Antipsychiatrie psychiatrie

Pour une approche politique de la santé mentale

Hazel Corft est historienne, écrivaine et militante communiste. Elle vit à Londres. Elle prépare en ce moment un livre sur la santé mentale civile en Grande-Bretagne pendant la Seconde Guerre mondiale. L’article original (en anglais) est paru en juillet 2017 sur le site « Revolutionary Socialism in the 21rst century », organisation communiste révolutionnaire britannique.

Angleterre |

La santé mentale a pris une place importante dans les médias ces derniers mois : Theresa May n’a pas pu échapper à des questions à ce sujet pendant l’élection, tandis que le Prince Harry et un ensemble de célébrités ont mené une campagne pour questionner la stigmatisation des personnes atteintes de troubles mentaux. Que des discussions ouvertes aient lieu sur ce sujet est un pas en avant, mais s’attaquer à la stigmatisation n’est pas suffisant.

" Ils demandent presque toujours ce qui ne va pas chez toi et presque jamais ce qui t’est arrivé. "

Ces mots d’Eleanor Longden, qui milite sur les questions de santé mentale, résument les approches actuelles de la santé mentale. Le discours dominant – celui du gouvernement, des psychiatres, des professionnel.le.s de santé, et des médias – est structuré par des explications qui rapportent les troubles mentaux à un « problème » chez l’individu. La santé mentale est presque toujours pensée en termes individuels à propos de ce qui est défaillant, manquant ou inadéquat dans le comportement et les sentiments d’une personne. Il y a beaucoup moins de discussion autour de ce qui est arrivé aux personnes qui font l’expérience de troubles mentaux – qu’en est-il de leurs conditions de vie, de l’organisation de leur travail, quelles agressions ont-ils/elles subies, de quelle manière la pauvreté, le racisme et le sexisme ont-ils affecté leur bien-être mental ?

Pour prendre seulement un exemple, pensons au stress et à l’anxiété induits par le fait de vivre dans le secteur locatif privé : anxiété au sujet du paiement du loyer, des baux courts qui vous forcent à déménager souvent, un logement exigu et inadapté, l’insécurité constante liée à la peur d’être expulsé.e. Nous vivons dans ce que certains ont qualifié de crise de la santé mentale. Quand le stress et l’anxiété liés à des conditions de vie mouvantes, des emplois mal payés et souvent précaires, un régime d’assurance sociale brutal et les effets plus généraux de l’austérité font que de plus en plus de personnes font face à des pensées suicidaires, à la dépression, à des troubles de la personnalité et d’autres problèmes mentaux.

On estime que trois quarts des personnes atteintes par un trouble mental durable [...] ne reçoivent aucun soutien ni aucune aide psychiatrique

Dans le même temps, les services qui prennent en charge les personnes atteintes de troubles mentaux ont été étranglés financièrement et se sont souvent avérés incapables de fournir le soutien dont les personnes ont besoin. On estime que trois quarts des personnes atteintes par un trouble mental durable, par exemple, ne reçoivent aucun soutien ni aucune aide psychiatrique, et un quart de celles pour qui un trouble mental sérieux a été diagnostiqué sont dites à risque important en raison d’une prise en charge inadéquate et d’un soutien indisponible. Dans cet article, je cherche à développer quelques idées au sujet de la psychiatrie et de la santé mentale aujourd’hui, en me penchant sur l’évolution de la compréhension, des diagnostics et du traitement de la santé mentale.

La psychiatrie sous le capitalisme néolibéral

Le modèle biomédical du diagnostic et de la pratique psychiatrique est devenu de plus en plus dominant au cours des 40 dernières années. La maladie mentale, bien qu’elle ne soit toujours pas aussi légitime et aussi bien traitée que la maladie physique, est très majoritairement conceptualisée par les psychiatres, les médias et par beaucoup d’usager.e.s, comme un problème, une défaillance ou une maladie localisée dans le corps, la plupart du temps dans le code génétique ou dans la chimie du cerveau d’une personne.

