Ne dites plus « mineur isolé étranger » mais « mineur non accompagné ».
– Ah bon ? mais qu’est-ce que ça change ?
– Lors du comité de suivi du 7 mars 2016, le garde des Sceaux a souhaité modifier la dénomination de MIE en MNA pour être en adéquation avec la directive européenne, mettant ainsi l’accent sur la protection de l’enfance avant toute chose [1].
– Vous faites bien référence à la directive 2011/95/UE du Parlement et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale ?
– Oui, c’est ça. Cette directive a posé la notion de « mineur non accompagné » et l’a définie dans son article 2 paragraphe 1.
– Mais… cette directive date de 2011 !
Et avant elle, il y avait la directive du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile qui utilisait déjà le terme « mineur non accompagné ». Repris ensuite dans celle de 2005. En fait, cette terminologie est utilisée dans la réglementation européenne depuis des années. Tous les autres pays européens l’ont adoptée depuis belle lurette.
– Il n’est jamais trop tard pour bien faire !
– Et en quoi le terme « mineur non accompagné » mettrait plus l’accent sur la protection de l’enfance que « mineur isolé » ? Au contraire, cela semble plutôt atténuer le risque de danger. Être non accompagné paraît moins grave que d’être isolé.
– C’est bien expliqué dans un récent rapport du Sénat « sur la prise en charge sociale des mineurs non accompagnés ». Je cite : « Le changement de terminologie opéré par les pouvoirs publics correspond d’une part à une volonté d’orientation d’harmonisation lexicale avec la notion utilisée par le droit européen… »
– Avec 13 ans de retard !
– « ... et d’autre part au souhait de mettre en avant l’isolement plutôt que l’extranéité des mineurs concernés » [2]. Fin de citation.
– Pour mettre en avant l’isolement, on remplace « isolé » par « non accompagné » ! Mais cela n’a aucun sens !
– Pardon ! Cela permet surtout de supprimer le terme « étranger ». Il s’agit avant tout de mineurs qu’il faut protéger avant d’être des étrangers !
– Alors, il aurait suffi de les appeler « mineurs isolés » tout simplement !
– Certes… Ils n’ont pas dû y penser au ministère. D’ailleurs, les sénateurs se sont interrogés comme vous et ont conclu que ce changement ne devait pas « constituer un sujet de débat dans la mesure où elle n’a pas d’incidence de fond ».
– « Pas d’incidence de fond », c’est vite dit. Cela peut permettre à l’administration de refuser toute protection à un mineur isolé en lui trouvant opportunément un « accompagnateur ».
– Je ne vous suis pas.
– Rappelez-vous l’histoire de ce petit Comorien de cinq ans, arrivé sans sa famille à Mayotte dans une embarcation de fortune en compagnie d’un groupe d’adultes qu’il ne connaissait pas. La police aux frontières, comme elle le fait régulièrement à Mayotte, a considéré d’autorité qu’un de ces adultes accompagnait l’enfant et qu’elle pouvait en conséquence l’enfermer en centre de rétention avant de l’expulser [3].
– Oui, enfin, bon, Mayotte, c’est tout de même très particulier !
– Au fait, il y a des dispositions concernant les mineurs iso… non accompagnés dans la loi relative à la protection de l’enfant du 14 mars 2016.
– Bien sûr, elle consacre le système de répartition nationale de ces mineurs après l’annulation partielle de la circulaire Taubira de mai 2013 par le Conseil d’État .
– Et alors ? Quel est le terme utilisé dans la loi et les textes d’application ?
« Mineur isolé étranger » ou « mineur non accompagné » ?
– Euh… ni l’un ni l’autre.
– …
– Le législateur a opté pour une troisième terminologie. Le code civil et le code de l’action sociale et des familles parlent maintenant de « mineur privé temporairement ou définitivement de la protection de sa famille ». La difficulté pour la chancellerie était de légaliser le système de répartition de ces mineurs étrangers sans les nommer [4]. Vous comprenez bien qu’il n’était pas juridiquement possible de créer au sein du dispositif de protection de l’enfance un système pour les enfants français et un autre pour les étrangers. Cela aurait été discriminatoire !
– C’est vraiment n’importe quoi.
– Euh… oui. La seule certitude c’est qu’il ne faut pas utiliser le terme d’« enfant » à leur égard, vous comprenez, parce que, là, cela induirait une vulnérabilité et même un besoin de protection.