Si le World Economic Forum (WEF) se targue aujourd’hui d’être un espace d’échange égalitaire entre les différents Etats de la planète, il est important de rappeler que ses racines sont bel et bien ancrées dans la doctrine impérialiste américaine née de la Guerre Froide. Créé en 1971 par l’économiste libéral Klaus Schwab, le Forum de Davos a pour but premier de réunir les dirigeants de grandes entreprises européennes pour leur enseigner les doctrines de management américaines. Alors que les modèles de l’URSS, de la Yougoslavie et des sociaux-démocrates gagnent en popularité en Occident, il s’agit ainsi de redorer l’image de l’économie libérale en important la vision du “rêve américain”.
Le WEF prend une tournure plus politique suite aux chocs pétroliers des années 70 et à la première guerre entre les Etats arabes et Israël. De plus en plus de dirigeants se voient invités à ce rendez-vous pour sauvegarder les intérêts commerciaux américains. D’une réunion de chefs d’entreprises, il se mue en conglomérat politico-économique cherchant à maintenir un système économique avantageant certains Etats dominants.
Car bien que le Forum de Davos cherche depuis toujours à se vendre comme une grand-messe de philantropes fortunés et de dirigeants éclairés, c’est tout le contraire qui se déroule en coulisses. En 2008, alors que la crise des subprimes met à terre des millions de travailleurs et travailleuses à travers le monde, Bill Gates y tient un discours sur le “creative capitalism”, un modèle promouvant un entrepreneuriat capable de dégager du profit tout en résolvant les problèmes de la population. A l’heure où des milliers de manifestants demandent une régulation par l’Etat des institutions bancaires exerçant comme un état dans l’Etat, le WEF se contente de brandir des slogans creux et demande aux patrons de bien vouloir penser aussi au bien commun.
Mais d’autres opérations de communication ont bel et bien réussi à atteindre leur objectif. Comme toute institution défendant le libre échange, le WEF a su s’adapter aux changements sociaux du 21e siècle. Loin d’être menacé par les mouvements de défense pour le climat, le Forum de Davos a modifié son discours et ses pratiques de façade pour montrer un visage plus vert. L’édition de 2020 a par exemple été placée sous le signe de la “justice climatique”, un simulacre leur permettant d’apposer un vernis vert sur la plupart de leurs conférences et tables rondes. Sauf qu’en coulisses, le WEF sert toujours le même objectif : rapprocher les dirigeants des puissances mondiales et les patrons pour s’assurer de leurs intérêts conjoints. Malgré leurs discours, aucun changement dans l’intérêt des travailleurs et travailleuses n’est provenu des couloirs feutrés de Davos.
Aujourd’hui, peu nombreux sont ceux qui croient encore à la nature bienveillante du WEF. Les invités de marque de l’édition 2025 le prouvent. Entre Javier Milei, président argentin et néolibéral forcené vendant son pays au plus offrant, et Donald Trump, le visage d’un forum promouvant un “capitalisme plus humain” appartient au passé. Il faut le considérer pour ce qu’il est : un consortium de potentats, s’arrogeant le droit de décider du destin de l’humanité dans le calme des montagnes grisonnes.
Paradoxalement, la mobilisation contre le WEF a connu un déclin régulier depuis le début des années 2000. Les mouvements altermondialistes du début du millénaire se sont essouflés, et les thématiques qui lui sont liées ne sont plus aussi centrales dans les discours de la gauche. Cette perte de rapport de force est insidieuse, car elle laisse le champ libre aux voix réactionnaires et complotistes accusant le Forum d’être un congrès “mondialiste” et leur permettant de dérouler un discours raciste, antisémite et fascisant.
Si les mobilisations anti-WEF n’ont jamais cessé en Suisse Allemande, cette thématique a été complètement désertée par la gauche Suisse Romande depuis plusieurs années, ce qui est ironique lorsque l’on sait que le siège du WEF se trouve sur la commune genevoise de Cologny.
Mais tout n’est pas perdu. Le succès de la mobilisation du samedi 18 janvier à Berne le prouve. En Suisse, au coeur même de “l’arrière-pays calme du capitalisme”, il existe de nombreux mouvements révolutionnaires capables de reconstruire un front solide contre le WEF. A nous désormais de faire comprendre aux dirigeants des Etats impérialistes et aux magnats de l’économie que nous ne serons jamais complaisant.e.s avec leur rendez-vous annuel.