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Hamas, son histoire, son développement. Une perspective critique

Dans cet article, le chercheur et militant internationaliste Joseph Daher revient sur les origines, le développement, l’orientation politique et la stratégie du Hamas, dans une perspective marxiste critique, tout en soulignant que “toute critique sérieuse du Hamas ne peut être formulée sans une opposition claire à l’État d’apartheid raciste et colonial d’Israël”.

Un article publié par Contretemps - revue de critique marxiste.

L’armée d’occupation israélienne mène une guerre génocidaire contre la population palestinienne dans la bande de Gaza. Les 2,4 millions d’habitants de la bande de Gaza vivent sous des bombardements israéliens constants d’une violence sans précédent. Plus de 20 000 personnes ont été tuées par les frappes israéliennes. Plus de 1,9 million de Palestiniens sont déplacés dans la bande de Gaza, représentant plus de 85 % de la population totale du territoire. Il s’agit à bien des égards d’une nouvelle Nakba, après celle de 1948, au cours de laquelle plus de 700 000 Palestiniens ont été chassés de force de leurs foyers et sont devenus des réfugiés. Ce processus de nettoyage ethnique, qui ne s’est jamais arrêté, se poursuit aujourd’hui.

Le Hamas est diabolisé depuis ses attentats du 7 octobre 2023, qui ont entraîné la mort de plus de 1 139 individus, y compris 695 civils israéliens, 373 membres des forces de sécurité et 71 étrangers [1]. Quelles sont les origines de ce parti et comment s’est-il développé ? Quelle est l’orientation politique et la stratégie du Hamas, ainsi que ses alliances régionales ?

Avant de discuter de la nature politique du Hamas et de développer une perspective critique sur le parti islamique palestinien, il est nécessaire de clarifier certaines positions politiques. Premièrement, Israël a toujours été un projet colonial de peuplement visant à établir, maintenir et étendre son territoire, cherchant à déplacer continuellement par la violence les Palestiniens de leurs territoires. Des groupes comme Human Rights Watch (HRW) et Amnesty International ont également qualifié l’État israélien de régime d’apartheid. Deuxièmement, tout au long de son histoire, le mouvement sioniste, puis l’État israélien, se sont alliés aux puissances impérialistes occidentales et ont obtenu leurs soutiens, d’abord celui de l’empire britannique, puis celui des États-Unis. Le génocide actuel dans la bande de Gaza se déroule avec le soutien actif de toutes les puissances impérialistes occidentales, des États-Unis à l’Union européenne. La très grande majorité des classes dirigeantes occidentales soutiennent la propagande meurtrière de l’Etat d’Israël sur le « droit d’Israël à se défendre ». Cela signifie que les Palestiniens ne luttent pas seulement contre l’État israélien, mais aussi contre l’ensemble du système impérial occidental.

La nature de l’État israélien et ses politiques ont créé les conditions pour le type d’actions qui se sont produites le 7 octobre, tout comme n’importe quel acteur colonial et occupant à travers l’histoire. Il est donc très important de situer l’attaque du Hamas dans le contexte colonial historique de la Palestine.

Dans ce contexte, les partisans de la lutte palestinienne pour la libération et l’émancipation doivent réaffirmer le droit à la résistance des opprimé.es face à un régime d’apartheid, raciste et colonial. En effet, comme toute autre population confrontée aux mêmes défis et menaces, les Palestinien.nes jouissent de ces droits, y compris par des moyens militaires. Certes, il ne faut pas confondre cela avec le soutien aux perspectives politiques des différents partis politiques palestiniens, ni avec toutes sortes d’actions militaires menées par ces acteurs, conduisant notamment au meurtre aveugle de nombreux civils comme le 7 octobre [2]

Pour l’État israélien, la question n’est en effet pas la nature de l’acte de résistance des Palestinien.ne.s, qu’il soit pacifique ou armé, ni même son idéologie, mais le fait que toute contestation des structures d’occupation et de colonisation doit être criminalisée et réprimée. Avant le Hamas et jusqu’à aujourd’hui, les factions de l’OLP, des organisations à la gauche du Fatah, les progressistes et démocrates palestinien.ne.s, ainsi que les civils sans idéologie affirmée, ont tous subi la répression israélienne. Tout comme les manifestations très largement pacifiques vers la barrière de séparation israélienne organisés par de jeunes manifestants au cours des derniers mois, et avant cela en 2018-19, également connues sous le nom de « Grande marche du retour », ont toutes été violemment réprimées par l’armée d’occupation israélienne, notamment par des tirs à balles réelles, des gaz lacrymogènes, et même des frappes aériennes. De nombreuses personnes ont été tuées, et des blessés parmi les manifestants désignés comme « terroristes ».

