Logement - Squat

Evacuation du collectif 43M2 - Prise de position de l’UCL Romandie du 3 mai 2022

Evacuation du collectif 43M2 : Le choix du mépris

Samedi 30 avril, le collectif 43M2 a investi Beaulieu (https://bit.ly/3KELcBk) en y installant un hébergement d’urgence transitoire et autogéré. Sous tentes, une structure pleinement opérationnelle est installée à l’extérieur du site pour accueillir les sans-abris. Cette occupation répondait à la fermeture de deux structures d’accueil « hivernales », laissant 160 personnes à la rue. Quelques jours auparavant, la situation avait été dénoncée dans une lettre ouverte des acteurice-xs du domaine à l’attention de Rebecca Ruiz, conseillère d’Etat PS en charge du dossier. Faute de réponse satisfaisante, l’occupation constituait une solution « clef en main » au manque de places d’urgence.

Lausanne |

Le silence autoritaire

Beaulieu, dont des halles sont inoccupées, a servi d’hébergement d’urgence durant la pandémie puis récemment de centre d’accueil pour les réfugié-e-xs d’Ukraine et aurait donc pu accueillir celleux que l’Etat laisse à la rue. La Municipalité de Lausanne (exécutif) en a décidé autrement en ordonnant sans dialogue l’évacuation des occupants par l’entremise de sa police et de la gendarmerie. Une décision accablante venant d’élus à majorité (6/7) de « gauche », ignorant de longue date les alarmes tirées par les travailleur-euse-xs des structures d’accueil.

Malgré les importants moyens et le professionnalisme engagés par le collectif 43M2 et ses soutiens, la ville de Lausanne comme le Canton, pourtant informés de la démarche sont restés de marbre, préférant la répression à la solidarité. Aucun membre de la Municipalité, ni délégation de ses services n’ont en effet daigné se présenter sur les lieux pour constater ce qui aurait pu être une alternative concrète et immédiate à l’extrême précarité que vivent les personnes sans logement. C’est encore le choix du mépris qui a été endossé par nos autorités. L’urgence sociale relève aujourd’hui de la crise humanitaire dans laquelle les autorités empêchent l’organisation de l’aide aux victimes par dogmatisme.

Rouages du racisme d’Etat

Depuis 2012, toutes les personnes en quête d’une place, dans l’un des centres d’hébergements d’urgence, doivent se soumettre à la réservation obligatoire. Cette mesure, mise en place alors que le manque de places était déjà criant, permet de trier les bénéficiaires par catégorie en fonction de critères hautement discutables. Dans les faits, la réservation scinde en deux types de population : d’une part les « ayants-droit » jouissant de critères d’intégration relatifs à la nationalité/permis de séjour (droit à l’aide sociale traditionnelle) et d’autre part, toutes les autres personnes ne pouvant prétendre à ce titre. Une sous-catégorie pondère ces deux groupes en fonction de la vulnérabilité (genre, âge, état de santé) et de l’existence ou non d’une relation de travail impliquant le demandeur. Sans surprise, c’est toujours le même type de population qu’on retrouve parmi les oublié-e-xs du système d’accueil : des personnes à qui on nie le droit à s’installer et à travailler légalement en Suisse. Pour la plupart, ce sont de jeunes hommes racisés sans droit de séjour, souvent victimes des accords délétères de Schengen-Dublin.

La réservation obligatoire a le grand avantage d’invisibiliser ces personnes tout en évitant de devoir investir financièrement pour leur survie. C’est bien là, la raison de l’inaction des politiques publiques en la matière, construite par la doctrine raciste et discriminatoire des institutions. Si le froid est un facteur de risque pour les gens de la rue, c’est bien la rue qui tue et compromet la santé des personnes sans-abri. Prétendre qu’il suffirait de maintenir une offre saisonnière en matière d’hébergement relève du tragi-comique, et si ce statu quo est maintenu, c’est par hygiénisme social. Il est certes fâcheux que ces gens meurent de froid dans nos rues mais il n’est pas question de leur offrir pour autant la dignité d’un toit à l’année. Augmenter significativement le nombre de places n’a jamais été à l’agenda politique de la dernière décennie. Les aménagements consentis sont cosmétiques et l’offre proposée dans sa globalité demeure très largement insuffisante.

