Les vautours
Ce n’est pas la première fois que l’extrême-droite instrumentalise des événements tragiques pour remplir son agenda raciste. Bien que dans la plupart des cas, les familles des victimes frappées par le deuil condamnent la propagande et la récupération raciste, l’extrême-droite ne perd pas pour autant une seule occasion de faire ses affaires sur la mort et la douleur.
Des faits divers dramatiques, comme celui de Crépol, sont toujours des occasions pour les néonazis d’organiser des « ratonnades », soit une action violente consistant à cibler les arabes datant de l’Algérie coloniale. L’instrumentalisation du meurtre de Philippine par les néonazis français en est une preuve récente.
La principale force logistique et organisationnelle derrière les émeutes racistes de cet été était l’« English Defence League » (EDL) ou la « Ligue de Défense Anglaise ». L’EDL est un réseau de groupes de hooligans d’extrême-droite qui a fait de l’islamophobie son cheval de bataille depuis 2009 et qui était en perte de vitesse depuis quelques années, au profit de l’UKIP (Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni) de Nigel Farage.
La rumeur
Encore une fois, comme souvent dans l’histoire des pogroms et des violences racistes, tout est parti d’une rumeur. Dans le sud des Etats-Unis, pendant plus d’un siècle des hommes noirs ont été lynchés uniquement sur la base de « on-dit ». En plus de 2’000 ans d’antisémitisme européen et chrétien, combien de pogroms ont été déclenchés parce que les juifs se voyaient accusés de tous les maux et d’absurdités comme enlever des enfants pour les tuer lors de rituels ou d’empoisonner les puits ? Combien de Roms ont fait les frais de fausses accusations ?
Bien qu’ils ne reposent évidemment sur aucun fait avéré, ces mensonges sont diffusés par l’extrême-droite. Dans le cas qui nous intéresse, l’auteur de l’attaque en Angleterre n’était ni musulman ni immigré comme le prétendait la propagande raciste.
Le racisme
Le racisme systémique affecte notre perception. En effet, nous ne pouvons pas analyser nos sociétés occidentales en ignorant l’histoire coloniale et raciste sur laquelle elles ont été fondées.
Cet héritage raciste et colonial se transmet par exemple, par des mythes et des préjugés qui persistent encore de manière consciente ou inconsciente dans nos sociétés. Nous avons besoin d’une analyse critique face à un système qui perpétue le racisme et les inégalités. Un système où les pauvres et les personnes racisées sont considérés comme des « sauvages ». Un système où ce qui est blanc est pur, innocent et synonyme de « civilisation » .
Tout le monde ne bénéficie pas de la même empathie de la part de l’ « opinion publique » ou encore du système judiciaire. L’imaginaire raciste et colonial, et la déshumanisation qui en découle doivent être démasqués et combattus.
Antisionisme et antifascisme
Il y a un parallèle flagrant entre la déshumanisation des Palestiniens (le génocide en cours à Gaza) et les émeutes racistes et islamophobes qui ont eu lieu dans le rues anglaises. L’extrême-droite et les sionistes partagent la même narrative de « guerre de civilisations » et le rêve d’un ethno-Etat.
L’EDL arbore d’ailleurs le drapeau israélien lors de ses manifestations et son leader Tommy Robinson s’est rendu à plusieurs reprises en Israël malgré son « passé » au British National Party (BNP), un parti d’inspiration fasciste et clairement antisémite. Aujourd’hui, de larges pans du mouvement d’extrême-droite tentent de faire oublier leur antisémitisme en misant tout sur l’islamophobie et surfent sur la propagande mainstream anti-palestinienne.
Le nom de l’EDL est d’ailleurs clairement inspiré de la « Jewish Defense League » (JDL) ou Ligue de Défense Juive (LDJ), l’organisation sioniste ultra-violente. La doctrine de la LDJ est le « kahanisme », un courant du sionisme religieux développé par le rabbin Meir Kahane. Les héritiers de Kahane, comme Smotrich et Ben-Gvir, font partie aujourd’hui du gouvernement israélien et sont les architectes du génocide en cours.
Pour rappel déjà en 2010, les fascistes du "Bloc Identitaire" avaient fait appel à la LDJ pour faire le service d’ordre des "Assises contre l’islamisation de l’Europe" où on pouvait trouver entre autres comme orateur l’UDC valaisan Oskar Freysinger. La jonction entre l’extrême-droite occidentale et le sionisme n’a fait qu’accroitre depuis comme le prouve la position pro-israélienne du parti d’extrême-droite allemand aux sympathies néonazies « AfD » mais aussi toutes les attaques fascistes contre les occupations étudiantes.
Antifascisme et anticapitalisme
Lorsqu’un crime est commis, on ne cherche pas uniquement le coupable mais aussi ses complices. Qui a facilité la diffusion des mensonges et de la violence ? Qui va jusqu’à faire la promotion de la « guerre civile » voulue par l’extrême-droite ? Une ordure capitaliste milliardaire, Elon Musk.
En France, un autre milliardaire a misé sur les fascistes du Rassemblement National, Vincent Bolloré. Celui-là même qui détient plus d’une quinzaine de médias français (C8, Canal+, CNews, Europe 1, RFM, Télé-Loisirs, Femme actuelle, Paris Match, etc).
