Écologie - Antiindustriel

À propos de la brochure d’un ministre “écologiste”

Comme le font désormais de nombreux membres d’exécutifs au cours de leurs mandats, le politicien genevois Antonio Hodgers publie ces jours un texte dans lequel il développe sa vision de l’écologie. Unanimement louée par la presse sous la plume des journalistes comme Marie-Pierre Genecand (Le Temps) ou Benito Perez (Le Courrier), cette mince contribution pose beaucoup de questions. Comme sa publication intervient dans un contexte particulier pour le mouvement écologiste, il vaut la peine d’en dire quelques mots et de s’interroger sur les raisons de son succès médiatique.

Genève |

Plus de la moitié de ce Manifeste pour une écologie de l’espoir de 34 pages (pages 8 à 16) est consacrée au renvoi dos à dos de deux positions au-dessus desquelles Hodgers entend se placer : d’une part, un mouvement écologiste dont toute l’action consisterait à susciter l’effroi ; d’autre part, un courant technophile mal caractérisé qui prétendrait résoudre la crise climatique par le développement technique. En page 16, l’auteur se met en scène lisant un rapport sur l’alimentation et les rejets de CO2 concluant notamment à la nécessité de diviser par dix la consommation de chocolat et de café : « Face à cette morne prévision, mon premier réflexe a été de faire une pause et de profiter d’un café et d’un carré de chocolat. (p. 17) »

Le conseiller d’état explique alors que « les injonctions déprimantes finissent par stimuler l’oisiveté écologique plutôt qu’une réaction salutaire ». Or, « on a beaucoup tanné les gens depuis trois décennies », il faut donc craindre que demander des efforts ne fonctionne plus. C’est sur la base de cette conception psychologique qu’Antonio Hodgers commence à développer son programme (p. 19) qui s’articule autour de trois axes : « Faire face au changement avec panache ! », « Bien choisir ses libertés » et « Veiller à l’équité ».

Le premier axe réinvestit positivement la technophilie pourtant dénoncée en début de texte puisque Hodgers identifie « trois niveaux d’action : l’innovation technologique, l’investissement dans les infrastructures et l’évolution des comportements de consommation. » Le deuxième axe (Bien choisir ses libertés) est un plaidoyer pour deux libertés fondamentales : faire du profit et consommer. En effet, « la transition écologique ne signifie pas une collectivisation des activités économique, mais simplement pousser les modèles entrepreneuriaux de demain au détriment de ceux d’aujourd’hui » (p. 26). De même, « l’écologie politique n’est paradoxalement pas incompatible avec la liberté de consommer. Car son objectif est de mettre en place les conditions-cadres […] à l’intérieur desquelles chaque personne composera avec sa propre morale. » Enfin, le troisième axe ébauche un programme social. Il faudra en effet veiller à créer des emplois « sans quoi ce seront autant de personnes déclassées qui s’opposeront à la mise en place concrète de l’écologie ». Dans le même esprit, « le modèle du pollueur-payeur doit aller de pair avec une certaine redistribution des richesses sans quoi les levées de boucliers seront inévitables, et même compréhensibles. » (p. 29)

En conclusion, Hodgers exhorte « les mouvements en faveur de l’environnement » à « renouer avec une écologie de l’espoir, positive, bienveillante et, pourquoi pas, festive. »

Un texte décevant…

C’est à grand peine qu’il a été possible de restituer le plan de cet ouvrage qui manque singulièrement de structure. Dans le style des livres de développement personnel (Boris Cyrulnik et la résilience sont d’ailleurs convoqués), cette brochure relève plutôt d’une accumulation mal ordonnée de micro-arguments et d’exhortations.
En outre, le texte est très largement auto-contradictoire. Plus de la moitié de la trentaine de pages est consacrée à une critique de deux positions présentées comme antagonistes : la technophilie d’une part et le catastrophisme d’autre part, Hodgers étant supposé réaliser une synthèse. Pourtant, la position développée par l’auteur est très largement la position technophile libérale classique selon laquelle il suffit « d’avoir un peu confiance dans le génie humain ». Hodgers adhère à cette position y compris, on le verra plus loin, dans ses aspects négationnistes des acquis scientifiques sur le changement climatique.

Alors qu’il affirme à plusieurs reprises que la question du climat est désormais une question politique plus que scientifique, Hodgers ne la traite nullement comme telle. Le texte ne dit rigoureusement rien des forces en présence. Il relève d’une vision de la politique comme la pure agrégation des positions individuelles des citoyennes et des citoyens. Or, dans le domaine écologique comme dans tant d’autres, ce sont des organisations structurées qui s’affrontent pour la conquête du pouvoir. Hodgers ne consacre pas une ligne à expliquer comment il entend mettre en minorité, sur le plan politique, les positions écocides de l’Union suisse des paysans ou celles des organisations patronales. L’affirmation du primat du politique sur le scientifique n’a ici qu’une fonction : marginaliser les acquis de la science qu’Hodgers juge anxiogènes et surtout – mais il ne le dit pas – peu favorables à sa carrière politique.

