Féminismes - Luttes Queer

Camarade pédé, camarade lesbienne, je n’ai pas envie de partager ta liesse.

[TW TRANSPHOBIE, MORT, SUICIDE]

Ce texte est plus un billet d’humeur qu’un texte politique, j’ai ressenti le besoin de l’écrire comme un cri du coeur, parce qu’il y a des choses que je ne pouvais plus juste garder à l’intérieur de moi. Mais quand on sait que tout est politique, et à quel point l’est la santé mentale des personnes trans, je pense que ça avait du sens de le faire publier.

Il y a deux jours, la Suisse vivait un moment historique : le parlement votait enfin en faveur du mariage pour toutes et tous. Plus qu’à attendre que la droite réactionnaire dépose un référendum (ce qu’elle fera), à mener campagne (il le faudra) pour une victoire dans les urnes, et les couples homosexuels pourront enfin se marier, et ainsi bénéficier des mêmes avantages au niveau de la filiation que les couples hétéros.
Depuis, à raison j’imagine, je vois un déferlement de joie sur les réseaux sociaux. Mes ami-e-x-s homos et bis m’en parlent, de sympathiques allié-e-x-s hétéros plein de bonnes intention en parlent, les grosses structures comme la zurich pride en parlent. Il y a un mouvement de joie populaire dans la communauté LGBT+ auquel j’aurais pu participer, en d’autres circonstances.

Mais les circonstances actuelles ne me donnent aucune envie de me réjouir, et cette joie, votre joie, c’est une joie LGB.
La situation trans aujourd’hui en Suisse, c’est autre chose. Dans un contexte international franchement glauque, notre parlement a fait passer (le même jour que le mariage pour tous), une loi qui semble vouloir à tout prix nier le droit à l’autodétermination des jeunes trans*.

Le contexte, c’est qu’il y a quelques semaines, un jugement du tribunal britannique établit qu’il est “hautement improbable” que des jeunes de moins de seize ans soient aptes à décider de prendre des bloqueurs de puberté. La conséquence directe de ce jugement, c’est que des centaines d’ados trans en Grande Bretagne risquent d’être obligé-e-x-s de passer par la mauvaise puberté, car la médecine n’aura plus le droit de leur prescrire de bloqueurs. C’est une nouvelle extrêmement grave, d’abord pour les jeunes concerné-e-x-s, mais c’est aussi un signal politique fort : en 2020, on vit encore dans une société qui fait passer l’avis de quelques “expert-e-x-s” avant le bien-être et le droit à l’autodétermination des personnes trans, tout particulièrement les ados.

Même si je m’y attendais déjà, ça a été pour moi une énorme angoisse avant-hier de voir passer la loi sur le changement simplifié de sexe à l’état civil.
Cette loi permet aux personnes trans de changer leur mention de sexe et leurs prénoms à l’état civil par une simple déclaration. C’est une nette amélioration par rapport à la situation actuelle, dans laquelle le changement de sexe passe par un jugement du tribunal, et qui est l’occasion, dans certains cantons, de procédures humiliantes comme des examens psychologiques, des questions intrusives, et autres joyeusetés.

Sauf que le nouveau texte n’ouvre vraiment l’auto-détermination qu’aux personnes à partir de 16 ans. Entre 12 et 16 ans, il faudra un accord parental. C’est une nouveauté, et une régression ; actuellement, toute personne peut demander un changement d’état civil.
Comme pour le cas britannique, c’est d’abord grave pour les jeunes que ça concerne. Car des parents transphobes qui s’opposent à la transition de leur progéniture, il y en a, et pas qu’un peu.
C’est aussi très grave symboliquement. Le message envoyé, c’est que l’ado n’est pas capable, seul-e-x, de choisir de vivre sous le sexe et les prénoms qui lui correspondent. Que la volonté d’un parent à le faire vivre dans une identité qui ne lui correspond pas est plus importante que cette identité.

On vit une période orageuse pour les droits trans, et personne à part les trans ne semble s’en alarmer.

J’ai la sensation que chaque semaine, on apprend un nouveau décès de personne trans. J’ai peur pour mes proches, parce que la santé mentale de notre communauté est lamentable.

Dans ce climat de merde, une attaque législative de plus sur nos droits, sur celleux d’entre nous qui sont les plus fragiles, les jeunes, les ados, ça me révolte. Et ce qui me rend fou, c’est de ne pas voir plus de révolte autour de moi.

Je sais que ce n’est pas l’intention, mais quand je vois la joie, les célébrations, les drapeaux arc-en-ciel, j’ai du mal à le prendre autrement que comme un crachat à notre visage, un effacement total de nos difficultés, l’éternelle réduction de l’acronyme LGBT+ à ses trois premières lettres.

Camarades pédés, camarades lesbiennes, je vous aime, mais il y a des moments où j’aimerais bien vous voir vous taire, et donner de la voix là où il y en a besoin. Que la solidarité n’aille pas toujours dans le même sens.

Je suis gay moi-même, je tenais à le souligner. La loi sur le mariage me concerne aussi. Je suis très content de pouvoir me marier, peut-être, un jour. Mais pour cela encore faut-il que j’arrive vivant à cette étape, et vu la transphobie du climat actuel, c’est tout sauf garanti.

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