Le capitalisme est un système politique, culturel, social, d’organisation du travail, des vies et des mentalités. Le fascisme et le libéralisme en sont les composantes essentielles. Se sont les deux facettes d’une seule et même pièce : selon le moment historique et les tensions sociales, on passe de l’un (fascisme) à l’autre (libéralisme) et le « statut quo » du capitalisme est ainsi préservé.
Les émeutes racistes de cet été étaient bien pilotés par l’EDL mais on ne peut pas dire que toutes les personnes qui ont participé aux émeutes étaient toutes des fascistes ou des racistes convaincus. Beaucoup ont le profil de personnes issues de la classe ouvrière blanche qui a vu ses droits privés par des décennies de néolibéralisme et de politiques antisociales. Le but de l’extrême-droite c’est justement de détourner cette colère sociale, et c’est en ça que les système capitaliste a besoin d’elle pour défendre le « statu quo ». Notre tâche est de mettre le doigt sur les vraies contradictions et les vrais enjeux. Notre lutte doit être ancrée dans la réalité et nous devons être sur le terrain pour pointer du doigt les vrais « profiteurs » et les vrais « parasites ». Pas celles et ceux qui galèrent et qui sautent des repas. Là on parle de ceux qui ne vivent pas notre réalité, ceux qui ne vivent pas notre quotidien. Ceux qui aimeraient nous détourner l’attention pour qu’on ne remette pas en cause leur système injuste.
Face au racisme, à la concurrence et à l’individualisme encouragés par le système, nous devons promouvoir l’auto-organisation par le bas et les initiatives d’autodéfense et de solidarité populaire. Un exemple frappant est la « Rainbow Coalition » (ou la Coalition Arc-en-ciel) mise en place par le « Black Panther Party for Self-Defense » à la fin des années 60 à Chicago. Cette coalition avait regroupé les communautés blanches, hispaniques et afro-américaines des quartiers populaires et défavorisés afin de lutter ensemble contre la police et les proprios véreux.
C’est uniquement à travers une approche de terrain, en construisant l’autodéfense populaire dans chaque quartier, que nous pourrons contrer l’avancée du fascisme encouragée par la bourgeoisie.
Autodéfense populaire
La seule réponse face au racisme, au patriarcat, au capitalisme, au fascisme et à l’impérialisme c’est l’autodéfense populaire. S’organiser collectivement afin d’inverser les rapports de force et défendre notre intégrité physique, notre dignité humaine, nos espaces, nos communautés en lutte et les intérêts politiques et économiques des classes populaires.
L’histoire anglaise du dernier siècle regorge d’exemples d’autodéfense populaire face à la violence et aux provocations fascistes. Ils sont transmis dans la mémoire collective comme des « batailles ».
En 1936, la bataille de Cable Street s’est déroulée dans l’East-End londonien. La « British Union of Fascists » (BUF) voulait parader dans un quartier à forte population juive. L’union de la communauté juive, des dockers irlandais, des militant·e·s communistes et des milliers d’antifascistes a réussi à mettre en déroute les « black shirts » et leur escorte policière.
En 1977, les néonazis du « National Front » ont essuyé une violente et humiliante défaite lors de la bataille de Lewisham dans le sud-est londonien. Sous prétexte de lutter contre la criminalité, les fascistes avaient ciblé ce quartier multiculturel mais avaient du faire face à une telle pluie de projectiles qu’ils ont été obligés de se faire exfiltrer en train par la police.
En 1992, des affrontements avec des néonazis éclatent à la gare de Waterloo, dans le sud de Londres. Un millier d’antifascistes s’étaient rassemblé·e·s pour empêcher « Blood And Honour » d’organiser un concert avec le groupe de rock raciste « Skrewdriver ». Les antifascistes ont réussi à perturber les plans des nazis qui ont dû être escortés hors de la zone par les flics, mais seulement après que les nazis aient été pourchassés et tabassés. Cette victoire est célébrée comme la bataille de Waterloo.
Ces victoires nous démontrent qu’il faut s’organiser contre l’Etat bourgeois et sa police qui ne nous protègent pas des fascistes. Seule notre détermination et notre unité dans l’action combinées avec la construction de solidarités et de complicités fortes peuvent empêcher des pogroms.
La police anglaise étant débordée et occupée à protéger des bâtiments, les différentes communautés et quartiers ont du prendre en main leur propre sécurité face à la violence islamophobe et raciste de cet été.
Ces émeutes racistes ont principalement visé les personnes migrantes, musulmanes et racisées, semant la peur dans tout le pays. Mais les quartiers et les communautés ciblés se sont organisées pour repousser l’extrême-droite, aux cris de « Free Palestine ! Fuck EDL ! » et un large front antifasciste a fait en sorte que leurs rassemblements soient assiégés et attaqués.
La première AFA « Antifascist Action » (à ne pas confondre avec l’ « Antifaschistische Aktion » allemande des années 30) a été créée en 1985 en Angleterre en tant que front antifasciste actif au sein de la classe ouvrière et des quartiers populaires. L’antifascisme militant a une longue tradition en Angleterre, et c’est dans le cadre de cette tradition que l’AFA avait été créée. Il y a des traditions qu’il ne faut jamais abandonner.
Action Antifasciste Genève
Octobre 2024