Un terrain à usage exclusif de la gauche institutionnelle

L’accueil nocturne en agglomération Lausannoise, dit « bas-seuil » (dont les règles d’accès à la structure sont réduites au minimum) comprend une centaine de lits répartis dans trois structures, augmenté par l’ouverture saisonnière en hiver de deux lieux supplémentaires portant la capacité totale de l’hébergement nocturne en hiver à environ 240 places. Une centaine de ces places est assurée à lui seul par Le Répit, entité de la fondation Mère Sofia, qui se veut être un « accueil de nuit » plus qu’un hébergement. Cette structure n’est pas dotée de conditions de conforts analogues aux autres lieux. L’accès au Répit est réellement inconditionnel et ne nécessite pas d’y réserver sa place. L’ensemble du dispositif est subventionné par le canton et administré par la Ville de Lausanne, qui finance encore directement en partie Le Répit.

Chaque soir, des dizaines de personnes sont refoulées à la porte des structures et ne peuvent réserver de place, le système étant complétement saturé. Il est important de relever que, face à cette réalité quotidienne, nombre de bénéficiaires ne se présentent même plus devant l’hébergement. De nombreuses personnes sortent ainsi des statistiques, préférant la débrouille et les risques du « camping sauvage » (illégal et sanctionné d’une amende) à la désillusion. D’autres encore n’auront pas les ressources nécessaires pour réserver une place en amont. L’offre étant évaluée selon les besoins quantifiables, on comprend la difficulté à dresser un état des lieux précis.

Le déni de réalité coupable de la gauche institutionnelle

La nécessité de l’augmentation et de la pérennisation des places d’accueil est pourtant manifeste, car il est illusoire de penser que les personnes trouvant refuge dans les structures saisonnières disparaissent simplement avec l’arrivée du printemps. Cette politique n’est autre qu’un déni de réalité, confortable pour la gauche de gouvernement qui peut minimiser les frais toute en se targuant d’agir. La Municipalité a réussi de longues années à jouer ce numéro d’équilibrisme sous la direction d’élus PS. Du côté du Canton, le département des affaires sociales, qui finance les hébergements, est également en mains socialistes. La responsabilité des élus est immense face à leur refus de considérer le constat alarmant du terrain. En dix ans, face aux limites posées par le système, cette « gauche » a décidé de tout en la matière, selon ses priorités et sans rougir, générant aujourd’hui un problème qu’ils refusent de voir se solutionner par une initiative qui n’est pas de leur fait.

Pour revenir à l’occupation de Beaulieu, nous ne manquerons pas de nous souvenir qu’aucune des élues de « gauche » à la municipalité n’a été en mesure d’éviter l’évacuation du collectif, ni ne s’est présenté sur les lieux pour y dialoguer avec les occupant-e-xs. Nous appelons les militant-e-xs de la majorité municipale, soit des Vert-e-s, du POP et du PS à s’indigner de cette situation en condamnant fermement le rôle inacceptable de leurs élu-e-xs dans cette affaire.

Entretenir le rapport de force

Dans ce contexte, l’action du collectif 43M2 est l’expression du rapport de force nécessaire pour changer la donne. Ses revendications sont claires et en phase avec la réalité du terrain. Aussi, le choix de l’occupation illicite de l’espace public relève du bon sens et de la lutte essentielle pour la dignité des personnes sans-abri. Cette action sera porteuse de résultats car elle répond aux besoins des bénéficiaires comme des travailleureuse-xs du secteur. La qualité de celui-ci dépendra de la mobilisation à venir, considérant qu’il n’y a rien à attendre des autorités en la matière.

Le collectif 43M2 nous prouve qu’il est possible de mettre rapidement sur pied une solution pour répondre au sans-abrisme de manière pérenne. L’immobilisme de la Municipalité et du Canton est aujourd’hui malmené par cette occupation. Bien que nous aurions préféré voir cette structure fonctionner, c’est sans équivoque, une première victoire de taille sur laquelle il faudra renchérir.

Les revendications essentielles du collectif 43M2

L’UCL Romandie se joint, sans réserve, aux revendications du collectif pour demander :

  • Le maintien du nombre de places à l’année ;
  • L’augmentation du nombre de places d’hébergement d’urgence ;
  • La dépénalisation du “camping sauvage” ;
  • Une refonte du Bureau des Réservations en collaboration avec les acteurice-xs de terrain ;
  • La suppression des ordres de priorité officiels dans l’accès aux hébergements d’urgence.

A ces revendications s’ajoute la nécessité d’une réponse politique à l’évacuation du collectif. Il s’agit d’une campagne prioritaire. Il est inconcevable, que dans un pays aussi riche, subsiste de telles inégalités et un tel mépris pour l’existence humaine.

Du manque de considération des autorités, amorçons ensemble un mouvement social capable de renverser cet immobilisme et construisons des solutions dignes à distance de l’Etat et des institutions. Nous sommes solidaires du collectif 43M2 et de toutes les personnes à la rue, Personne ne doit dormir dehors !

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