Bien sûr, les explications biologiques des maladies mentales ne sont pas nouvelles, même si leurs justifications scientifiques ont changé. Depuis le milieu du XIXe siècle, les médecins et les psychiatres ont été obsédés par la volonté de découvrir une cause physique aux maladies mentales : de l’obsession du XIXe siècle de trouver une lésion dans le cerveau, y compris en disséquant les corps des personnes jugées folles, jusqu’aux théories du début du XXe siècle sur les toxines et les infections du corps comme causes premières des maladies mentales, et aux théorisations récentes des déséquilibres chimiques dans le cerveau, qui attribuent par exemple la schizophrénie à un excès de dopamine.

Au cours du XXè siècle une pléthore de traitements physiques souvent barbares ont été mis en œuvre pour « traiter » la maladie mentale, incluant les leucotomies, qui consistaient à retirer des morceaux de cerveau, l’induction du coma par injection d’insuline, et le développement de la Thérapie Electro-convulsive [électro-chocs]. Depuis le développement de la production de masse des médicaments anti-psychotiques et anti-dépresseurs dans les années 1950, la médication a remplacé la plupart de ces expérimentations plus directes sur les corps des personnes chez qui une maladie mentale a été diagnostiquée – bien que les électro-chocs continuent d’être utilisés, et leur utilisation a augmenté significativement au cours des dix dernières années. Malgré toutes les recherches sur le cerveau, l’expérimentation physique et l’usage massif de médicaments, on ne peut établir aucune explication biologique définitive à la maladie mentale.

Cependant, au cours des quatre dernières décennies, le modèle biomédical a ressurgi, dominant toute la recherche sur les maladies mentales, au détriment de recherches sur les facteurs psychologiques, sociaux et structurels du développement des troubles mentaux. Comment expliquer cette stabilité de la domination des théories et des traitements biologiques ? Pour répondre à cela, il ne faut pas sous-estimer l’influence de l’industrie pharmaceutique sur les gouvernements et sur la profession psychiatrique. La « Big Pharma » investit énormément sur la psychiatrie, utilisant ses milliards pour exercer son influence sur la manière dont divers comportements et émotions sont définis et classifiés en maladies contre lesquelles les mêmes entreprises vendent des remèdes. Comme l’a écrit David Healy au sujet des tactiques marketing des grandes entreprises pharmaceutiques, elles vendent maintenant des maladies, et plus seulement des médicaments ».

Au moment même où les multinationales pharmaceutiques développaient le marché des médicaments psychiatriques, les services de psychiatrie ont été décimés au cours d’une ère d’austérité et de coupes budgétaires. Les années 1970 et 1980 ont vu la fermeture des grands centres hospitaliers consacrés à la santé mentale, dont les bâtiments et terrains, généralement situés à des endroits stratégiques, ont été vendus au plus offrant. A l’hôpital de Napsbury, où j’ai travaillé au début des années 1980, des appartements huppés estimés à plusieurs millions occupent maintenant le lieu qui accueillait les patient.e.s hospitalisé.e.s à long terme.

Beaucoup d’entre nous pensions que la fermeture de ces grandes institutions était une bonne chose, et détestaient leur association avec le système asilaire oppressif de l’ère victorienne qui enfermait les gens pour les cacher à la vue du public. Mais le très attendu « système de soins local » [community care] qui était censé les remplacer est resté désespérément sous-financé, et bien souvent, inexistant. Des hôpitaux de jour ont aussi été fermés depuis, et ceux/celles qui ont besoin de soins et de soutien sont souvent livré.e.s à eux/elles-mêmes dans des logements inadaptés, généralement des studios meublés piteux, et forcé.e.s de s’en remettre aux médicaments, à qui on fournit de l’aide uniquement dans les moments de crise aiguë. Bien que les médicaments psychiatriques puissent sauver des vies, en soulageant les personnes, celles qui recourent aux psychotropes et à d’autres médicaments psychiatriques sur le long terme souffrent souvent d’effets secondaires handicapants, comme des nausées, un baisse de la libido, une prise de poids, la fatigue, et des hallucinations.

