Anticapitalisme WEF

WEF 2017 ; quelques remarques sur les sommets et contre-sommets

En marge du prochain Forum Économique Mondial (WEF) qui aura lieu prochainement au cœur des alpes grisonnes, nous ouvrons le débat à propos de l’intervention anarchiste en cours lors des sommets/contre-sommets. En Suisse, comme ailleurs, on peut voir un regain des activités offensives contre les symboles du capitalisme mondialisé lors de ces grands rendez-vous économiques et/ou politiques. Lors de celles-ci, des contre-sommets sont généralement organisés, accompagnés d’une « grande manifestation » à un jour décidé à l’avance et concerté avec la police. Nous émettons ci-dessous quelques doutes à propos de l’offensive réelle qu’amènent ces moments ainsi que sur la propagation du conflit contre le monde de l’autorité que ceux-ci permettent. Quelques réflexions à discuter qui peuvent alimenter nos pratiques et vice-versa.

Du 17 au 20 janvier 2017 se tiendra la grande messe annuelle du capitalisme mondialisé. Les dirigeant·e·s de la domination et du capital viendront vomir leurs verbiages sur les possibilités infinies du capitalisme. Ceci dans le confort luxueux de Davos, bien gardé par l’armée et la police.

Pour cette 47e édition, gageons que les petites discussions entre ami·e·s seront nombreuses. Entre crise « des réfugié·e·s », crise des marchés et terrorisme, illes auront fort à faire pour se donner un air de confiance et prétendre que tout va bien. Comme chaque année, illes vont bien reconnaître qu’il existe quelques dysfonctionnements, qu’il faut à présent prendre conscience des nuisances environnementales et sociales que crée le système capitaliste. Ensuite, après ce grand repentir, sans même cacher son cynisme, on gesticule un peu et on s’autodésigne comme les « sauveur·euse·s » qui apporteront la paix et la sécurité pour toutes et tous et partout dans le monde.

Comme chaque année, la solution est déjà toute trouvée dans l’innovation des technologies et l’expansion du capitalisme mondialisé, à travers les accords de libre-échange et les mesures d’aide au développement. On commence à connaître la chanson.

Et comme chaque année la petite forteresse grisonne se verra la scène où se jouent le lyrisme de la propagande néo-libérale des dominant·e·s. Ceci sous les applaudissements sans mesure de la presse et du monde politico-économique.

Gageons encore que cette année les discussions iront bon train sur la Sécurité. En effet, pour les dirigeant·e·s, l’augmentation de la menace terroriste représente un terrain propice pour l’intensification des dispositifs de contrôle social. Un filon également très rentable pour les entreprises. Vidéo-surveillance, nouvelles caméras intelligentes, logiciels capables de renifler les signes d’une potentielle menace, technologies biométrique et tutti quanti. Voilà quelques années que ce marché est en pleine expansion, et soyons sûrs qu’à Davos les un·e·s et les autres accorderont leurs violons pour crier d’une part au catastrophisme et de l’autre à la solution géniale que représentent les innovations technologiques.

Pendant ce temps-là, pour celles et ceux qui traversent quotidiennement les espaces pacifiés de nos métropoles, le filet du contrôle social s’abat toujours un peu plus. Les nouvelles infrastructures du pouvoir deviennent un élément incorporé à l’organisation de l’espace. Et ce dernier présente en soi une coercition, dictant ce que l’on peut faire ou ne pas faire. Et devant l’ampleur des forces oppressives, pour beaucoup la résignation est préférable au grand saut dans l’inconnu.

Revenons encore un instant sur ces grands rendez-vous de l’élite mondiale. Il ne faut pas voir ces rencontres, comme le lieu où se joue l’organisation de l’hégémonie mondiale du Capital. Le plus souvent il s’agit juste d’entériner des décisions qui ont déjà été prises ailleurs. Et, outre le fait de reluire les vitrines du capitalisme, c’est une occasion pour eux-elles de densifier leurs réseaux et se partager des stratégies.

