Écologie - Antiindustriel ZAD

Les zones à défendre comme refus de pactiser avec le réel

Imaginé dans les années 1960, contesté pour son absurdité depuis le début des années 1970, l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, à vingt kilomètres au nord de Nantes, a un passé de luttes particulier. Oublié, puis remis au goût du jour au début des années 2000 par les rêves de grandeur de plusieurs politicien·ne·s, il est depuis un lieu à part ou des milliers de militant·e·s ont convergé. C’est en 2008 que vont s’établir les premier·e·s occupant·e·s, aujourd’hui au nombre supposé de 200, sur cette zone de 20 km2. La zone d’aménagement différé du gouvernement devient zone à défendre. Mais c’est en 2012 que la lutte prend une nouvelle dimension avec l’opération César ; durant plus d’un mois, plus de 1200 policier·e·s sont déployé·e·s sur la zone pour expulser les « zadistes », paysan·ne·s et sympatisant·e·s et permettre le début des travaux. Mais l’État n’arrive pas à tenir ses positions et échoue à évacuer la zone. La vie sur place reprend de plus belle, malgré cinq mois de barrages policiers censés entraver la reconstruction. Le dossier se ravive à l’automne 2016 lorsque le gouvernement annonce vouloir expulser la ZAD. Trêve hivernale pour certains lieux et mobilisations retardent l’échéance d’une expulsion totale, mais le gouvernement semble vouloir débuter certains travaux coûte que coûte. Affaire à suivre donc. Pour découvrir ce lieu, cette lutte, ses enjeux mais aussi ses singularités, nous avons demandé à Judpom’, un romand actif sur la zone, de nous éclairer sur ce que représente pour lui la ZAD.

Notre-Dame des Landes |

Est-ce que tu peux te présenter et nous parler de la ZAD ?

Je crois que c’est toujours important de se présenter avant tout comme un point de vue situé, c’est-à-dire, en ce qui me concerne, le point de vue d’une personne mâle, cis, blanche, de nationalité suisse, issue du milieu rural agricole mais diplômée au niveau universitaire. Je ne parle qu’en mon nom et ne porte la parole de personne, car tu auras autant de réponses différentes qu’il y a d’habitant·e·s sur la zone. Je tiens aussi à partager ma volonté de ne pas faire le jeu de l’idéalisation de la zone. La fin ne justifiant jamais les moyens – principe anar de base – je ne crois pas qu’on puisse « défendre la ZAD » en l’épargnant, en la vendant comme étant quelque chose de désirable en soi, car il ne s’agit pas de la défendre au sens de la conserver telle qu’elle est1. Pour ce qui est de l’histoire de la ZAD elle-même, je ne peux que te renvoyer aux ouvrages qui expliquent et illustrent la vie de la ZAD par celleux-mêmes qui l’ont vécu·e·s2. Mon histoire personnelle est plus courte et plus circonscrite.

Pourquoi est-ce que tu es allé à la ZAD, pour y vivre et lutter ?

J’y suis allé la première fois en 2014, je dirais par affinités politiques présupposées, avec la volonté de pouvoir aider à l’organisation d’un évènement qui avait lieu sur la zone. Malgré mes lectures, je n’avais bien sûr aucune idée de ce qu’il pouvait s’y tramer concrètement et de ce que j’allais y vivre. Et je crois que c’est peu probable de comprendre ce qu’il s’y vit sans passer y vivre un moment soi-même. J’y suis ensuite retourné régulièrement par affinités politiques affirmées et par amitiés avec les personnes que j’ai pu rencontrer. Et j’y vis finalement une partie de l’année parce que j’ai réalisé que cela faisait sens pour moi. Les raisons sont nombreuses et mouvantes, mais je crois qu’elles sont toutes soutenues par cette idée d’avoir goûté à quelque chose que je connaissais pas, qui consistait en la possibilité d’une sortie de ma zone de confort (politique, éthique, sensible…), comme une prise de risque qui me permettrait de me confronter aux réalités d’un engagement quotidien dans un perpétuel travail de questionnement et d’élaboration collective d’un vivre ensemble que l’on souhaiterait, non pas idéal, mais moins pire. À cela s’ajoute l’idée de pouvoir être travaillé dans ce que je suis et qui ne me convient pas vu que je suis avant tout le produit d’un monde que je combats. C’est aussi une manière de pouvoir sortir du « militantisme des heures de bureau » pour s’essayer à vivre, expérimenter, échouer, et retenter autrement les principes et valeurs qui me portent, une occasion de vivre autre chose de mieux ou de moins pire que nos livides quotidiens et nos apathiques et pacifiques mouvements sociaux suisses. Et finalement, je continuerai à y aller parce que je ressens l’importance et la nécessité d’y être et d’y contribuer.

