Contrôle social - Surveillance Témoignage

Les mouchards de Cincera

Ce mois-ci Renversé se souvient de la guerre froide et de ses répercutions en Suisse. Une lecteur·ice attentive nous a conseillé d’inclure cet article paru il y a quelques années dans notre thématique du mois.

“Nous étions les mouchards de Cincera”, tel est le titre d’un petit livre publié en 1977 par le Manifeste Démocratique, une association qui rassemblait alors en Suisse “les forces démocratiques [...] contre la répression et le démantèlement des droits démocratiques”. Cet ouvrage expose l’entreprise d’espionnage et de surveillance montée par le graphiste zurichois Ernst Cincera. Renversé t’offre ce texte sous forme de PDF et propose une petite mise en contexte de cette histoire qui fait écho aux obsessions sécuritaires actuelles.

Suisse |

L’histoire de la surveillance et de l’infiltration des groupes politiques en Suisse est à l’image de la structure de notre économie - libérale. De hier à aujourd’hui, la surveillance en Suisse est un business comme un autre ; les données privées se vendent entre fouineurs. Trente ans avant le scandale de la surveillance d’Attac et du Groupe Anti-Répression de Lausanne par l’entreprise Sécuritas, c’était déjà une entreprise privée avec à sa tête un entrepreneur médiatique qui s’occupait de surveiller les groupes politiques en Suisse. Ainsi, de 1972 à 1974, sept jeunes Bernois ont travaillé comme mouchards pour le compte du graphiste zurichois Ernst Cincera. En pleine vague contestataire qui suivait mai 1968, ce lieutenant-colonel membre du parti libéral était alors pris d’une obsession : protéger la Suisse de la subversion, lutter contre le péril rouge à coup d’infiltration et de délation.

Le modèle de Cincera est toujours le légendaire Bureau H de la deuxième guerre mondiale, le service privé d’espionnage du Major St Gallois Hans Hausamann :
Le schéma est très simple : un service privé de contre-espionnage se charge des basses besognes dans lesquelles un État démocratique ne veut pas se salir les mains. Dans une démocratie, il est un peu problématique, pour des services d’État, de faire exactement ce que l’on reproche aux États totalitaires : l’espionnage et la délation. On laisse donc le travail à des bureaux privés, avec lesquels on collabore en secret. Ainsi l’État me s’expose pas au reproche d’employer des méthodes qu’il condamne par ailleurs.

Manifeste Démocratique - “Nous étions les mouchards de Cincera”

Mettre le nez dans les affaires de ses voisins, surveiller tout ce qui dépasse, est une tradition helvétique. On se rappelle d’ailleurs comment, il y a près de vingt ans, des agents du Mossad s’étaient fait gauler lors d’une de leur barbouzerie à cause d’une voisine zélée. “Nous étions les mouchards de Cincera” montre comment cette tradition a été industrialisée, informatisée avec des complicités dans l’armée suisse, par le petit McCarthy zurichois Ernst Cincera.

Depuis des années, Cincera fiche des milliers de personnes qui s’engagent en faveur d’une transformation de la société. [...] Dans ses dossiers, Cincera ne rassemble pas seulement des informations auxquelles chacun pourrait avoir accès, mais aussi des renseignements concernant la vie privée, et des documents qui lui sont transmis en violation du secret de fonction et des secrets bancaire et militaire. [...] Des administrations et des firmes privées utilisent le travail de délation de Cincera, en lui demandant des arguments pour attaquer des employés qu’elles cherchent à congédier. Ces firmes paient les renseignements ainsi obtenus ou versent des sommes importantes à Cincera pour soutenir ses activités. Cincera se procure également ses informations par des mouchards qu’il paie pour s’infiltrer dans différents groupes.

Manifeste Démocratique - “Nous étions les mouchards de Cincera”

Téléchargez le livre dans son intégralité :

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