Devant les scénarios catastrophistes d’effet de serre et de réchauffement climatique, la Conférence des états signataires décident de prendre la situation en main : ils mettent en place le protocole de Kyoto. Celui-ci prétend limiter ou réduire l’émission de gaz à effet de serre (dit émissions anthropiques agrégées) des états (dits Parties) industrialisés et économiquement forts. Pour ce faire, il impose des quotas d’émissions de gaz spécifiques à chaque pays signataire, qui varient de -8% à +10% [1].
Mais la seule catastrophe que craint la COP est une réelle réduction d’émissions, en raison de son impact sur l’économie globale. En effet, d’une part, la majorité de l’économie dépend du pétrole et par conséquent, de la génération de CO2 (industrie, transports, immeubles etc.). Et en plus, le consommateur principal d’énergie demeure le secteur économique (industries, secteur tertiaire etc.). D’autre part, les stocks d’énergie (carbone, pétrole et uranium) vont vers l’épuisement. Et c’est justement cette épuisabilité qui les rend plus compétitifs au marché. Mais ce n’est pas la première fois que l’économie « mondiale » repose sur une fondation aussi précaire. Le WWF nous le rappelle : ce Fonds mondial pour la nature a lancé un crédit-carbone échangeable à la bourse, le Gold Standard, en français Étalon-or.
Face à l’éventualité d’un effondrement, les Parties préfèrent libéralement ne pas opérer des changements fondamentaux. Le protocole de Kyoto se veut flexible et met en place trois mécanismes qui assurent l’ordre économique établi.
Monétarisation de l’atmosphère terrestre partagée
Le premier mécanisme [2] consiste à monétariser les émissions de gaz (ou bien l’atmosphère terrestre partagée selon les termes officiels). Les quotas de réduction se traduisent en permis (unités) d’émission, exprimés en crédit-carbone. Un crédit-carbone correspond à une tonne de CO2. Chaque état attribue ces crédits-carbone aux entreprises polluantes et leur cède ainsi le droit de polluer. Toutefois ces entreprises ne sont pas réellement contraintes à diminuer leurs émissions de gaz, puisqu’elles ont la possibilité d’augmenter leur avoir de crédits-carbone, et donc leur droit à polluer. Car ces crédits-carbone sont négociables, à savoir échangeables sur le marché. De ces transactions naissent les bourses du carbone, où on peut acheter et vendre des droits à polluer.
Ce n’est pas le seul moyen de spéculation sur le carbone. Sous l’enseigne du développement durable et au nom de la Sainte-écologie, un nouveau secteur d’investissement s’invente et s’instaure : le marché vert. Deux mécanismes de compensation s’inscrivent alors dans ce cadre et permettent aux entreprises d’acquérir des crédits-carbone tout en augmentant leur du capital.
le Mécanisme de Développement Propre (MDP) [3] donne la possibilité d’investir dans des projets qui réduisent ou évitent des émissions dans des nations moins riches et sont récompensés de crédits pouvant être utilisés pour atteindre leurs propres objectifs d’émissions.
L’Application Conjointe (AC) [4], qui est similaire au MDP, sauf que les entreprises sont tenues à investir dans un pays développé ou une économie en transition, tous les deux signataires du Protocole. Concrètement, ces projets consistent à construire des installations dans les pays d’Europe de l’Est et de l’ex-Union soviétique également appelées économies en transition. Ces projets sont financées par les pays d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord.
Ces mécanismes ne visent pas à réduire la quantité de gaz émis, mais de la compenser. Par exemple, un parc d’éoliennes éviterait en théorie une centrale au charbon. Pour chaque tonne de CO2 évité, un crédit-carbone est accordé et donc le droit d’émettre une tonne de CO2. Autrement dit, pas besoin de remplacer une centrale au charbon par un parc d’éoliennes. Selon le protocole de Kyoto et son marché du carbone, il vaut mieux avoir les deux. Même si les éoliennes ne tournent pas.