À ton avis qu’est-ce qui fait de la ZAD de Nantes une lutte majeure ?

À mon sens, la zone est importante de plusieurs manières, qui sont autant de raisons qui font que l’État s’impatiente de pouvoir relancer ses chiens de garde armés contre l’ensemble du mouvement d’occupation, et défendre ainsi les intérêts industriels français par le biais de Vinci. Par le fait d’exister, la zone montre qu’il est possible de contester le pouvoir et l’existant, et c’est en introduisant un peu de conflictualité et de contradiction dans nos réalités que l’on réalise qu’il est possible de tenter ce qu’on n’imaginait même pas. Qui aurait pu penser que l’État serait tenu en échec lors de l’opération César3 ?
La zone est aussi importante par ce qu’elle permet. Ce qui s’y joue me semble fondamental par rapport à la lutte contre le monde et son aéroport, et je crois que c’est cet aspect-là qui est difficilement compréhensible de l’extérieur, car cela se joue au quotidien, dans les manières d’être et de faire qui sont autant de zones de luttes. Il s’agit de réinventer son quotidien, ce qui est un défi énorme et douloureux, et n’est pas à l’abri d’être une impasse ou un échec. Il s’y passe aussi des trucs moches et difficiles, mais il s’y passe énormément de choses. Reste que la zone n’est pas déconnectée du monde ou autarcique, et là n’est à mon sens pas son but. Nous ne vivons pas en dehors de la société, « libéré·e·s » de l’État, débarrassé·e·s des méfaits de l’industrie et du capital. Il s’agit au contraire d’avoir conscience de cet état de fait pour s’y confronter sans qu’il s’agisse d’être destitué de son autodétermination, sans que notre pouvoir de décision soit délégué à une institution, que celle-ci s’appelle gouvernement représentatif, commerces, police, institution carcérale ou psychiatrique. Et si l’on ne faisait pas ce qu’on attendait de nous et qu’on tentait de faire les choses par nous-mêmes ?

Quels sont les différentes activités présentes là-bas et comment s’organise la vie sur place ?

Je crois qu’il y a autant d’activités qu’il y a d’idées et de personnes pour les porter. Mais dans les activités régulières, je peux citer les ateliers d’écriture qui ont lieu chaque semaine sous forme d’atelier rap, il y a le Non marché ou tous les vendredis des produits de la zone sont partagés. Des lieux s’occupent de faire du pain au levain tous les deux jours pour garantir un aliment de subsistance produit localement. On retrouve des activités saisonnières, par exemple tout ce qui est relatif aux cultures, aux productions laitières, au maraichage… Et de manière perpétuelle on retrouve des chantiers collectifs qui ont lieu un peu partout, que ce soit pour faire de la poterie, aider à chasser les doryphores, construire ou réparer un lieu particulier, construire une conserverie, apprendre à se protéger des violences policières, améliorer ses connaissances juridiques pour se défendre… les chantiers collectifs portent aussi sur nos intellects vu qu’il y a aussi des discussions sur les manières de fonctionner ensemble, d’apprendre à faire du commun, ou de travailler nos propensions à la domination, à l’aide des autres.
À nouveau, la vie s’organise d’autant de manière qu’il y aura de personnes pour décider collectivement comment elles veulent fonctionner. Chaque lieu défend des principes qui lui sont propres. Et pour les moments d’interactions plus larges, entre collectifs aux fonctionnements différents, on peut voir à l’œuvre – sans forcément que cela fonctionne, et non sans conflits et désaccords – des tentatives d’aller à l’encontre des différentes formes de domination on contribue par nos actes ou notre silence. Mais même si on peut contrer certains comportements (par les tours de paroles, la priorisation de la parole, la modération, la non-mixité ou la mixité choisie, les groupes affinitaires...), c’est un travail permanent et sans fin.

