Contrôle social - Surveillance Action directe ADN

Actions directes et traces ADN : comment faire bon ménage

C’est quoi l’ADN ? Comment ça marche ? J’en ai laissé sur le spray à la manif la semaine passée ? Si je mets des gants ça passera mieux la prochaine fois ? Si on avance une preuve ADN contre moi pendant mon procès est-ce que je suis foutu.ex ? 3 brochures pour s’informer sur l’ADN, et un guide pratique pour nettoyer correctement son matos pour la prochaine manif/action !

Ça fait depuis longtemps qu’en Suisse romande le triste binome flics-procureur.e utilise des relevés de traces ADN dans les procédures répressives contre des militant.exs. Les prélèvements ADN se font en général sur des objets (laissés volontairement ou non sur les lieux d’une l’action, en manif) ou sur des personnes (en garde-à-vue avec un cotton-tige dans la bouche souvent). Le but des flics est de faire correspondre deux prélèvements ADN, par exemple celui qu’ils t’ont prélevé lors de ta dernière garde-av après l’ouverture ratée d’un squat, et celui prélevé sur le marteau abandonné près de la vitrine brisée de la régie qui gère l’immeuble en question deux semaines plus tard.

En juillet 2022, Oscar* a été condamné en appel car la police avait retrouvé son ADN dans un gant qui aurait servi à caillasser les flics lors de l’évacuation de la ZAD de la Colline en mars 2021, malgré qu’un témoin attestait de sa présence dans une librairie au moment des faits [1]. Plus récemment, c’est Jérémy* qui a été mis en détention provisoire à Champ-Dollon (GE) 3 mois parce que son ADN a été retrouvé sur un bidon d’essence sur les lieux d’un sabotage contre Lafarge-Holcim en janvier 2022 [2]. Son téléphone aurait aussi borné aux antennes-relais autour des lieux 10 jours avant les faits [3].

La police peut maintenant déterminer la couleur des yeux, des cheveux et de la peau, l'"origine" et l'âge de la personne dont l'ADN a été prélevé au moment de l'enquête.

La nouvelle loi sur les profils ADN [4] va bientôt permettre aux flics de recourir au phénotypage lors de prise d’ADN dans le cadre d’une enquête sur un crime grave. C’est-à-dire que la police peut maintenant déterminer la couleur des yeux, des cheveux et de la peau, l’“origine” (“bio-géographique”) et l’âge de la personne dont l’ADN a été prélevé à un moment de l’enquête [5]. Théoriquement les informations récoltées avec cet outil scientifique devront être additionnées à d’autres indices pour constituer une charge contre un.ex suspect.ex. Même si cette mesure est censée s’appliquer aux seules enquêtes pour des crimes graves (passibles de plus de 3 ans de prison) et pas pour des délits tels que le dommage à la propriété, il n’est pas du tout exclu qu’elle soit utilisée à termes contre des militant.exs politiques. Et les stigmatisations et discriminations d’une population en particulier, sur la base de préjugés racistes, sont clairement un risque de cette nouvelle mesure.

Les pratiques de la police, au moins dans le canton de Genève et de Vaud, montrent clairement que les flics sautent sur l’occasion dès qu’ils pensent pouvoir préveler ton ADN, même si c’est souvent disproportionné et que ça sert à rien pour élucider les faits qui te sont reprochés. Le but (toujours nié) des ministères publics est de ficher un maximum les militant.exs, pour résoudre des affaires passées ou futures, mais surtout pour dissuader les mouvements politiques à pratiquer l’action directe. Même si une trace ADN est souvent présentée comme LA preuve ultime par la justice (et ça les flics le savent bien), ce n’est pas toujours le cas. Théoriquement, une preuve ADN est censée être complétée par d’autres preuves de l’enquête pour mener à une condamnation (des images caméra, des témoins, etc.). Pour que ça devienne LA preuve déterminante, il faut donc toute une construction juridique et scientifique qui n’est pas si évidente. En pratique, la preuve ADN et le fichage politique (profil anarchiste, militant écolo, etc.) servent malheureusement à inculper, voire incarcérer des gens.

Dans tous les cas, que l’ADN soit la preuve ultime ou pas, la vie militante est vraiment plus simple quand on n’a pas donné son ADN aux flics. Autant tout faire pour ne jamais le leur donner ! En garde-av, c’est un comissaire officier de police judiciaire (OPJ) qui doit d’abord ordonner le prélèvement ADN, mais tu peux refuser, et c’est souvent conseillé. Un.e procureur.e doit alors signer un mandat de prélèvement ADN qui t’oblige à ouvrir la bouche pour un prélèvement (frotti à l’intérieur de la joue avec un cotton-tige). Si tu refuses, les flics te prélèveront ton ADN de force. Recevoir ce mandat du procureur.e peut prolonger ta gard-av, mais il facilitera ta défense par la suite, parce que tu pourras t’opposer (dans les 10 jours) à l’ordonnance pénale de prélèvement ADN et demander un effet suspensif du résultat du prélèvement jusqu’au jugement du recours [6].