Le capitalisme comme toutes formes de domination est un rapport social, et en ce sens elle est partout autant qu’ailleurs. Ceci n’empêche pas en effet que la domination s’incarne physiquement à travers des structures, des hommes et des femmes, comme à Davos par exemple. Mais ces dernièr·e·s sont transversales à la société et on ne les retrouve donc pas seulement dans sa forme concentrationnaire comme le WEF ou le G20. À notre sens, il faut être attentif à ne pas céder au chantage du pouvoir qui nous laisse un terrain de jeu. En tant que révolté·e·s, nous ne devons pas nous figer dans une opposition, nous contre eux-elles, ces dernièr·e·s entendu·e·s comme les participant·e·s de ces sommets. Les maîtres du monde contre… tout·e·s les autres. Il n’existe pas un quelconque cœur de la domination et les murs qu’elle dresse sur le chemin de la liberté ne s’arrêtent pas devant les portes des palais. Il faudra plus qu’une avalanche rasant Davos, ou d’un providentiel effondrement du capitalisme pour commencer à expérimenter un monde d’individu libre et unique.

À vouloir centraliser l’ennemi, on finit par centraliser la lutte également, ce qui finit par nous faire perdre en imprévisibilité en plus d’ouvrir la porte à la récupération. À chaque sommet, répond son contre-sommet avec l’organisation d’une manifestation en prime. Cette année en Suisse, c’est à Berne que se déroulera la parade anticapitaliste contre le WEF, et là encore, soyons en sûr, sous bonne escorte policière. Ainsi, à vouloir donner trop d’importances aux rendez-vous galants des dirigeant·e·s, on se laisse enfermer dans le petit jeu démocratique. La manifestation se résume en une perspective comptable. Et alors on se félicitera d’être 1500, 3000, 10’000 et on s’extasiera devant un McDonald défoncé ou sur l’offensive contre une ligne de keufs. Il ne s’agit pas pour nous de dénoncer ce genre de possibilité en manifestation, au contraire nous nous en réjouissons et nous souhaitons leur multiplication. Toutefois ayons au moins le souci d’être honnêtes et avouer que la plupart du temps c’est avec la frustration de s’être promené·e·s sous les sourires sournois de la flicaille que l’on rentre à la maison.

Nous comprenons très bien pourquoi les compagnon·ne·s se précipitent avec gaieté à ces événements dans l’espoir d’ouvrir des brèches. L’affrontement avec les flics n’est possible qu’à nombreus·e·s et l’expérimentation d’une reprise des rues de la ville – toujours temporaire – est un moment rafraîchissant dans notre combat pour une vie libre. Toutefois nous pensons que d’autres actions qui ne sont pas incompatibles avec l’organisation de contre-sommets et/ou de manifestations permettent de répandre plus intensément le conflit social.

Nos actions peuvent être indépendantes de l’espace du capital et de l’autorité et nous pouvons choisir nous-mêmes les endroits et les terrains de l’affrontement. Ainsi pourquoi attaquer là où les journa-flics et les keufs nous attendent, alors qu’on pourrait le faire en permanence de manière diffuse et imprévisible ? Pourquoi par ailleurs, en plus de l’effet centralisateur que ça provoque, devons-nous exprimer un sursaut de révolte à chaque fois que l’échéance en est fixée par les dirigeant·e·s ? Quelle est cette étrange besoin insatiable de répondre systématiquement à leurs calendriers ? Il nous faut déborder des cadres de protestation que le pouvoir a gentiment mis à disposition. Et pour ceci propager une révolte diffuse contre l’existant. Des attaques peuvent être réalisées à tout moment, sans conjoncture aucune avec le WEF, et ceci n’engage pas une incompatibilité avec les pratiques de rues en cours lors de ces contre-sommets. C’est pour cette raison par exemple que nous voyons d’un bon œil la destruction récente d’un émetteur radio de la police à Zurich. L’aspect comptable des x milliers de francs de dégâts ne nous intéressant peu, c’est surtout pour sa capacité à montrer la vulnérabilité du monde de l’autorité que ce geste nous a réchauffé. En livrant aux flammes quelques câbles on peut voir qu’il est possible, seul.e ou avec quelques complices et peu de matériel, de s’attaquer à la domination et à son monde.

