Contrôle social - Surveillance

Nouvelle loi sur le renseignement : Grandes oreilles et grosses moustaches

Le renforcement de la surveillance en Suisse continue son bonhomme de chemin en surfant sur la vague de peur en Europe. Esquive te propose un petit point sur la situation à l’heure où les politiciens poussent pour toujours plus de surveillance préventive de la population.

Suisse |

Les feuilletons politiques ne sont pas avares en épisodes en Confédération helvétique. C’est le cas de celui qui entoure le projet de Loi sur le renseignement (LRens). C’est en avril 2015 que Renversé a parlé pour la dernière fois de l’arsenal du parfait petit mouchard que les élu-e-s suisses étaient en train d’offrir à ses espions domestiques. À l’époque, le Conseil national acceptait ce projet de loi qui prévoyait d’offrir la possibilité aux services de renseignement d’utiliser (de façon secrète et hors de toute enquête pénale) des chevaux de Troie, des drones, des micros dans des lieux privés, des fouilles de locaux, ou des agent-e-s inflitré-e-s sans aucun problème. Il ne manquait plus qu’aux Conseiller-e-s aux États de se prononcer. C’est chose faite. Le 17 juin 2015, ils et elles ont approuvé le texte avec quelques modifications mineures. Et un comité référendaire s’est formé ; il a réuni suffisamment de signatures - 56’000 - au début de cette année pour soumettre la LRens à un référendum le 25 septembre 2016.

Socialisme vaudois et surveillance

Certains soutiens à la LRens révèlent la bêtise des arguments en faveur de cette nouvelle loi pourrie. Et c’est dans le Canton de Vaud que la stupidité s’affiche le plus ouvertement. Ainsi, l’élu UDC du cru Jean-Luc Chollet file la métaphore à la radio pour décrire l’absolue nécessité d’un état fouineur : “Si vous avez un chat, le chat mange les souris avec ses dents. Mais il les chasse avec ses moustaches. Mais si vous coupez ses moustaches, il ne sert plus à rien.” De l’autre côté du spectre politique, la section vaudoise du parti socialiste a aussi décidé de soutenir la LRens. L’amour et la confiance que les socialistes vaudois vouent à l’État autour des questions de surveillance a de quoi mettre la larme à l’œil de tout grand sentimental. Deux arguments reviennent dans leur refus de s’engager contre cette loi. Tout d’abord, ils n’auraient pas envie de s’engager dans “un combat perdu d’avance” comme l’affirme le grand médium le courageux président du parti socialiste vaudois Stéphane Montangero. Mais c’est Géraldine Savary - Conseillère aux États socialiste vaudoise - qui étale le mieux dans la presse son plaisir de voir la capacité de nuisance de l’État renforcée. Pour elle, les mesures de contrôle imposées à la surveillance institutionnelle sont totalement suffisantes pour éviter des dérives. Et de toute façon, elle préfère “les services de renseignement sous contrôle du Parlement plutôt que d’avoir des sociétés privées qui nous espionnent ou des agences étrangères”. Comme si les uns excluaient les autres ; comme si les services de renseignement ne collaboraient pas entre eux ; comme si ce n’étaient pas précisément des sociétés privées fouineuses qui vendaient leurs produits aux services de renseignement (à l’image des Trojans de la société DigiTask par exemple). Heureux hasard de l’histoire, ce sont les élus nationaux - en grande partie socialistes - qui ont démonté par l’absurde l’argument de “mesures de contrôles adéquates” en nommant l’ex vice-directeur de la police fédérale (Fedpol), Adrian Lobsiger, à un poste clé de ce dispositif de contrôle du SRC : préposé fédéral à la protection des données. Qu’est ce qu’on se sent rassuré quand on sait que c’est un policier fouineur qui devra se charger de limiter les ardeurs d’espion de ses anciens collaborateurs.

Il est fascinant de constater à quel point la foi en l’État est toujours vibrante chez les sociaux-démocrates, malgré les scandales consécutifs liés à la surveillance en Suisse (dont ils sont souvent les premières victimes) - de l’affaire Cincera à celle des fiches en passant par les révélations sur le recrutement de collégiens par la police à Genève. Peut-être qu’il s’agit d’une stratégie à très long terme où les socialistes s’évertuent de renforcer la puissance de l’État pour le jour où il s’en saisiront par les armes. Mais les incongruités politiques autour de ce projet de loi ne s’arrêtent pas là. Alors qu’elle manie le baton avec dextérité d’habitude, une partie de l’UDC - autour du conseiller national lucernois et PDG du fournisseur d’hébergement green.ch Franz Grüter - s’oppose à la loi car l’augmentation de la surveillance des télécommunications en Suisse risque de faire perdre des clients aux opérateurs de réseau et fournisseurs d’hébergement du coin. Certains principes politiques sont solubles dans une bonne dose de croissance économique.

Don’t be stupid, protect yourself

En attendant la votation du 25 septembre ou un hypothétique référendum contre la révision de la Loi fédérale sur la surveillance de la correspondance par poste et télécommunication (et au vu des résultats généralement profondément réactionnaires des votations populaires en Suisse - Vive la démocratie semi-directe !), prônons une autre forme de pragmatisme que celui proposé par les hurluberlus socialistes. Comme Ueli Maurer lui-même le préconise, chiffrons au maximum nos communications. Avec les révélations sur la surveillance généralisée menée par tous les États du monde - et bien d’autres officines privées, ayons le réflexe d’utiliser des outils qui nous protègent au mieux des grandes oreilles indiscrètes. Car si la période est propice à la surveillance, elle l’est aussi à la démocratisation des technologies de chiffrement diverses et variées. Chiffrement de son disque dur, de sa connexion internet, de ses mails, de son téléphone, les outils existent et sont de plus en plus faciles d’accès. Mais aucune technologie ne remplacera la meilleure des stratégies : le silence et la discrétion. Avec la persistance des mémoires numériques, tout ce qui est communiqué sur Internet, tout ce qui est partagé sur les réseaux sociaux, pourra être retenu contre son émetteur, même dans dix ans.

Supprimer les libertés pour protéger les libertés

Il n’est pas de meilleur allié des ministres de la police que les djihadistes. À chaque attentat, les tenants d’une surveillance généralisée de la population essaient de faire passer leur immonde pillule. C’est à nouveau le cas après les récents attentats de Bruxelles. Le Genevois Pierre Maudet a sauté sur cette occasion pour montrer ses muscles dans la presse et se faire un nom au niveau national en brandissant la prétendue impuissance du Service de renseignement suisse (SRC). Ses idées ont trouvé un écho chez des élus PDC suisses allemands (Isidor Baumann et Ida Glanzmann-Hunkeler) qui ont demandé un arrêté fédéral urgent - un état d’urgence à la sauce helvétique - pour augmenter les moyens du SRC aujourd’hui et maintenant. On le voit, ce sont aux nombreux marchands de peur que l’actuelle vague d’attentats profite le plus.

P.S.

Difficile de faire ici la liste exhaustive des outils de chiffrement. Mais rappelons l’existence de la distribution Linux TAILS, du réseau Tor, du chiffrement en GPG des mails, mais aussi d’outils plus “grand public” tels que Protonmail, Cryptocat, Telegram, Signal, ou même Whatsapp.

Pour vous informer sur la question de la sécurité informatique, vous pouvez aussi lire les textes suivants :

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