Répression - Enfermement Livre Projet-Evasions

[2/8] Bon cop, bad cop

Le livre Comment la police interroge et comment s’en défendre est pensé comme un outil d’autodéfense contre la pratique policière de l’interrogatoire.
Un interrogatoire n’est pas un échange harmonieux entre deux individus. C’est un conflit. Dans ce conflit, notre ignorance fait leur force.

6. Stratégies d’interrogatoire

À l’inverse des techniques de manipulation citées plus haut, les stratégies qui suivent prennent place dans une plus longue temporalité. Elles vont se développer sur la totalité de l’interrogatoire, voire même sur plusieurs interrogatoires d’affilée. Alors que les techniques de manipulation seront utilisées spontanément en fonction de l’interaction police-suspect·e, les stratégies d’interrogatoire sont choisies et préparées à l’avance selon le profil de la personne interrogée.

Bon flic, méchant flic

Dans cette stratégie d’interrogatoire, l’un·e des policiers·policières aura une attitude agressive et menaçante, attaquant frontalement sur des sujets désagréables et inconfortables. À l’inverse, l’autre prendra une attitude rassurante, calme, presque bienveillante. Entre eux, tu es comme une balle de ping-pong, envoyée de l’un·e à l’autre jusqu’à ce que tu craques. Le rôle du flic « méchant » est de te mettre la pression, de te pousser dans tes retranchements, de t’épuiser et de t’effrayer. Lorsque le·la deuxième inspecteur·inspectrice juge que tu es prêt·e à craquer, ou lorsqu’un sujet particulièrement sensible est abordé, il·elle prend le relais, te rassure, t’offre un verre d’eau, te propose une pause, et d’une voix calme te fait des promesses avant de reprendre les questions ; « on veut juste une réponse à cette question ensuite vous pourrez rentrer chez vous ».

Pour se concerter et savoir quand passer la main à l’autre, les policiers·policières utilisent des signaux spécifiques, comme un mot, un signe corporel, ou même une intonation. Les deux rôles ne sont pas nécessairement présents en même temps. Plusieurs entretiens peuvent d’abord avoir lieu avec des flics au rôle de « méchant » uniquement. Puis, arrivent deux inspecteurs·inspectrices, calmes et rassurant·es. Et tu te doutes bien que si tu ne coopères pas, les flics agressifs·agressives reviendront.

Passer rapidement d’une émotion à une autre entraîne un épuisement émotionnel. Cette tentative d’influencer tes émotions par un comportement spécifique s’appelle la contagion émotionnelle. En effet, l’état émotionnel d’une personne en face de nous influence notre propre émotion. Rencontrer une personne agressive pourra nous mettre dans un état de colère, de peur ou de stress alors que rencontrer une personne calme et douce créera de la tranquillité mais peut-être aussi de la méfiance. Avec ce mécanisme, on peut influencer un état émotionnel qui change au rythme des interlocuteurs·interlocutrices et de leurs comportements. Cela provoque un grand épuisement mental. Lié au stress de l’interrogatoire et à la peur d’être à nouveau confronté·e au flic « méchant », le risque de céder plus facilement au flic « gentil » est grand.

En fonction de l’ambiance que la police souhaite créer, la disposition des chaises sera différente : face à face pour créer une ambiance de confrontation, et chaise sur le côté de la table s’ils·elles souhaitent t’amener dans une position réconfortante et collaborative.

Pour se protéger, rien de mieux que le silence, ou de répéter en boucle « je n’ai rien à déclarer ». Plus vite les policiers·policières comprendront que tu ne vas pas t’engager émotionnellement dans leur stratégie, plus vite ils·elles te laisseront tranquille.

Sable mouvant

La stratégie du « sable mouvant » vise à te laisser mentir, voire à t’encourager sur cette voie. Cela commence toujours par une question test dont la police connaît déjà la réponse afin d’évaluer si tu vas essayer de leur mentir dans la suite de la discussion. Si c’est le cas, tu vas être poussé·e à fournir de plus en plus de réponses mensongères. Et à chaque fois que tu inventes un nouvel élément, les interrogateurs·interrogatrices rebondissent et te posent de nouvelles questions. En clair, tu t’enfonces dans tes propres mensonges. Et plus tu leur livres d’éléments mensongers, plus le risque devient grand que tu te contredises ou que tes mensonges s’opposent à des éléments déjà récoltés lors de l’enquête (témoignages, traces, indices, etc.).

Mentir à l’improviste demande une grande capacité de concentration, beaucoup d’imagination et une très bonne mémoire.

La police note l’entier de l’interrogatoire, alors que toi tu n’as que rarement la possibilité de prendre des notes. Et quand deux ou trois semaines plus tard les mêmes questions te sont posées à nouveau, tu dois répondre de manière similaire jusque dans les moindres détails. Si tu te contredis, tu perds en cohérence et en crédibilité, jusqu’à ce que finalement ton mensonge tombe en morceaux. Puisque tu ne connais pas les éléments de preuves que les policiers·policières ont récoltés contre toi, comment savoir si en mentant tu es en train de te sauver ou de te nuire ? L’objectif pour la police est de te pousser à mentir puis de faire voler ton mensonge en éclat. Alors les policiers·policères vont te montrer qu’ils·elles savent que tu mens, que tu n’es plus crédible.
Le silence est une meilleure forme d’autodéfense que le mensonge. Tenter de dissimuler la vérité par le mensonge c’est prendre le risque de révéler bien plus d’informations qu’en restant protégé par le silence.

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