Histoire - Mémoire

[Genève] 1977 Grève des loyers et syndicats proprios

En 1977, un vent de révolte souffle chez certains locataires genevois. Face à la hausse continue de leurs loyers, ils se mettent en grève contre leurs propriétaires. Seul hic, les propriétaires en question sont des syndicats qui font fructifier leur patrimoine.
Un article publié par Esquive en juin 2013 dans le numéro 100.

Genève |

De mars à octobre 1977, plusieurs centaines de locataires des « grands ensembles » des Avanchets, du Lignon et d’Onex entament une grève des loyers. Cette décision, prise en assemblée, représente le moment de radicalisation d’une lutte débutée entre 1975 et 1976. Elle s’opposait à une énième hausse des loyers (la dixième en douze ans à Onex) et, dans le cas des Avanchets dont le chantier vient d’être achevé, pratiquement consécutive à l’emménagement des locataires. Cette lutte a conduit les habitants à fonder des associations, qui se heurtent au mur que leur opposent les propriétaires, et à l’échec des démarches juridiques. Resté presque méconnu, ce conflit a pris une forme inattendue et inédite en Suisse. Les habitants se sont retrouvés seuls face aux propriétaires et aux poursuites pour dettes qu’ils engagent, et à l’État et sa police (durant l’été 1977, les huissiers qui avaient jusqu’ici pu être repoussés forcent les serrures pour inventorier les valeurs saisissables).

Les syndicats, copropriétaires d’une partie des appartements avec les associations patronales, participent à la répression tandis que les fractions radicales de la gauche institutionnelle semblent presque toutes se tenir en retrait du conflit. Comment expliquer la sourde oreille des syndicats-propriétaires aux revendications des habitants et l’hostilité de l’institution officielle de protection des locataires, le Rassemblement pour une politique moncul-sociale du logement (RPSL) entraînant le refus de l’ASLOCA, son organe juridique, de défendre les grévistes ? D’une part, la participation des syndicats socialistes à la cogestion des immeubles s’inscrit dans une sorte de « paix sociale du logement ». La gauche et les syndicats, à partir des années 1970, décident de valoriser les caisses de pensions par la construction de logements subventionnés, notamment au travers de la fondation Arc-en-ciel. Cette grande entreprise de planification urbaine ne peut pas s’embarrasser des luttes autonomes de ceux qui sont pourtant les premiers concernés. S’ils n’arrivent pas à comprendre la logique qui anime les institutions officielles de la gestion urbaine, c’est qu’ils sont « manipulés par des gauchistes », accuse le RPSL. D’autre part, on assiste durant les mêmes années à la mise en place d’un cadre législatif améliorant la protection des locataires. Le conflit est donc jugé « inopportun » alors qu’au même moment l’initiative du RPSL est discutée au Grand-Conseil. Au soutien de l’action collective, le RPSL préférait déjà la défense juridique individuelle assurée par l’ASLOCA, contribuant du même coup à la dépolitisation de la question de l’habitat. Les habitants grévistes se sont heurtés à une politique du logement d’où sont nécessairement exclus les premiers concernés.

Les maisons à ceux qui les habitent espérons-nous encore. Cette
histoire, loin d’avoir été entièrement contée, nous montre au moins qui sont nos ennemis.

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