et tout simplement nommer les identités des personnes appartenant aux minorités de genre. La langue française ne nous aide pas beaucoup dans ce sens : comme nous l’avons vu, c’est une langue construite autour et pour le masculin. 
Nous vous présenterons ici différentes solutions se révèlant être plus inclusives.

Langage épicène

Il consiste à utiliser de mots non genrés du point de vue grammatical, c’est-à-dire des mots qui peuvent être employés de manière neutre, sans variation de forme. Par exemple des mots comme "les personnes", "quiconque" nous seront d’une grande aide. Certains noms de métiers sont aussi épicènes : archéologue, cinéaste, pianiste... On retrouve aussi certains prénoms qui le sont : Camille, Claude, Dominique...

Ecriture inclusive

L’écriture inclusive consiste à inclure dans un même mot les différentes identités de genre. Nous avons décidé de garder comme convention dans le cadre de la grève féministe du 14 juin la structure ".E.X.S". A la place d’utiliser un "TOUS" générique ("Nous sommes tous prodigieux") qui nous projète dans une pensée uniquement masculine, l’idée serait d’utiliser un mot qui inclut aussi bien les "TOUS" (masculin) que les "TOUTES" (féminin) ainsi que les minorités de genre qui ne se retrouveraient dans aucunes de ces deux catégories.
A l’écrit ça donne : TOU.TE.X.S. On ajoute donc un X comme marque de rupture avec la binarité de la langue. Cette forme a aussi le grand avantage de réellement théoriser cette question de la multitude des identités de genre que l’écriture inclusive ".E.S" écarte. C’est dans ce X que la majorité des personnes appartenant à des minorités de genre auxquelles nous avons fait appel se retrouvent. Elles précisent toutefois qu’aucune convention n’a encore été clairement fixée et qu’il est donc fondamental de rester à l’écoute de leurs revendications. Tous ces éléments constituent des pistes de réflexions vers une plus grande inclusivité, vers un langage moins masculin d’un côté et moins binaire de l’autre. Faites au mieux...

A éviter

Nous nous prononçons pourtant sur certaines écritures dites inclusives qui sont à éviter. Nous pensons à l’utilisation des parenthèses notamment. L’image est forte : mettre entre parenthèses ce qui n’est pas masculin. Nous pensons aussi à la déclaration de principe que, "dans ce texte, le masculin a une valeur universelle" : elle est aussi à fuir pour les mêmes raisons.
A l’oral toutefois nous sommes face à la difficulté de prononcer le X. Nous conseillons d’utiliser des formules épicènes ainsi que d’autres outils de langage tels que la reformulation par le groupe. Il sera préférable de dire "le corps estudiantin" plutôt que "les étudiants et étudiantes" ou encore parler de "la direction". Déjà ancrés dans certaines cultures, il est avisé d’utiliser des nouveaux pronoms tels que "iel" qui a été crée dans le but même de combler la lacune d’une langue française binaire. Ces limites ne légitiment pourtant aucunement de ne pas utiliser le langage inclusif à l’écrit.
Plusieurs pays ont déjà fait le choix d’inclure de nouveaux pronoms non-binaires de manière officielle dans leur langue. C’est le cas du nouveau (depuis 2015 officiellement) pronom "hen" en suédois qui a été introduit pour désigner une personne sans dévoiler son sexe (parce que l’information est superflue, que l’on ignore son genre ou encore parce que la personne est non binaire ou transgenre).

Les limites de l’écriture inclusive

Il faut garder en tête que certaines formules alternatives ne sont en général pas inclusives pour certaines personnes en situation de handicap au sens où les points médians • sont à l’heure actuelle non lus de manière totale par les logiciels de lecture (les points "full stop" . non plus puisqu’ils sont au départ destinés à montrer la fin d’une phrase) et compliqués pour de nombreuses personnes dys (souvent dyslexiques).
L’écriture inclusive correspond donc à ce grand chantier d’inclusion des personnes discriminées : nous nous sommes concentré.e.x.s sur la démasculinisation et la dégenrification de la langue. Le langage a toujours évolué avec la société, c’est ce qu’il doit faire aussi à présent. Nous vous souhaitons une belle déconstruction de votre langage ! Et mettons l’accent sur le fait que "le bizarre" est en rapport avec l’usage : « compositrice » était perçu comme auditivement désagréable avant que son emploi devienne courant.

Nos revendications

En pratique, si certains lieux de formation féminisent déjà leurs publications officielles, ce n’est pas suffisant pour une inclusivité générale. Nous revendiquons donc l’utilisation systématique et appropriée du langage inclusif non-binaire dans les milieux de formation qui inclut chaque identité de genre, que ce soit dans les statuts, les documents, les cours, les affiches ou les communications publiques et internes.

P.S.

Touxtes en grève le 14 juin !

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