Pensées politiques

Dans le miroir du passé. Aux racines de l’écologie politique

L’écologie politique ne se satisfait pas d’essayer de préserver l’environnement ou d’adapter notre système socio-économique aux limites de la planète, elle vise la construction d’un monde nouveau dans lequel les questions écologiques font partie intégrante – et centrale – d’un projet d’émancipation pour toutes et tous.

On fait souvent remonter aux années ’60 la naissance de cette approche de l’écologie et elle généralement opposée aux réflexions environnementalistes précédentes, dépeintes comme conservatrices ou réactionnaires. Or, une histoire plus attentive montre pourtant que certains courants de gauche ont marié les questions écologiques aux questions sociales dès les débuts de leurs luttes, mais que ces tendances critiques du progrès ont toujours été marginalisées par une majorité essentiellement productiviste.

Mai ‘68 : « la nature passe de droite à gauche » ?

Bernard Charbonneau a écrit que, dans les années 60, « la nature passe de droite à gauche ». La question, en réalité, n’est pas si simple. La nature a été, et reste encore, un grand champ de bataille, sur lequel se font face des traditions philosophique et politiques très variées. L’écologie n’est pas née réactionnaire ou conservatrice, et elle n’a pas non plus – malheureusement – été ensuite complètement intégrée dans le champ de l’émancipation sociale. S’il est indéniable qu’écolos et gauchistes se côtoient depuis les années 70 dans de nombreuses luttes, autant chez les uns que chez les autres nous pouvons constater l’existence de nombreuses réticences.
Avec l’aggravation de la crise écologique actuelle et face au risque grandissant que la réponse – très (trop ?) tardive – aux menaces climatiques et naturelles prenne la forme d’un éco-fascisme technocratique, il se révèle utile d’interroger « le miroir du passé », comme l’aurait dit Ivan Illich. C’est-à-dire de rechercher dans les origines méconnues de l’écologie politique des utopies et des voies vers l’indispensable articulation des perspectives environnementalistes et émancipatrices. En réalité, des voix essayant de formuler ce que l’on pourrait définir comme une critique progressiste du progrès et d’esquisser les contours d’une écologie émancipatrice ont été présentes depuis les débuts, mais ont été marginalisées...

Contre la révolution industrielle et ses ravages…

Tel est précisément le but du récent ouvrage du philosophe Serge Audier, La société écologique et ses ennemis(1), qui – sans nier l’existence d’une tradition écologiste de droite – reconstruit une généalogie intellectuelle alternative, bien ancrée à gauche, solidaire, émancipatrice et parfois même féministe de l’écologie. On y découvre que les questions sociales ne se sont pas liées à celles de l’écologie dans les années ’60 mais qu’elles se sont entrelacées profondément dès le XIXe siècle déjà, dans les réflexions, les pratiques et les luttes de nombreux.euses penseur.euses et militant.es appartenant aux principaux courants progressistes de l’époque – de l’anarchisme au socialisme utopique ou romantique.

L’écologie ‘politique’ telle que nous l’entendons aujourd’hui a donc surgi dès que la révolution industrielle commença à bouleverser tant les sociétés que la nature.

L’ampleur des ravages humains, sociétaux et environnementaux de ce prétendu progrès suscita en réalité des critiques immédiates et radicales dans les mouvements anarchistes, libertaires et socialistes. Ainsi, si certain.es des auteur.es cité.es par Audier nous sont déjà connu.es pour leurs réflexions écologiques – Elisée Reclus, Henry D. Thoreau, William Morris, etc - ce qui frappe le plus au fil des pages, c’est l’ampleur à la fois des voix dissidentes et des thèmes développés dans leurs écrits. De la critique de la ville industrielle à la défense des animaux en passant par l’extractivisme, les nuisances quotidiennes, la laideur de la société industrielle, le scientisme politique, le productivisme, l’élevage industriel, l’impérialisme, etc, les principaux territoires de lutte de l’écologie politique actuelle étaient dès le début au centre des réflexions d’une partie des théoricien.nes et militant.es de gauche.

… un écologisme radical

La radicalité de ces premières approches écologiques se révèle aussi dans la constante recherche des causes premières, des ‘racines’ des problèmes environnementaux observés dès les débuts du productivisme. Particulièrement intéressante est, à cet égard, la précoce reconnaissance du lien existant entre l’absolutisme de la propriété privée – véritable pilier du système capitaliste – et la destruction de la nature. En 1850 déjà, Elisée Reclus comprit et dénonça la manière dont la privation des terres et des ressources entraînait leur surexploitation et leur dégradation.
Ces pionniers.ères de l’écologie politique se distinguent ainsi par leur capacité d’enchâsser les questions environnementales au sein d’une perspective plus large. En comprenant que la domination de l’homme sur l’homme suit les mêmes logiques que la domination de l’homme sur la nature, d’autres formes de dominations furent alors rendues visibles. Ainsi, l’on commença par exemple à dévoiler également l’exploitation dont sont victimes les femmes. Dans la revue Mother Earth, fondée par l’anarchiste Emma Goldman, ou encore – pour citer l’exemple d’une anarchiste suisse de la première moitié du XXe siècle – dans la pensée de Margarethe Faas, l’émancipation des femmes allait de pair avec l’émancipation dans la nature, anticipant les thèses éco-féministes qui vont se développer et diffuser quelques décennies plus tard.

La (re)découverte de ces écologismes pionniers, féministes, sociaux et anti-autoritaires, infirme donc les thèses malheureusement encore très répandues sur le caractère intrinsèquement et originairement réactionnaire et anti-humaniste de l’écologie – résumé par la célèbre formule de Marcel Gauchet : « sous l’amour de la nature, la haine des hommes ». En prêtant l’oreille à ces voix marginalisées ou oubliées qui nous proviennent du passé, ainsi qu’en redécouvrant les nombreuses luttes et résistances collectives envers toute forme de destruction des modes de vies pré-industriels et de la nature, nous pourrons enfin repolitiser l’écologie et bâtir ensemble une société véritablement écologique et libératrice.

P.S.

1. Editions La Découverte, 2017.

Plus d’infos sur le journal : http://www.achetezmoins.ch/. Il est tout à fait possible de commander d’anciens numéros, en fonction du stock disponible.

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