Hormis ces deux mécanismes, il est aussi possible d’investir, et donc gagner des crédits-carbone par compensation, conformément à l’Utilisation des terres, changement d’affectation des terres et foresterie (UTCATF [5]), la plupart du temps dans les pays en développement. Notamment dans la biomasse ou encore contre la déforestation afin de préserver une forêt (dit puits de carbone). Dans les deux cas, une entreprise se voit transférée la gestion de la forêt (selon REDD+ [6]) ou des champs, si ce n’est qu’elle en devienne carrément la propriétaire. Elle décide donc à distance du sort de ces terres privatisées : plantations industrielles, implantation des sociétés d’exploitation forestière, gestion de l’eau et ainsi de suite.
Tous ces mécanismes génèrent des crédits-carbone avec des appellations différentes (CER, ERU et ainsi de suite) mais reviennent tous à équivalence, c’est-à-dire un crédit-carbone équivaut une tonne de CO2 (évité).
Pour les pays qui n’ont pas signé ni adhéré au protocole de Kyoto, il existe des plateformes d’échange volontaire. C’est le cas des Étas-Unies. La platefrome Chicago Climate Exchange (CCX), mise en place en 2003, lance en 2005 le European Climate Exchange, acteur principal de la bourse du carbone en Europe (Système Communautaire d’Échange de Quotas d’Émission (SCEQE)). C’est pour CCX que le WWF élaboré son crédit-carbone spécial, le Gold Standard.
Ce marché, qui capitalise et comptabilise l’air pollué et l’air pur (CO2 évité), fait bénéficier aux projets soumis à ces mécanismes des fonds spécifiques, en plus de l’attribution de crédits-carbone. À titre d’exemple, l’UE subventionne les projets d’énergie renouvelable [7] et Le Fonds de partenariat pour la réduction des émissions de carbone [8] (avec comme partenaire principal la Banque Mondiale) finance les projets de gestion de forêts.
Économie durable, écologie inutile
Et voici comment la COP s’invente un système qui garantit la seule durabilité qui l’importe : l’économie et toute sa dimension sociale.
Reprenons l’exemple des éoliennes. Une éolienne ne tourne jamais à plein régime : en dessous d’une certaine vitesse, la turbine ne peut pas tourner, et en dessus, elle risque d’être abîmée. Cette vitesse souhaitée ne peut en aucun cas être stable. Le manque généré est donc nécessairement comblé par l’énergie conventionnelle, à savoir le charbon ou bien le nucléaire. Et c’est ainsi que EDF et GDF Suez, par exemple, peuvent assurer leur production d’énergie au charbon et au nucléaire (le nucléaire est exclu des mécanismes de Kyoto, mais il n’est pas interdit pour autant). Grâce à leurs centrales à charbon délocalisées ou rachetées, dans les pays de l’Est pour EDF et en Italie et en Australie pour GDF Suez, elles obtiennent des crédits-carbone et bénéficient des mécanismes de compensation. Elles investissent donc à travers leurs filiales et/ou des Consortium ou Groupements, touchent à des subsides et à des fonds spécifiques, font augmentent les factures d’électricité pour financer leurs projets dans les pays où ils ont lieu, et sont en fin labellisées comme ‘vertes’.
Mais concrètement, les installations d’énergie renouvelable se voient contraintes par leur rendement limité. Ce n’est que par leur étendue qu’elles pourraient concurrencer la quantité d’énergie produite par les ressources finies.
Cette “nature”, cet “héritage à nos enfants”, que tout le monde fait des mains et des pieds pour préserver, n’est dans les faits qu’une usine monstrueuse qui extrait, transforme et approvisionne. De l’agriculture aux énergies vertes, des mines aux loisirs, l’économie de marché y trouve de quoi se stabiliser et se renforcer sur le ton d’un discours eschatologique, voire culpabilisant.