Histoire - Mémoire

1898, un été de révolte à Genève

Petit dossier publié par le journal Esquive en 2014 au sujet de l’été 1898. Quelques mois qui ont vu se succéder une grève massive dans les métiers du bâtiment et l’assassinat de l’impératrice Sissi au bord du Lac.

Genève |

UNE GRÈVE GÉNÉRALE, DES PIERRES ET DES FUSILS

Le 27 juin 1898, 1000 menuisier et charpentiers se mettent en grève à Genève pour revendiquer une augmentation salariale. Dans son édition du 2 juillet, le Peuple de Genève, journal du Parti ouvrier socialiste et de la Fédération ouvrière annonce la couleur : "Aux provocations des employeurs le prolétariat répond par les balles de Cuivre.

Une première en Suisse

Des patrouilles de grévistes sont organisées chaque matin pour aller débaucher ceux qui travaillent encore, et, à 9 heures, l’assemblée journalière réunit à chaque fois plus de 600 grévistes. Le samedi 16 juillet, au bâtiment électoral – où se trouve maintenant Uni-Dufour, l’assemblée populaire de la Fédération ouvrière et du bâtiment rassemble 4000 personnes. Plus de dix corps de métiers confirment leur participation à une grève générale du bâtiment annoncée pour le lundi suivant. C’est la première fois en Suisse que des ouvriers se mettent en grève, non pas pour améliorer leurs propres conditions de travail, mais pour soutenir les revendications d’un autre corps de métier.

Caillassage et revolver

Le lundi 18 juillet à 8 heures, un gros cortège se met en branle à Plainpalais. Il arpente la ville durant plusieurs heures. Débauchant des ouvriers qui travaillent en leur arrachant leurs outils des mains, caillassant les gendarmes qui protègent les chantiers et renversant des chars qui transportent du matériel. Vers 11 heures, à la Rue du Temple, lors d’une charge policière « revolver au poing », qui permet l’arrestation de deux « anarchistes », une dizaine de gendarmes sont blessés, dont un grièvement. Mardi après-midi vers 16 heures, alors que la police tente de disperser les manifestants, un coup de feu part du rang des grévistes et vient se loger dans le fourreau du sabre d’un gendarme. Le tireur se fait arrêter dans la foulée et sera jugé quelques mois plus tard. Ce jour-là, la police procède à plusieurs arrestations de grévistes à leur domicile. C’est ainsi que dans la nuit de mardi à mercredi, dans le quartier des Grottes, lorsque les gendarmes forcent la porte de l’appartement d’un gréviste, ce dernier tire cinq balles mais manque ses cibles. Il est ensuite tabassé et emmené au poste.

Puis l’armée

Mercredi matin, le Conseil d’État, avec l’accord de Charles Thiébaud, premier élu socialiste à l’exécutif genevois, fait appel à l’armée pour rétablir l’ordre. Un bataillon de 715 militaires est déployé sur la ville alors que 500 autres rentrent en caserne. Quelques incidents auront encore lieu mais cette démonstration de force aura découragé la plupart des grévistes. Au final, les employeurs acceptent une légère augmentation quelque peu décevante pour la Fédération ouvrière du bois et du bâtiment qui est tout de même fière d’avoir su organiser une grève d’une telle ampleur.

L’ARISTOCRATIE CROISE L’ANARCHIE À GENÈVE

Le 10 septembre 1898, Luigi Luccheni, un manoeuvre italien qui travaille sur des chantiers lausannois assassine l’Impératrice Sissi sur le quai du Mont-Blanc à Genève. Il est arrêté quelque instants plus tard à la rue des Alpes et emmené au commissariat du Bourg-de-Four. Lors de son interrogatoire, l’ouvrier affirme être anarchiste et se réjoui à l’annonce de la mort de sa victime, incarnation de l’aristocratie. Personne ne prendra sa défense publiquement mais il recevra de nombreuses lettres de soutien venant de toute l’Europe.

Dans la presse bourgeoise, on dira qu’il est un « fou sanguinaire », on reprendra les thèses du tristement célèbre criminologue Lombroso pour affirmer que l’origine de sa délinquance est génétique et on regrettera que la peine de mort soit abolie à Genève.

Qui sont ceux qui subissent ?

Ce sont des ouvriers comme Luccheni qui ont construit Genève, se tuant parfois à la tâche pour des salaires de misère pendant que l’aristocratie des quatre coins du globe se trémoussait dans les hôtels du bord du lac. C’est face à cette violence institutionnalisée que les grévistes du mois de juillet 1898 se sont organisés. L’arrogance avec laquelle la bourgeoisie dans son ensemble a réagi à la grève démontre le climat de guerre sociale qui régnait à cette époque. L’acte de Luccheni doit être placé dans ce contexte pour être compris. Pendant qu’en 1998 on érigeait une statue de Sissi l’aristocrate, la tête de Luccheni l’ouvrier macérait encore dans un bocal rempli de formol, à la disposition des criminologues, derniers rouages de la machine qui a tout fait pour dépolitiser complètement l’acte de l’anarchiste italien.

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