À mesure que les effets des coupes budgétaires dans le secteur de la santé mentale se sont fait sentir, le gouvernement a de plus en plus souvent pris des mesures coercitives présentées comme une réduction des risques, comme l’introduction des injonctions de traitement obligatoire et la diffusion du « modèle de la convalescence », que beaucoup de militant.e.s de la santé mentale et de groupes d’usager.e.s considèrent comme un insidieux outil néolibéral de coercition. Le groupe « Recovery in the Bin » (« Convalescence à la poubelle »), par exemple, écrit :

« Beaucoup d’entre nous ne pourront jamais “nous remettre” en continuant de vivre dans ces circonstances sociales et économiques intolérables, telles qu’un logement indécent, la pauvreté, la stigmatisation, le racisme, le sexisme, une charge de travail déraisonnable, et d’innombrables autres entraves »

La pathologisation de la vie quotidienne

Depuis le début des années 1990 les médicaments psychiatriques ont aussi été prescrits très largement en dehors des institutions psychiatriques. Aujourd’hui environ 90 % des personnes qui ont affaire à des services psychiatriques en dehors de l’hôpital se voient prescrire un médicament psychiatrique ou un autre. Prenons par exemple le Prozac, qui a été introduit pour la première fois en 1987 et est devenu rapidement le médicament psychiatrique le plus vendu dans l’histoire. Le Prozac a été prescrit plus souvent que les autres médicaments, et il est devenu un sujet de conversation courante ainsi qu’un thème d’ouvrages à succès. Il a été vendu avec l’argument qu’il ne permettait pas seulement de contrôler les symptômes dépressifs, mais qu’il permettait en plus aux gens de se sentir « mieux que bien ». Les firmes pharmaceutiques font leurs profits sur le stress et l’insécurité que les personnes ressentent réellement, en leur vendant une « solution » en cachet.

La domination de la Big Pharma permet aussi d’expliquer la prolifération de nouvelles maladies psychiatriques au cours des quatre dernières décennies. Des problèmes dans des domaines de la vie de plus en plus nombreux, qui étaient souvent considérés auparavant comme ayant des causes sociales plutôt que médicales, ont été pathologisées et traitées comme des maladies qui impliquent une médication. Mettre en lumière la façon dont des nouveaux troubles psychiatriques ont été construits ne signifie pas que tout diagnostic est un mythe ou doit être rejeté. Beaucoup de personnes qui font l’expérience de troubles mentaux accueillent avec soulagement un diagnostic car il permet de donner un sens à un état ou à des symptômes vécus comme effrayants, par exemple entendre des voix.

Souvent un diagnostic psychiatrique est le seul moyen qu’ont des personnes d’accéder aux services dont ils/elles ont besoin.

Dans cette société, les diagnostics aident aussi les gens à obtenir de l’aide, un traitement, un soutien, quand bien même inadéquat. Souvent un diagnostic psychiatrique est le seul moyen qu’ont des personnes d’accéder aux services dont ils/elles ont besoin. C’est la lutte des vétérans du Vietnam pour la reconnaissance, la compensation et la prise en charge de leurs symptômes traumatiques à la suite de la guerre du Vietnam, par exemple, qui a abouti à ce que le Syndrome de stress post-tramatique [PTSD en anglais] soit intégré aux diagnostics officiels en 1981. Les coupes budgétaires permanentes dans le secteur de la santé, en revanche, signifient que la façon dont un diagnostic comme celui de SSPT est compris ou appliqué peut aussi être utilisé pour limiter et/ou refuser des traitements disponibles, malgré l’origine du diagnostic dans la lutte des vétérans du Vietnam.

Sous le régime néolibéral actuel, notre santé mentale est subordonnée aux besoins du marché. D’un côté, le gouvernement et les grandes entreprises nous vendent l’idée du bonheur et du bien-être, une sorte de rêve consumériste dans lequel nous cherchons une forme d’accomplissement dans un emploi bien rémunéré et des relations sociales heureuses, et où les biens de consommation sont des marqueurs de notre succès. D’un autre côté, quand le système capitaliste s’avère incapable de réaliser ce rêve et cet objectif, nous sommes invités à n’en vouloir qu’à nous-mêmes pour notre échec. Mais si nous commençons à craquer psychologiquement, alors nous nous rendons compte qu’il n’y a que peu de prise en charge psychologique disponible pour nous aider.

Les services psychothérapeutiques, le conseil et autre « thérapies par la discussion » sont encore plus difficiles d’accès qu’auparavant, en particulier si vous êtes pauvre ou marginalisé.e. De plus, les services disponibles diffusent de plus en plus souvent une version insidieuse du message de « l’industrie du bonheur » selon lequel nous sommes en dernière instance responsables de notre propre bien-être mental. Celles et ceux qui cherchent de l’aide auprès du service public de santé [NHS] se voient principalement proposer une thérapie cognitive comportementale, sur une durée limitée, et parfois à travers des programmes en ligne, ou bien des programmes de « Mindfulness », là encore souvent proposés en ligne.

