Anticapitalisme COP21

[Paris] Ce qu’il faut retenir de l’Urgence institutionnalisée (jusqu’à maintenant...)

L’état d’urgence décrété en France le 14 novembre 2015 par François Hollande a plongé un pays dans le flou le plus total et ce, à tous les niveaux. Les premiers rassemblements en marge de la Cop21 ayant eu lieu ce week-end, il s’agissait pour nous, collectif d’une dizaine de militant.e.s venu.e.s de Romandie, de tester « sur le terrain » ce qui varie de l’ordinaire dans un contexte de démence sécuritaire accrue. Grace à l’expérience que nous vivons depuis près d’une semaine, nous espérons pouvoir tirer quelques enseignements ce que signifie l’État d’urgence et de quelles implications il a pour nous, militant.e.s.

Paris |

Première épreuve, le passage des frontières. Selon notre expérience, celle-ci s’est déroulée sans problèmes et ce, quel que soit le moyen de transports utilisé (auto, train, bus). Bien que prié.e.s de s’arrêter à la douane, des camarades ont pu repartir aisément alors que le conducteur n’avait ni permis de conduire ni carte d’identité. « La guerre contre le terrorisme mené.e.e par l’État serait-elle avant tout médiatique ? » nous sommes-nous demandé.e.s ; il serait précipité d’y répondre par l’affirmative à ce stade mais voici déjà un premier élément de réponse. Quant au retour de celles.ceux d’entre nous n’étant plus sur place, lui aussi s’est déroulé tranquillement.

En vrai, nous nous attendions à un voyage dans une France ultra sécurisée, peut-être avons-nous, nous aussi, été contaminé.e.s par les formidables relais que sont, pour le gouvernement, BFM TV, TF1, Le Figaro, etc. Nous étions donc joyeuses.eux d’atteindre la Ville Lumière (ou plutôt Ville Sirènes) aussi facilement. Les premières.ers d’entre nous étant arrivé.e.s à Paris depuis bientôt une semaine, nous n’avons croisé qu’une ou deux patrouilles de militaires, alors que nous en avions vues un million à la télévision. Autre élément de réponse.

La présence policière, sphères militantes exceptées, n’est marquée que sur les grands boulevards parisiens et autres axes routiers. Dimanche soir, certain.e.s d’entre nous ont pu croiser un flic tous les dix mètres sur le Boulevard du Temple, boulevard de l’hypercentre parisien. L’un deux, cernes marquées, nous rappelle que ses collègues d’Île de France et lui ne bénéficient d’aucun congé payé pendant l’entier des négociations officielles de la Cop21 et qu’il ne comptait plus les heures supplémentaires passées au froid. Nous avons beaucoup quadrillé Paris et sa périphérie depuis une semaine et n’avons constaté aucune présence policière sortant de l’ordinaire dans les quartiers populaires. Rien de surprenant, l’État n’a jamais eu le souci de ces dernières.ers, sauf quand il s’agit de les stigmatiser davantage en les classant « Zones d’éducation prioritaire » ou en y assassinant des jeunes comme en 2005 (Zyad, Bouna et tous.toutes les autres, on ne vous oublie pas).

En ce qui concerne les milieux militant.e.s, engagé.e.s ou non dans l’Anticop21, il semblerait que l’État ait choisi sa stratégie, les terroriser. En voici un petit florilège : perquisitions, assignations à résidence, RG ou fourgons parqués jour et nuit devant nos lieux de vie, fermeture administrative de l’université Paris 7 où se déroulait des conférences et des AG de l’Anticop21, etc. Certain.e.s d’entre nous ont été menacé.e.s d’arrestation par des CRS alors qu’ils approchaient l’université Paris 7 pour y assister à une AG de l’Anticop. À ce moment, nous hésitons encore entre le rire et les larmes quant à cette Valls sécuritaire qui s’abat sur l’opposition politique. En revanche, le déroulement de la manifestation du 29 novembre à Place de la République ne nous laissera que nos mouchoirs.

C’est rempli.e.s de bonne humeur que nous nous levons dimanche pour aller manifester et faire entendre notre message, l’anticapitalisme. À la vue de notre banderole, un conducteur de métro sortira même de sa cabine pour nous encourager à braver l’état d’urgence et à faire entendre notre voix, mais pas trop longtemps. En effet celui-ci nous confie, non sans humour, avoir peur de perdre son boulot si d’aventures il était entendu ou enregistré. Nous reprenons donc le chemin de la place, dont le réaménagement a été achevé en 2013. Désormais débarassée de son « mobilier urbain disparate », la Place de la République constitue un véritable terrain de jeu pour CRS en mâle de divertissement.

Toutefois, nous déchanterons vite. Arrivé.e.s Place de la République vers 13h, nous sommes fouillé.e.s et rejoignons les quelques millier de manifestant.e.s déjà présent.e.s. L’ambiance est festive. Toutefois, la terrible répression à venir est palpable. Il se trouve que chaque rue permettant l’accès à la place est bouclée par un cordon de CRS, qui sera doublé voir triplé au cours de l’après-midi. Suite à plusieurs tentatives infructueuses un cortège se met en branle, cette fois sous l’impulsion d’Alternative Libertaire. La manifestation est lancée mais n’en est pas une, car tournant en rond autour d’une seule et même place. Après un essai avorté de percée côté Sud, le cortège a repris son chemin en sens inverse avant que la Place de la République se retrouve gazée. Les scientifiques nous ont roulé.e.s, nous étions sûr.e.s d’habiter une planète tellurique et non gazeuse. Les CRS ne voulaient pas qu’une « véritable » manifestation ait lieu (après mûre réflexion, nous ne sommes toujours pas sûr.e.s qu’ils aient pris la décision seuls).

