“"Comme tous les parvenus, ces chefs de notre mouvement syndical étaient gonflés d’admiration pour eux-mêmes, leur habileté, leur entregent, et le plus petit d’entre eux s’imaginait être, au bas mot, un Talleyrand, voire un Machiavel ou un Napoléon. Chacun de ces messieurs était comme le propriétaire d’une vaste carte du pays plantée d’épingles indiquant les diverses localités dotées d’organisations plus ou moins considérables, et passsait le plus clair de son temps dans la contemplation et de ce jeu d’épingles et de son important personnage. De temps en temps, on déclenchait une grève à seule fin de démontrer que l’on était un homme d’action, et parce que cette grève, qui ne poouvait pas manquer de rater, allait une fois de plus prouver aux ouvriers à quel point il est dangereux de jouer aux grévistes."
Fritz Brupbacher, Soixante ans d’hérésie, 1935”
Rien ne va plus dans le milieu syndical à Genève ! Après une visite guidée plutôt réussie sur les traces du congrès de l’Association internationale des travailleurs (AIT) de 1866, c’est une soirée-débat sur l’avenir de l’internationalisme ouvrier organisée par la CGAS le jeudi 29 septembre qui est sous le feux des critiques. C’est surtout la présence d’un des participants qui fait réagir l’assemblée, et les raisons derrière ce courroux vont vous étonner.
C’est en effet rien de plus que l’ancien secrétaire général de la CGT française Bernard Thibault qui sera amené à s’exprimer ce jeudi 29 septembre à l’Université ouvrière des Grottes. Et puisque l’heure est à la mémoire, permettez-nous d’opérer un petit rétropédalage dans un passé proche.
Du fait de sa fonction, Thibault a été amené à un certain nombre de mouvements sociaux dans les années 2000 en défendant avec acharnement une ligne d’accomodement syndical avec le développement capitaliste (défense du Traité constitutionnel européen malgré la décision du Comité confédéral national de la CGT) et d’”union syndicale” (c’est-à-dire un alignement sur les positions de la CFDT de Chérèque).
Cette orientation a bien sûr un coût politique, elle impliquait de donner des gages au pouvoir quant à la modération dont était capable la CGT. C’est pourquoi Bernard Thibault n’a jamais voulu soutenir les grèves des Continental (Oise) ou du conflit de 2 ans et demi chez les Goodyear d’Amiens-Nord. La CGT Goodyear avait d’ailleurs écrit une lettre ouverte à Thibault en 2010, elle déclarait que face à “une catastrophe voulue et mise en place par un gouvernement et les patrons […], la réaction de la CGT est plus que timide : inexistante !!! […] Il va falloir quand même que vous réagissiez là-haut […] pour le moment ceux qui luttent se sentent bien seuls”
Il est vrai que les usines qui ferment, c’est moins sexy que d’aller prendre le thé avec Sarkozy !
De même, Xavier Mathieu (ex-délégué des Conti) déclarait au journal Le Monde en 2009 :
“Je ne reproche pas à Bernard Thibault de ne pas venir devant les usines,. Ce que je reproche à la direction, c’est qu’elle a refusé de nous soutenir quand nous étions convoqués au tribunal [pour les dégradations dans la sous-préfecture de Compiègne]. Quand on a demandé de l’aide, il n’y a que des partis politiques de gauche qui sont venus et aucune confédération syndicale, Alors que dans les sept convoqués, il y avait trois élus CGT, deux syndiqués et deux sympathisants. Dans les confédérations paysannes ou autres, on n’abandonne jamais ses adhérents. La CGT a laissé ses propres délégués dans la merde. C’est honteux.”
Heureusement pour lui, Thibault n’a pas eu à connaître les affres du chômage comme les anciens Conti. Par une sorte de pantouflage d’un nouveau type, le voilà embauché au comité exécutif de l’OIT. Il s’est maintenant donné l’objectif exorbitant "d’intégrer les normes sociales dans les accords de libre-échange" et de "donner à l’OIT un rôle aussi important que celui du FMI ou de l’OMC”. Dans une récente interview accordée à Mediapart au sujet du mouvement contre la loi Travail, il a également rappelé que la collaboration de la CGT avec les flics pour mater les “incontrôlables” se passait bien mieux durant les manifestations anti-CPE de 2006.
L’auteur d’un ouvrage récent sur l’AIT estimait que celle-ci pouvait être comparée à une sorte d’ “agence intergréviste” internationale. Une question se pose dès lors qu’on prend l’histoire un tant soit peu au sérieux : Faut-il vraiment avoir la tête pleine de merde pour inviter ce briseur de grève notoire à une commémoration de la naissance de l’AIT ?