Ces services peuvent être très utiles pour certaines personnes, et devraient être disponibles plus largement et plus durablement. Mais la thérapie cognitive-comportementale et la « Mindfulness » ne sont pas forcément adaptées pour tout le monde ni applicable à n’importe quel type de trouble mental. Ces thérapies ont pour objet d’aider les personnes à changer leur comportement ou leurs façons de penser de manière à mieux faire face à la vie quotidienne, et elles ne traitent pas les causes sous-jacentes des troubles mentaux, qui peuvent être mieux prises en charge par une thérapie sur le long terme, par exemple. Elles ne se préoccupent pas non plus des contraintes économiques, sociales et politiques, comme l’insécurité de l’emploi ou les conditions indécentes de logement, qui ont causé ou exacerbé les difficultés mentales d’une personne.

Une approche sociale

Bien qu’il ait été écrit avant que les effets des politiques néolibérales sur la pratique et les diagnostics psychiatriques soient complètement visibles, l’ouvrage de l’écrivain marxiste Peter Sedgwick fournit une approche sociale utile pour questionner la santé mentale sous le capitalisme néolibéral. Dans son livre de 1982, Psychopolitique, et dans ses différents articles écrits dans les années 1970, Sedgwick conceptualise la maladie mentale comme à la fois réelle et construite. Son livre constituait une critique de l’anti-psychiatrie, conceptualisée par des auteurs comme R. D. Laing et Thomas Szasz, qui défendaient que la psychiatrie était un instrument d’oppression.

Sedgwick était d’accord avec l’idée que les diagnostics et les traitements psychiatriques ne sont pas neutres mais qu’ils sont au contraire saturés de jugements sur ce qu’est un comportement « normal ». Mais la maladie physique est elle aussi construite, écrivait Sedgwick. La plupart des penseurs de l’anti-psychiatrie mettaient en avant une critique individualiste de la psychiatrie, en argumentant que le problème est le comportement des psychiatres. Mais pour Sedgwick, la psychiatrie ne peut pas être appréhendée comme une lutte entre le psychiatre oppressif et le patient étiqueté comme mentalement malade. Il faut, d’après Sedgwick, prendre en compte le contexte social plus large dans lequel la maladie mentale s’est développée et dans lequel le diagnostic psychiatrique a été élaboré. La santé mentale fait partie d’un processus social, et elle est liée à des intérêts et des luttes sociales et politiques plus larges.

La santé mentale n’est pas déconnectée des relations sociales plus larges d’exploitation et d’oppression, elle est au contraire encastrée dans ces relations. C’est évident dans la manière dont la santé mentale, et son traitement, sont genrés et racisés.

Une telle approche permet de mettre en relation le ressenti psychologique d’un·e individu·e et les rapports et structures sociales. De cette manière, on peut commencer à s’interroger sur ce qui nous est arrivé dans notre vie, plutôt que de se demander ce qui cloche chez nous. La santé mentale n’est pas déconnectée des relations sociales plus larges d’exploitation et d’oppression, elle est au contraire encastrée dans ces relations. C’est évident dans la manière dont la santé mentale, et son traitement, sont genrés et racisés. Les femmes, les personnes appartenant à des ethnies minoritaires ou les personnes LGBTQ ont plus de chances de souffrir de symptômes de troubles mentaux et d’être confrontés à des problèmes de santé mentale.

Une étude récente par exemple, met ainsi en évidence que les personnes appartenant aux minorités ethniques en Grande-Bretagne ont cinq fois plus de chances de souffrir de troubles psychotiques, les personnes les plus à risque étant celles qui sont arrivées en Grande-Bretagne enfant, comme migrantes. Les chercheurs/euses identifient des facteurs du développement d’épisodes psychotiques, comme la discrimination raciste, le sentiment ou non d’appartenance, les menaces perçues, et les injonctions contradictoires liées au fait de vivre dans un nouveau pays.

