Le 13 juin 2008 tôt le matin, 35 individus masqué·e·s et vêtu·e·s de tenues de protection blanches forcent les grilles du champ d’essai de blé génétiquement modifié de Reckenholz (ZH), fauchent la plupart des épis de blé et s’enfuient avant l’arrivée de la police. Cette action a marqué durablement le débat politique sur les OGM en Suisse, affirmant un refus clair et déterminé, tout en perturbant une recherche illégitime [1] et en faisant monter les coûts de sécurité des suivantes.
En 2009 et 2010, deux attaques clandestines à l’herbicide eurent lieu contre les essais de blé sur un autre terrain d’Agroscope à Pully, qui devaient déjà faire face à une résistance locale inventive – entre recours légaux et petites actions répétées de désobéissance civile. Ces actions, auxquelles on peut ajouter les caravanes à vélo, la campagne Semer l’Avenir et diverses manifestations, n’ont pas eu raison des recherches mais ont pesé sur le climat politique, tout en étant des expériences fortes pour de nombreuses personnes.
Ces essais, comme les autres volets du programme national de recherche PNR59, consistaient essentiellement à préparer l’introduction des plantes à pesticides brevetées (OGM) en Suisse. Le site protégé permanent pour les essais en plein champ (Protected Site) inauguré en 2014 dans la banlieue de Zurich [2] change la donne : si la volonté d’habituer la population à ces cultures persiste probablement dans l’esprit des décideurs, il s’agit aujourd’hui essentiellement de satisfaire une demande des chercheurs·euses. En effet, les recherches en plein champ, qui leur sont indispensables, peinent à se réaliser en Europe sous la pression des activistes, et coûtent de plus en plus cher. [3]
Il est clair pour nous que ces recherches servent uniquement le développement des OGM – qui eux, servent l’agrobusiness. Pour défendre l’agriculture autonome et écologique qui peut et doit nourrir la planète, il faut empêcher ces recherches qui la menacent. Si la Suisse se profile comme un pôle de recherche européen dans ce domaine, attaquer les recherches qui sont menées près de chez nous est un acte de solidarité avec les luttes ailleurs, où se joue un réel rapport de forces.
Mais le mouvement anti-OGM suisse se trouve dans une impasse. En effet, mis à part les résistances décrites ci-dessus, l’immense majorité des opposant·e·s délègue la lutte à un appareil politique, l’association StopOGM (ou le SAG en Suisse allemande), initiatrice du moratoire qui suspend la production et la vente des OGM en Suisse mais autorise la recherche. Si cette entité fait un travail très utile d’information, il n’empêche qu’elle est structurellement basée sur la délégation et la représentation, et le mouvement lui laisse le monopole de la parole publique. StopOGM, émanation d’un ensemble d’organisations qui mandatent des experts pour analyser les dossiers et formuler les critiques, et des parlementaires pour faire du lobbying à Berne, prend une orientation stratégique alarmante ces deux dernières années : « StopOGM mettra son grain de sel pour que la coexistence proposée soit adaptée à la réalité suisse » [4] ou encore « Nous désirons la création de régions avec OGM au sein d’une Suisse qui forme une grande « région sans OGM » » [5]. Ces déclarations montrent que les autorités ont trouvé des interlocuteurs avec qui négocier la capitulation de l’opposition. Il s’agit là d’un piège classique, où des opposants, pour sauver leur rôle de partenaires reconnus par l’État, entrent dans une logique de cogestion du désastre. Soucieuse de respectabilité, Stop OGM a fermement condamné les actions de sabotage [6], alors qu’il était possible de ne pas réagir pour éviter de nourrir la division entre bon·ne·s et méchant·e·s opposant·e·s.
Des luttes fortes et populaires telles que les résistances contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, contre le passage d’un train à grande vitesse dans le Val Susa ou contre l’énergie nucléaire en Allemagne se caractérisent par le soutien mutuel (parfois critique et n’empêchant pas les conflits) entre les composantes de mouvements aux modes d’action divers, qui savent qu’elles dépendent les unes des autres et surtout que sans action directe la résistance n’aurait que peu de force. Sans les occupations, les sabotages et les affrontements avec la police, il y aurait un nouvel aéroport à côté de Nantes et un TGV qui relierait Lyon à Turin. Pourquoi une telle solidarité est-elle quasi absente à l’intérieur du mouvement anti-OGM suisse ?
Comment faire vivre un mouvement de résistance capable de mettre en échec un projet (le Protected Site) soutenu par l’ensemble du monde économique, par une écrasante majorité des partis politiques et des milieux scientifiques, ainsi que par le syndicat agricole majoritaire [7] ? Pour nous, la vivacité d’une lutte va de pair avec le renforcement des capacités des militant·e·s qui ont pour ce faire tout intérêt à s’approprier les luttes de façon autonome, en refusant systématiquement la délégation et la représentation. Convaincu·e·s qu’au-delà des OGM, il est toujours possible de résister à la domination en cette époque de tyrannie technocratique, nous pensons qu’il est vital de nous en donner les moyens. Diversité des tactiques, déterminé·e·s à l’attaque !
Action Généreuse contre les Chimères Transgéniques