Dans son ouvrage récent « Voisinages & Communs », P. M. (alias Hans Widmer) écrit que pour ne pas ruiner la Terre, la puissance énergétique consommée devrait être, en moyenne et par habitant, de 1000 watts, alors qu’elle est actuellement de 2300 watts. Il rappelle que les USA et les autres pays occidentaux consomment beaucoup plus (10’000 pour les USA, 5 à 6’000 pour les autres). Nous reproduisons ci-dessous ce qu’il écrit sur la possibilité d’atteindre ce niveau de 1000 watts.
Des voisinages sobres
« Si on considère la planète comme un Commun, la part de consommation d’énergie qui revient à chacun devrait être sensiblement la même (corrigée en fonction du climat, du rapport ville/campagne et des conditions locales). En Éthiopie, cette part est actuellement de 100 watts. 500 seraient probablement plus équitable, et 1500 dans des zones plus froides serait tout aussi acceptable. Une division par 6 est réalisable en fonction de l’efficacité technique, des énergies renouvelables et d’un mode de vie moins luxueux, mais plus collectif. La SUFFISANCE implique un mode de vie qui peut être illustré par les valeurs de consommation suivantes correspondant à un menu à 1000 watts par personne :
- 20 m2 de surface habitable privée (à bonne température) dans un bâtiment bien isolé ;
- pas de voiture ;
- pas de voyage en avion ;
- 9 km par personne et par jour en train (aujourd’hui, ce sont en moyenne 6 km) ;
- un voyage [par an] de 2000 km en train ;
- un voyage de 12’000 km en bateau écologique ;
- 18 kg de viande par an (aujourd’hui 50 kg) ;
- 70 litres d’eau par jour (aujourd’hui 160 litres) ;
- 1 journal pour 10 habitants.
A noter qu’il ne s’agit pas du mode de vie imposé, mais d’une illustration quantitative d’une possibilité parmi un ensemble multiple de consommations d’énergies. Celles et ceux qui ne mangent pas de viande, par exemple, peuvent avoir une voiture : les végan.e.s conduisent [1]. Celles et ceux qui ont besoin d’une plus grande surface habitable peuvent renoncer volontiers au voyage en train, puisqu’ils sont si bien chez eux ! […] L’idée n’est pas tant de recycler que de ne pas utiliser des biens ou des services dont nous n’avons pas besoin de manière impérative. […] Mais c’est pour une toute autre raison encore qu’une société moins énergivore est souhaitable. Comme Marcel Hänggi l’a si bien décrit dans son livre Ausgepowert [2], le pouvoir génère également du pouvoir.
Ce qui veut dire qu’un flux important d’énergie demande plus d’investissements sociaux pour contrôler et maîtriser sa production et ses utilisations. Il y a donc plus de pouvoir en jeu et, en règle générale, ce sont ceux qui en ont déjà qui en profitent.
[…] L’énergie en soi peut avoir des effets dévastateurs, même sans parler des accidents nucléaires ou des naufrages de pétroliers. […] Une vie avec moins d’énergie est plus lente, plus légère, plus directe, plus insouciante. La proximité spatiale qui l’accompagne est également une proximité sociale » [3].
Moins d’énergie pour plus d’équité
Dans son livre « Énergie et équité » publié en 1975, Illich insiste d’une manière similaire sur la nécessité de la décroissance de la consommation d’énergie. Il écrit :
« Une politique de basse consommation d’énergie permet une grande variété de modes de vie et de cultures. La technique moderne peut être économe en matière d’énergie, elle laisse la porte ouverte à différentes options politiques. Si, au contraire, une société se prononce pour une forte consommation d’énergie, alors elle sera obligatoirement dominée dans sa structure par la technocratie et, sous l’étiquette capitaliste ou socialiste, cela deviendra intolérable. […] Même si l’on découvrait une source d’énergie propre et abondante, la consommation massive d’énergie aurait toujours sur le corps social le même effet que l’intoxication par une drogue physiquement inoffensive, mais psychologiquement asservissante. Un peuple peut choisir entre la méthadone et une désintoxication volontaire dans la solitude, entre le maintien de l’intoxication et une victoire douloureuse sur le manque, mais nulle société ne peut s’appuyer là-dessus pour que ses membres sachent en même temps agir de façon autonome et dépendre d’une consommation énergétique toujours en hausse. A mon avis, dès que le rapport entre force mécanique et énergie métabolique dépasse un seuil fixe déterminable, le règne de la technocratie s’installe. » [4]