PRÉFACE
Parlons prisons est un collectif anticarcéral genevois qui soutient les personnes détenues et leurs proches. Ce collectif a été créé avec l’idée, l’envie et le besoin de rejoindre, depuis Genève, un mouvement de lutte international et contre les prisons et le système pénal, en vue de leur abolition. En parallèle de cette lutte à long terme, nous sommes convaincu·x·es qu’il y a urgence à lutter pour soutenir activement les personnes enfermées et leurs proches.
Nous défendons une approche abolitionniste tant du système carcéral que pénal. Notre analyse se veut antiraciste, antisexiste et anticapitaliste. Dans cette perspective, une société ne peut se penser avec des prisons.
Parce que ce sont toujours les mêmes qui sont derrière les barreaux.
Nous allons traiter principalement des prisons et du système pénal dans le canton de Genève parce que nous voulons ancrer nos luttes dans notre contexte local. Cependant, nous aborderons également le système pénal et carcéral de manière plus générale, puisque c’est un modèle hégémonique partout dans le monde. La lutte anticarcérale n’a pas de frontières.
Parce que la prison ne résout rien, bien au contraire : elle brise des vies.
Ce texte a pour but d’apporter notre contribution aux mouvements abolitionnistes dans le monde francophone, pour permettre de penser un monde sans prison. Si cette construction d’un monde sans prison et sans système pénal n’est pas impossible, elle doit en revanche être pensée et réfléchie en parallèle d’une pensée révolutionnaire plus générale qui vise à abolir toutes les oppressions. Il est important de rappeler qu’un monde sans prison, comme un monde sans police, etc., ne peut pas se penser si le reste de la société ne bouge pas. Ce texte propose un mode de réflexion pour l’abolition du système pénal mais qui peut être adopté plus généralement pour d’autres systèmes ou structures d’oppressions semblant parfois « aller de soi ».
INTRODUCTION
L’idée de ce texte et notre engagement autour des questions pénales et carcérales a évolué et s’est affirmé à partir de nos expériences de vies, de celles de nos proches, de nos lectures, de nos discussions. C’est le résultat d’un travail collectif, il reflète nos expériences et nos réflexions à Genève, ville où nous vivons et militons.
Parlons prisons pour que plus jamais un·x·e proche ne se sente isolé·x·e.
Genève est, en matière pénale et carcérale, le canton qui enferme le plus en Suisse [1]. Il existe de nombreux espaces d’enfermement. Les prisons pénales et administratives, les commissariats, les cellules de l’aéroport, les tribunaux, les unités pénitentiaires de l’hôpital et des hôpitaux psychiatriques, les douanes, etc. Ici, nous choisirons de nous concentrer principalement sur les établissements de détention.
Parlons prisons pour construire des réseaux de solidarité.
Le discours dominant défend la nécessité de la prison en avançant ses fonctions bénéfiques pour la société. Avant de déconstruire ces arguments en faveur du système carcéral, il faut rappeler que les taux d’incarcération ne sont en réalité pas corrélés au taux de délinquance. C’est-à-dire que le taux d’incarcération peut augmenter alors que la criminalité de la ville baisse, ou le contraire. Cela s’explique principalement par le fait que les statistiques de délinquance sont des constructions, elles sont le résultat de politiques pénales, tout comme les décisions d’enfermement. À Genève, ceci est très clair : le Procureur général (main dans la main avec le·la commandant·x·e de police) établit son “plan en matière de sécurité” tous les trois ans. Autrement dit, il établit des objectifs et des politiques de répression ou de maintien de l’ordre, et celles-ci changent en fonction des années. Ce qui influence forcément les statistiques de délinquance.
Parlons prisons pour ne plus jamais avoir un être aimé incarcéré.
Par exemple, si une année, le·la procureur·x·e décide de prioriser l’arrestation des personnes qui volent des vélos, alors plus de moyens sont mis au service d’enquêtes suite à une plainte pour vol de vélo. Plus d’efforts sont mis à retrouver les personnes responsables des faits et elles seront punies davantage. Au contraire, si une année ce type de délit n’est pas priorisé, les plaintes n’aboutissent pas et donc les statistiques sont différentes. L’incarcération c’est donc le choix délibéré de politiques pénales oppressives qui peuvent changer et évoluer en fonction des décisions politiques prises et des personnes qui sont au pouvoir.
Le système pénal et carcéral est structuré par des logiques racistes, sexistes et de classe. Elles sont la base même de ce système, et lui permettent de continuer à exister. En effet, la justice répressive, symbolisée et matérialisée par l’enfermement, est présentée comme une mesure incontournable et nécessaire. L’enfermement, tout comme le système pénal en général, est un choix politique qui s’inscrit dans un système inégalitaire qui reproduit ces logiques.
Parlons prisons pour briser le tabou derrière ce qui régit la vie de beaucoup de gens (dedans et dehors).
Ces politiques pénales ont pour but d’enfermer les personnes non-blanches, les personnes pauvres et les personnes sans statut légal. Ce sont, dans l’immense majorité des cas, des hommes — ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de femmes, de personnes trans ou non-binaires enfermés·x·es— . La prison affecte également toutes les personnes proches des détenus·x·es qui se trouvent embarqué·x·es dans l’expérience carcérale et punitive.
Que ce soit clair : nous sommes contre ce système et souhaitons renoncer à toute forme d’enfermement, de punition ou de répression des personnes.
L’article de la semaine prochaine portera sur les fonctions attribuées à la prison leurs failles et leurs limites.
Parlons prisons et système pénal pour penser des sociétés sans prisons et sans système pénal.