Il importe peu de savoir qui a commencé ni de discuter stratégie, il aurait dans tous les cas été impossible de manifester ; l’État l’avait décidé. Les Black Blocs « en embuscade » tant redoutés par les RG n’étaient qu’un prétexte (voir "une" du Figaro du 28 novembre 2015), un prétexte pour instrumentaliser la symbolique d’un lieu afin de retourner l’opinion publique contre la mouvance écologiste. Force est de constater que la manœuvre fut une réussite. Que dire de ce « reportage » de BFM TV où les plans mettant en scène une « journaliste » devant le Monument de la République relatant, une fois le calme revenu, les événements du jour et les plans des images des heurts de l’après-midi se succèdent. Impossible dès lors de ne pas associer l’un à l’autre, le.la manifestant.e à l’ennemi des valeurs républicaines, qu’elle.il soit d’accord ou pas avec ce que le discours des valeurs de la République implique (pour aller plus loin, voir "Le discours des valeurs de la République : Un nouveau masque de l’idéologie dominante" de Saïd Bouhamama).

Dès lors, la place s’est alors retrouvée en quarantaine, sans possibilité de sorties. Les CRS ont pu se déployer comme à l’entraînement, en plusieurs phases, nettoyant la place minutieusement et matraquant à tout va des manifestant.e.s agenouillé.e.s les bras en l’air. Environ deux cents d’entre elles.eux se sont retrouvées séquestré.e.s par les CRS dès 16h dans une nasse. Plusieur.e.s d’entre nous s’y sont retrouvé.e.s. Nous ne pouvons donc pas, par souci d’objectivité, relater la suite des événements sur le reste de la Place (d’autres articles l’ont déjà très bien fait).

Pendant près de quatre heures, nous n’avons eu que notre solidarité à opposer aux armes des CRS. Ceux-ci ont commencé à procéder à des interpellations arbitraires en pénétrant à coups de tonfa la foule tout en faisant mine de cibler leur proie (présence de médias oblige). Toutes ces intrusions n’ont fait qu’amplifier notre solidarité, et à chaque rafle la flicaille perdait plus d’énergie qu’à la précédente. Nous n’avions (pourtant) pour revendication que celle de repartir libres. Par chance, une charrette sur laquelle était montée une sono s’est elle aussi vue prise au piège. Bien qu’entouré.e.s de CRS, une véritable rave a alors pu s’improviser. Rave à laquelle les flics n’étaient pas les bienvenu.e.s, les manifestant.e.s ont tenu à le préciser en scandant à leur attention : « Vous n’êtes pas invités à notre fête ! ». Ces relous de CRS ont continué, en vain, à essayer de s’y taper l’incruste, jaloux. À ce moment, Paris devait certainement être la plus grosse rave du monde.

Vers 20h, les CRS, par le biais d’un mégaphone, nous ont proposé de repartir « libres » après fouilles et contrôles. Le contrôle de nos identités ayant été refusé massivement, nous sommes reparti.e.s après une brève fouille. Le chef CRS nous l’a dit, les cognes n’avaient pas l’intention de « rester toute la nuit sur la place » ; on sait pourquoi, Le film du dimanche soir.sur TF1 commence à 20h55 tapante. Nous ne saurons jamais quelle raison aura motivé les flics à nous laisser repartir sans même contrôler nos identités, peut-être le quota d’arrêtés avait-il été atteint ? Osons croire que la solidarité affichée près de quatre heures durant entre toutes les personnes séquestré.e.s y soit pour quelque chose, nous en aurons besoin pour la suite des mobilisations ; qui plus est face à un État prêt à user de tous les stratagèmes pour assoir le succès de sa Mascarade21, y compris l’instrumentalisation de la symbolique des victimes du 13 novembre.

Nous retiendrons de l’État d’urgence qu’il n’est pas palpable dans la vie de tous les jours, qu’il ne concerne que celles.ceux qui osent douter de sa légitimité. Selon une logique étatique, il est normal que celles.ceux qui remettent depuis longtemps en cause les fondements les plus profonds d’un système soient les premières.ers à être happé.e.s par ses dérives sécuritaires. Face à un antiterrorisme qui semble s’institutionnaliser comme mode de gouvernement, SOLIDARITÉS avec toutes.tous les arrêté.e.s et assigné.e.s. C’est pour eux et pour leur lutte que nous continuerons à braver l’État d’urgence avec le sourire, car nous sommes convaincues.s que nous avons raison, la COP21 symbolise les incohérences profondes du système capitaliste. Nous vous invitons à en faire de même.

https://www.youtube.com/watch?v=3XxR7d7a6tQ

P.S.

La Quadrature du net qui agit au quotidien pour la défense de nos libertés fondamentales sur internet a mis en place une page collaborative afin de recenser les articles de presse sur l’état d’urgence et ses abus/dérapages avec à la fois un classement par date et par thématique.

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Cette page contient des liens, des situations et des récits comportant de l’islamophobie et faisant état de violences policières.

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