Selon toi, quels liens peuvent rapprocher la ZAD et l’idée de décroissance ?

Je ne crois pas qu’il y ait de définition non ambigüe de la Décroissance, mais j’imagine que les convergences existent, notamment avec tout ce qui passe par le fait de sortir de l’économie de marché, des rapports marchands en général, pour tenter de retrouver une certaine autonomie en dehors du salariat. La volonté de faire les choses par soi-même, de manière relocalisée va à l’encontre des logiques de consommations pour valoriser d’autres principes tels que l’échange, l’autoconstruction, l’autoformation, et tout ce qui se rapproche du DIY, que ce soit en décidant d’apprendre à réparer soi-même son véhicule, en se formant à la fabrication de ses propres outils ou en tentant un maximum de produire ses propres moyens de subsistance.

Comment vois-tu le futur de la ZAD ?

Je ne sais pas. Je crois surtout que je ne me pose pas la question en ces termes. Je pense qu’il est dangereux d’appréhender ce que l’on vit en termes d’aboutissement, comme si l’important était d’arriver quelque part, et non pas ce que l’on peut vivre au quotidien. Forcément que je me projette, mais dans le prolongement de ce que j’y vis, et non pas en fonction d’une finalité que je viserais. Raisonner en termes d’aboutissement, c’est comme d’attendre le Grand soir, une sorte de précepte faisant du présent une attente du futur. Or, ce que je désire j’essaie de le faire aboutir au quotidien. On est le bas de l’échelle alimentaire et l’État reviendra imposer son ordre, mais ce qui importe avant tout c’est ici et maintenant, ce qu’on fait de notre présent qui contredit l’ordre établi, et comment on peut le prolonger dans le temps et dans l’espace. On ne ressort pas indemne d’expériences comme celle-ci, la lutte continuera.

Un mouvement d’occupation comme celui-ci aurait-il du sens en Suisse romande ?

La ZAD inspire, fait vibrer, mais il ne faut pas en faire une marque déposée, il faut au contraire en faire ce que l’on veut, s’en inspirer, ou pas. Il y a d’innombrables projets en Suisse qui s’imposent sans bruit et prolongent victorieusement l’emprise des logiques industrielles et marchandes sur nos vies, nos environnements et notre quotidien. Il y a eu des zones à défendre avant la ZAD, que l’on pense aux jardins collectifs squattés depuis des années sur Genève ou Lausanne, et on peut élargir cela à toutes les luttes qui visent à nous permettre d’avoir un peu plus de prise sur nos vies, tels que les milieux squattés et autogérés. Il y a donc des mouvements d’occupations qui existent déjà, et qui ont besoin de soutien et d’énergies, il faut rentrer dans ces petits espaces de liberté et il faut pousser les murs.

Judpom’

P.S.

Cet entretien a été publié dans le journal Moins ! n. 26 (décembre-janvier). Plus d’info et abonnement prix libre sur http://www.achetezmoins.ch/. Aussi disponible en kiosque Naville.

Pour suivre toute l’actualité de la ZAD de NDDL : zad.nadir.org

1. Ce pourquoi nous combattons est tellement inacceptable pour l’Etat que l’on peut user des ses réactions pour prendre du recul sur l’évolution de nos luttes. Dès lors que celui-ci nous tolérera sera le signe que nous ne sommes plus une menace et que celui-ci nous aura pacifié d’une manière ou d’une autre, comme par exemple au Larzac.
2. Zad Partout, aux éditions L’Insomniaque. On peut aussi ajouter Constellation ainsi que Contrées, de la Mauvaise Troupe, aux éditions de L’Eclat. Les différents entretiens menés par la Mauvaise Troupe, disponibles sous forme de brochures, sont très éclairants par rapport à ces problématiques de mondes qui se rencontrent.
3. Il reste indispensable de réaliser que le mouvement a pu opposer un rapport de force par les caractéristiques des personnes qui le compose, et aux moyens financiers, temporels, humains et symboliques qui en découlent, c’est-à-dire principalement blanches, françaises et locales. Je pense ici avant tout aux personnes migrantes de Calais, qui n’ont pas eu les privilèges que nous avons pour se protéger des innombrables violences de la répression policière, administrative, étatique et raciste.

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