C’est surtout parce qu’on a peu d’infos que l’ADN semble compliqué. Pour y remédier, voilà trois brochures pour s’y retrouver un peu mieux dans ce mélange scientifique, juridique et politique qu’est l’ADN.

*Prénoms d’emprunts

bonsreflexes@riseup.net

1. BLABLADN, tout cramer pour brûler plus longtemps : un guide pour ne pas laisser de traces

C’est la brochure la plus récente sur le sujet (juillet 2021). Elle a été écrite par et pour des militant.exs pour comprendre comment les flics identifient une personne avec l’ADN, et proposer des pistes pour s’en protéger. L’intro est plutôt théorique : le but est de comprendre rapidement ce que c’est que l’ADN, comment ça marche. La 1re partie explique les méthodes des keufs pour récolter de l’ADN, repérer les traces les plus exploitables, etc. mais aussi les défauts de ces techniques. La 2e partie est pratique : un exemple d’action est analysé pour capter où et quand on pourrait laisser notre ADN. Elle contient la partie la plus intéressante : un exemple de protocole à faire à deux pour nettoyer du matos qu’on voudrait utiliser pour une manif/action. C’est hyper complet : liste de matos, qui fait quoi, lieu du nettoyage, comment on fait si ça foire, etc. En fin de brochure on trouve encore quelques définitions et plus de détails techniques sur l’ADN.

Cette brochure est superstylée parce qu’elle permet de comprendre assez rapidement l’ADN sans devenir biologiste, de capter les mécanismes utilisés par les flics pour prendre nos ADN sans s’inscrire à la police scientifique du coin, et surtout de pouvoir s’entrainer à nettoyer les traces ADN sur du matos qu’on voudrait laisser clean pour pouvoir ensuite pratiquer des illégalismes un peu plus sereinement.

2. Du sang, de la chique et du molard. Sur l’ADN

Cette brochure date de 2009. Si les méthodes d’analyse scientifiques et les techniques des flics ont pas mal évolué depuis, le fond de la critique reste d’actualité : la preuve par ADN s’accompagne nécessairement d’une entreprise de fichage généralisé de la population.

En 1998, les prélèvements ADN n’étaient autorisés (en France) que sur des personnes accusées de délits et crimes sexuels sur mineur.es de moins de 15 ans. Aujourd’hui le fichage s’est largement généralisé dans les procédures judiciaires. Pourtant, l’ADN n’est qu’une innovation scientifique parmi les autres : découverte dans les années 1950’s, la recherche sur l’ADN a fonctionné par tatonnement et comporte encore de nombreuses erreurs. Les tribunaux sont maintenant remplis de “preuve par l’ADN”, avec des experts qui viennent témoigner à la barre : pourtant, la preuve ADN est censée s’accompagner d’autres indices. De nombreuses personnes ont d’ailleurs été condamnées à tort sur la base d’un profilage ADN erroné.

L’utilisation de l’ADN comme preuve judiciaire ne peut pas se faire sans un fichage. Trouver une trace ADN sur une scène de crime ne suffit pas si celle-ci reste anonyme. Il faut la faire correspondre avec un ADN qui aura été prélevé par ailleurs sur quelqu’un, et entré dans une base de données. L’efficacité de la preuve par l’ADN reposerait donc sur l’extension de cette base de données : plus il y a de profils ADN dans le fichier, plus il y a de chance de retrouver la personne à accuser.

3. L’apparence de la certitude. L’ADN comme “preuve” scientifique et judiciaire

Cette brochure un peu datée (2009) n’a rien perdu en pertinence. Elle s’attache à montrer les apparences de vérité scientifique et irréfutable que se donnent les procédures judiciaires où l’ADN est utilisée. En expliquant la démarche scientifique, et ses failles, sur laquelle se basent les profils ADN, le texte attaque clairement l’ADN en tant que preuve incontestable. Et il met en lumière la légitimation que poursuit l’appreil judiciaire derrière une utilisation désabusée de l’ADN. Le lien entre la science et la justice, que l’ADN représente à merveille, montre finalement les motifs politiques que poursuit la justice, parfois aveuglément, dans sa volonté d’être toujours incontestable.

[...] si les résultats des experts sont présentés sous cette forme [irréfutable], et si les juges et les enquêteurs se réfugient derrière la toute-puissance de la science, ce n’est ni par ignorance, ni par mauvaise volonté, mais bien parce que les uns et les autres trouvent un intérêt mutuel à ce qu’il en soit ainsi. De fait, le mariage de la science et de la répression, qui n’a rien de nouveau, trouve avec l’ADN une nouvelle vitalité.

Documents joints

Notes

[4Acceptée par le Conseil National et le Conseil des Etats en 2021

[5Voir https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-81447.html et aussi https://www.rts.ch/info/suisse/14079312-les-cold-case-ces-affaires-non-resolues-qui-peuvent-ressurgir-grace-aux-progres-de-la-science-forensique.html. L’article de la RTS mentionne aussi que les flics pourront, aux alentours de 2026, utiliser la reconnaissance faciale pour analyser des images de vidéosurveillance. A suivre impérativement donc.

[6Voir les ressources dans le PS.

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