Nous avons déjà pu observer un tel rejet de la science lors des trois premières années de la pandémie de Covid-19, notamment de la part du gouvernement auquel Antonio Hodgers appartenait alors. L’exécutif genevois a constamment rejeté puis marginalisé la connaissance scientifique de la transmission aérosol du virus. Il s’est épuisé en mesures de courtes durées et de peu d’effet au détriment de l’amélioration de la qualité de l’air dans les écoles et les lieux publics ou du maintien à long terme du port du masque. En revanche, comme le gouvernement fédéral, le gouvernement genevois a largement distribué des aides financières au patronat, se montrant en revanche incapable d’organiser des distributions alimentaires ou la nécessaire réduction généralisée du temps de travail pour diminuer la transmission dans les transports publics. La situation créée en 2020-2021 par le surgissement de ce virus peut être regardée comme un exercice grandeur nature pour les effets du changement climatique. Comme l’a écrit le philosophe Jacques Rancière, les gouvernements se sont trouvés incapables de prendre des mesures favorables aux populations, paralysés qu’ils étaient par la nécessité de protéger les intérêts du capital. Cette paralysie, c’est celle qui s’exprime à nouveau dans la confusion et les défauts argumentatifs du texte de Hodgers.

… et effrayant

Dans un passage qui ressemble fort à un dog whistle en direction des pires réactionnaires, Hodgers affirme ainsi :

Je ne crois pas que quelques degrés de plus peuvent, sous nos latitudes, remettre fondamentalement en cause la possibilité d’avoir une vie heureuse et prospère, comme cela a été le cas lors de guerres ou de grandes dépressions économiques. » (p. 24)

Cette phrase – qui conclut un long développement du même acabit – est odieuse à double titre : d’abord parce qu’elle nie l’état actuel de la connaissance scientifique sur les changements climatiques induits par l’activité capitaliste ; d’autre part, parce qu’elle fait subrepticement appel à un nationalisme absolument débridé. Car si la Suisse a pu continuer à « avoir une vie heureuse est prospère » pendant les « guerres et les grandes dépressions économiques », c’est au prix, lors de la dernière guerre mondiale, de compromissions inacceptables et d’activités commerciales parfaitement répréhensibles. Ici, comme souvent avec le dog whistle, l’approximation grammaticale (quelle valeur attribuer à « comme cela a été le cas » ?) permettra à Hodgers de réfuter cette interprétation. Mais le fait est que les milieux réactionnaires auxquels il adresse des signaux pacificateurs sont ceux qui nient la réalité du changement climatique et qui tiennent également des positions révisionnistes sur le rôle de la Suisse pendant la Deuxième Guerre mondiale.

Qu’il s’agisse ou non d’un appel du pied volontaire importe finalement assez peu. Ce qui importe en revanche, c’est que la Suisse a une longue tradition écofasciste. James Schwarzenbach, par exemple, chef de l’Action nationale et auteur de six initiatives xénophobes, était un fervent militant anti-nucléaire. Dans ce contexte, fonder une position sur la supposée innocuité du changement climatique pour la Suisse et régler la question de la solidarité internationale en évoquant un « fonds pertes et préjudices » (alimenté par l’argent volé aux pays sous domination néo-coloniale) et en affirmant que « tout reste à faire » est politiquement plus que douteux.

Un acte de basse politique

Il ne faut pas se tromper de niveau d’analyse. On trouve dans ce Manifeste tout et son contraire et surtout beaucoup de creux. Il convient de le lire comme un acte politique qui s’inscrit dans une lutte à l’intérieur du parti auquel appartient Antonio Hodgers et au sein de l’ensemble de la société. En ce qui concerne le parti, l’objectif est désormais de parvenir à obtenir un siège au Conseil fédéral au détriment du Parti socialiste ou éventuellement du Centre. Ce siège, Antonio Hodgers sera un jour en position d’y être candidat et pour l’obtenir, ce ne sont pas des individus, des citoyen·nes ou des consommateurs et des consommatrices qu’il s’agit de convaincre, mais bien les représentant·es du capital qui font l’élection au Conseil fédéral. Les seuls passages très clairs de ce Manifeste sont ceux dans lesquels Hodgers s’oppose au mouvement écologiste non-parlementaire qu’il taxe d’obscurantiste et ceux dans lesquels il défend la liberté de commerce et un modèle de consommation basé sur des choix individuels. C’est ce qui est attendu de lui pour rassembler suffisamment de voix à la droite du parlement fédéral et assurer sa position au sein de son parti.

Une autre lutte est à l’œuvre qui n’est pas sans lien avec la précédente et dans laquelle ce Manifeste remplit également une fonction. Il s’agit de contribuer à la marginalisation d’un mouvement écologiste dont une fraction s’est toujours affirmée en dehors des institutions politiques libérales. Face à la paralysie de la démocratie libérale évoquée plus haut, à sa soumission aux besoins et aux désirs du capital, cette fraction du mouvement se renforce sans cesse en dépit de la répression et des défaites tactiques qu’elle subit. Elle constitue l’espoir le plus raisonnable d’un changement favorable à la majeure partie des habitant·es de la planète et c’est pourquoi Antonio Hodgers est prêt à toutes les alliances sauf à celle avec cette fraction.

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