Pris dans les filets du système libéral, il nous est parfois difficile d’envisager une alternative à l’ère de la santé technico-chimique. Pourtant, en nous recentrant sur des activités qui font sens, dans lesquelles le stress et la course sans fin au désir matériel ne seraient plus d’actualité, de nouvelles voies se dessinent. Le livre bolo’bolo de l’auteur alémanique P.M. nous propose par exemple un mode de vie en communauté autosuffisante - les « bolos » - dans lesquelles une grande partie des maladies liées à la société industrielle comme celles provoquées par le stress ou l’environnement auraient disparu. En donnant la possibilité à chaque communauté-bolo de définir elle-même ce qu’est la santé et la maladie, c’est à une véritable reprise en main individuelle et collective de la santé que l’auteur nous appelle.
Regarder vers d’autres approches
Cette volonté de se diriger vers un modèle de santé qui soit lié à un mode de vie sans artifices ni démesure, adapté à nos corps et à notre environnement, n’est pas nouveau dans l’histoire de l’humanité. Prenons comme autre exemple celui de la médecine ayurvédique, qui a fait son apparition dans le sous-continent indien plusieurs siècles avant notre ère. Cette approche, qui signifie « connaissance de la vie », a la grande particularité, non seulement de soigner avec ce que la nature offre localement, mais consacre surtout une grande partie de sa connaissance à protéger et conserver la santé des personnes saines. Cela passe notamment par l’adoption d’un régime à impact moindre sur l’environnement et les êtres-vivants (régime végétarien en particulier), ainsi que par un recentrement de soi par la méditation. On pourrait également signaler le mouvement des Rastafariens, qui recommande l’adoption du régime alimentaire « Ital » qui va plus loin que les régimes végétaliens, en condamnant par exemple la consommation d’alcool, dans le but de conserver le corps aussi peu perturbé que possible par des substances dommageables. Ou encore l’approche de la santé contenue dans les cosmovisions indigènes (c.f. page 20).
S’il ne peut certes s’agir d’importer tel quel tel ou tel « système de santé » qui semble pertinent, il semble sensé, pour une fois, que l’Occident se laisse pénétrer et s’inspire en profondeur de la sagesse d’autres peuples pour se transformer et cheminer vers la nécessaire transition écologique et sociale.
Des vies plus sobres mais plus épanouies
La pierre angulaire de systèmes de santé décents réside certainement dans le passage à des formes de vie plus sobres mais plus épanouies, fondées sur des relations de solidarité plutôt que de compétition. Un autre point crucial consiste probablement dans l’acceptation de la souffrance et de la mort. Un travail individuel et collectif est indispensable pour apprendre à ré-accepter la mort, le handicap et les différences en général, en tant que dimensions inhérentes et fondamentales de l’humain. Dans des sociétés plus simples, des structures hautement spécialisées ne seront probablement ni disponibles, ni souhaitables. Plutôt que de suivre des thérapies lourdes ou des appareillages complexes, certains·es d’entre nous pourraient être plus épanouis en étant accompagnés et valorisés dans leurs différences, en dépendant de personnes connues et bienveillantes plutôt que d’un système technique et financier anonyme. Des sociétés moins standardisées, plus diverses et plus attentives aux unes et aux autres se rendraient compte des apports fondamentaux des personnes moins « productives » et différentes.
Il s’agit par ailleurs de renverser le credo libéral qui consiste à dire que le prolongement de la vie mérite tous les sacrifices, tant en termes de ressources financières que de recherches, en se demandant si une vie plus courte mais vécue de façon plus pleine et belle ne vaut pas mieux que de rester accroché à tout prix au fil de la vie. A ce titre, le soutien des proches aidant par la communauté, notamment au moyen d’un soutien matériel et par des objets/rituels culturels, serait un grand pas en avant.
Il semble clair aujourd’hui, au vu des dégâts occasionnés sur l’humain et son environnement, que le système (de santé) libéral est en phase terminale… et que l’on ne désire pas d’acharnement thérapeutique ! Un travail de réflexion à échelle locale, permettant de sortir de la pensée dominante d’exploitation des êtres-humains et de la nature en redéfinissant notre rapport à nous et au monde, qui s’inspire de la sagesse d’autres peuples ainsi que des nôtres, se présente comme la base pour un faisceau d’alternatives qui pourra se déployer dans une pluralité de systèmes à taille humaine.