Évidemment, on nous rétorquera que cet exemple n’est pas parlant pour son caractère spectaculaire et ne serait ainsi que l’œuvre d’un.e spécialiste et/ou pire d’un·e avant-garde. Nous pensons pour notre compte qu’un acte de révolte, utilisant des matériaux simples que chacun.e peut se procurer facilement dans le commerce est reproductible partout et par quiconque. La reproductibilité de l’agir anarchiste est un élément central dans la propagation d’une révolte diffuse et anonyme. Certainement, pour que les attaques comme celle de Zurich se propagent manque-t-il encore des espaces où l’on peut approfondir, partager et débattre des connaissances pratiques.

Les nouvelles infrastructures du pouvoir (fibre optique, antennes relais, data…) sont complexes et il n’est pas aisé d’en saisir le fonctionnement et de comprendre où se situent les points faibles. Mais il existe déjà un panel de pratiques et d’outils partagés et partageables pour nombre de révolté.e.s. Prenons pour autre exemple les attaques au tournevis qui permettent de crever les pneus des voitures. À Rennes (France) lors de l’agitation sociale en cours au printemps 2016, quelques révolté·e·s ont publié un communiqué expliquant avoir laissé sur le carreau nombres de voitures à l’aide d’un simple tournevis. Par la suite, cette pratique s’est propagée sur l’ensemble du territoire et partout en France des individu·e·s ont pu se réapproprier ce geste de révolte pour attaquer la domination. Une action simple, qui ne nécessite aucune connaissance particulière et qui permet de propager la révolte de manière anonyme au-delà de toutes les manifestations qui ont eu lieu. En Suède cet été, également lors d’une période d’agitation, en un mois, ce sont des centaines de voitures qui ont cramé sur l’ensemble du pays, gagnant même le Danemark. Les incendies de voitures, tout comme la crevaison des pneus sont des attaques incontrôlables contre l’existant, car elles ne se focalisent pas sur une cible symbolique spécifique. Elles peuvent être reproduites partout et en tout temps alors que la police, elle, ne peut pas être partout en même temps.

Dans la lutte pour un monde d’individu·e libre et unique nos possibilités d’actions offensives sont nombreuses et il est vain de chercher à les quantifier ou les hiérarchiser. Celles-ci propagent le conflit social et permettent de donner de la visibilité à celui-ci autrement camouflé par la paix sociale.

À nos vies volées, vouées à la survie économique et à l’ennuyeuse existence du travail nous souhaitons plus qu’un simple développement des lieux alterno-militant-anarco-jesaispasquoi qui entretient une coexistante pacifique avec le pouvoir. Nous souhaitons plus que des manifestations épisodiques intégrées dans le jeu démocratique. Nous pensons que nos vies peuvent être nôtres, mais qu’il est nécessaire pour se faire de les récupérer, en le faisant sans mesure et sans demander la permission.

Nous devons transformer notre haine quotidienne contre ce monde en révolte diffuse, permanente et anonyme, au-delà de tout cadre que l’on veut nous imposer. Pas simplement sur les dirigeant·e·s ou les représentant·e·s de la domination et du Capital. Les attaquent peuvent être variées et aucune n’est préférable à l’autre. La pince-monseigneur, le tract, la lettre à la prisonnière, le pamphlet, le cocktail molotov, le grain de sable, l’expropriation, l’affiche, l’allume-feu, le tournevis, le blocage. Les armes à notre disposition sont nombreuses, d’autres sont encore à imaginer et il nous faut maintenant commencer à les aiguiser.

P.S.

le rendez-vous pour la manifestation anticapitaliste à Berne est le samedi 14 à 14 heures devant la tour Käfigturm.

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