En même temps, le racisme, le sexisme, l’homophobie et la transphobie au sein du système psychiatrique impliquent que les personnes appartenant à des groupes opprimés ont plus de chances d’être diagnostiquées mentalement malades et d’être catégorisés en fonction d’attentes sociales en termes de genre, de race ou de sexualité. Alors que les hommes ont plus de chance de se voir diagnostiquer un trouble de la personnalité anti-social, plus de 70 % des personnes chez qui un trouble de la personnalité limite [Borderline Personality Disorder] est diagnostiqué sont des femmes, la plupart d’entre elles ont subi des violences physiques ou sexuelles pendant l’enfance.

Les personnes chez qui un BPD (Bordeline Personality Disorder parfois appelé trouble de la personnalité d’instabilité émotionnelle) est diagnostiqué sont souvent qualifiées comme des patient.e.s « difficiles » et manipulatrices/eurs, toujours en train d’essayer de duper le psychiatre ou le médecin. Les mots et les actions de ces patient.e.s sont alors interprétées d’une manière qui correspond à l’image des femmes souffrant de BPD : une telle femme est vue comme trop insistante, sollicitant trop le médecin, trop intelligente et trop sexuelle. Comme les critiques féministes du diagnostic de BPD l’ont montré, le diagnostic fait l’impasse sur la reconnaissance de l’importance du rôle des violences subies dans l’enfance dans le développement d’un traumatisme et d’une maladie mentale. Ainsi, le diagnostic opère une individualisation et une pathologisation des réactions des femmes à la violence sexuelle et à l’oppression sexiste – même si ça n’est pas dans l’intention des psychiatres et des psychologues.

Dans un ouvrage brillant, "La psychose de la révolte" [The Protest Psychosis], Jonatahan Metzl analyse la manière dont le diagnostic de la schizophrénie a été associée au personnage du manifestant noir, enragé, pendant le mouvement pour les droits civiques et d’autres luttes des noir.e.s aux États-Unis dans les années 1960 et 1970. Metzl montre comment le diagnostic psychiatrique est traversé de présupposés raciaux et genrés, qui structurent, même inconsciemment, toutes les dimensions de la relation entre le psychiatre et le/la patient.e. Le diagnostic psychiatrique fonctionne, d’après Metzl, comme une « définition, une délimitation et une contention de populations abjectes », telles que les « ménagères désobéissantes », les « vétérans de guerre addicts », « les enfants hyper-actifs » ou les « hommes noirs enragés ». Au niveau de ce que Metzl appelle « l’inconscient structurel », des présupposés et des peurs concernant ces groupes construisent les perceptions des psychiatres et la façon dont ces personnes sont définies et diagnostiquées, même quand les psychiatres et les professionnel.le.s de la santé mentale cherchent à les aider.

Appréhender la santé mentale avec un prisme social ne signifie pas nier toute capacité d’action des personnes qui vivent avec des problèmes de santé mentale. Au contraire, comme l’écrivait récemment Jay Watts, psychologue et survivante de la psychiatrie dans un article éclairant paru dans le Guardian :

« Nous devons changer notre façon de voir pour prendre au sérieux l’expérience vécue des personnes qui souffrent, quelle que soit la manière dont celles-ci choisissent de comprendre leur souffrance. Certaines vont choisir de conceptualiser leur détresse comme une maladie, d’autres comme la conséquence d’un traumatisme, d’autres encore comme une réponse incarnée aux messages ambivalents à propos de qui et de comment nous sommes censés être, qui sont légions dans notre société. »

Une approche sociale nous permet de voir que la santé mentale est centrale dans toutes les dimensions de notre vie, et qu’elle est liée à toutes les batailles que nous avons à mener – contre le racisme et le sexisme, pour la libération sexuelle, pour un logement décent, ou dans nos luttes sur nos lieux de travail contre le travail précaire et les tentatives de nous faire travailler plus longtemps et de façon plus intensive. Notre lutte se fait avec les travailleuses/eurs de la santé mentale, avec les usager.e.s et avec d’autres. Oui, nous devons défendre les services de santé, mais nous devons aussi chercher à conceptualiser la santé mentale d’une manière qui soit libératrice et qui ne nous réduise pas à nos corps biologiques ou à des unités que l’on mesure à l’aune du « bonheur ».

P.S.

Traduit par Elsa Boulet

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