Plus généralement, la violence utilisée par l’oppresseur pour maintenir ses structures de domination et d’assujettissement ne devrait jamais être comparée ou mise sur le même plan que la violence de l’opprimé qui tente de restaurer sa propre dignité et qui cherche à faire reconnaître son existence.

La nature de l’État israélien et ses politiques ont créé les conditions pour le type d’actions qui se sont produites le 7 octobre, tout comme n’importe quel acteur colonial et occupant à travers l’histoire. Il est donc très important de situer l’attaque du Hamas dans le contexte colonial historique de la Palestine.

Dans cette perspective, toute critique sérieuse et honnête du Hamas ne peut être formulée sans une opposition claire à l’État d’apartheid raciste et colonial d’Israël, visant à son démantèlement, et à un soutien à l’autodétermination des Palestiniens, à leur droit à la résistance, et à leurs droits fondamentaux contre l’occupation, comprenant la fin de la colonisation, l’égalité pour les Palestiniens et un droit au retour garanti pour les réfugiés palestiniens.

Ce n’est qu’à partir de là que nous pouvons développer une critique du mouvement palestinien Hamas, son orientation politique et sa stratégie.

Origines et évolutions du Hamas

Le Hamas, acronyme arabe de « Mouvement de résistance islamique », a été officiellement créé en décembre 1987, au début de la première Intifada palestinienne. Ses racines remontent cependant à l’organisation égyptienne des Frères musulmans (FM), active dans la bande de Gaza depuis les années 1940, et à l’association al-Mujamma al-Islami fondée par Cheikh Ahmad Yassin [3] en 1973 à Gaza et légalisée par l’armée d’occupation israélienne en 1979. Al-Mujamma al-Islami a été créé et a agi comme une organisation de façade pour les activités des FM à Gaza.

Les autorités d’occupation israéliennes ont initialement encouragé le développement des structures d’al-Mujamma al-Islami dans toute la bande de Gaza, en particulier les institutions sociales et les activités politiques. Pour les forces d’occupation israéliennes, il s’agissait naturellement d’affaiblir le camp nationaliste et de gauche, en encourageant l’alternative islamique. En effet, les FM avaient décidé d’adopter un comportement de non-confrontation envers les forces d’occupation israéliennes et se sont d’abord concentrés sur l’islamisation de la société. Le choix de la confrontation non armée avec l’occupant israélien a été contesté au sein des FM au début des années 1980 et une nouvelle entité politique, le Jihad islamique, dirigé à Gaza par Fathi Shikaki, a été créée sur cette division. Shikaki a également été inspiré par la révolution islamique en Iran et par l’idéologie de l’ayatollah Ruhollah Khomeini.

La confrontation non armée avec Israël a pris fin avec la création du Hamas en 1987, notamment sous la pression d’une partie de la base du parti, particulièrement de jeunes militants, qui critiquaient l’absence de résistance à l’occupation israélienne. Ils plaidaient pour une politique plus conflictuelle contre l’occupant israélien, contrairement à la pensée traditionnelle axée d’abord sur l’islamisation de la société. Le déclenchement de l’Intifada en 1987 a permis aux partisans d’une ligne de résistance contre l’occupation de gagner une position plus forte au sein du mouvement. Ils ont convaincu les plus récalcitrants, en arguant notamment que le mouvement des FM et al-Mujamma al-Islami dans les territoires occupés subiraient une grande perte de popularité s’ils refusaient de s’impliquer dans l’Intifada [4]. En même temps, la popularité croissante du Jihad islamique dans sa résistance militaire contre les autorités d’occupation israéliennes constituait de plus en plus une menace directe pour les FM en termes de base populaire.

Les autorités d’occupation israéliennes ont initialement encouragé le développement des structures d’al-Mujamma al-Islami dans toute la bande de Gaza, en particulier les institutions sociales et les activités politiques. Pour les forces d’occupation israéliennes, il s’agissait naturellement d’affaiblir le camp nationaliste et de gauche, en encourageant l’alternative islamique.

Un accord a finalement été trouvé entre la vieille garde conservatrice, favorable à une approche non conflictuelle avec Israël et composée principalement de commerçants urbains et de membres issus de la classe moyenne supérieure, et une jeune génération de nouveaux cadres militants, favorables à la résistance et composée pour la plupart d’étudiants issus de la classe moyenne inférieure et des camps de réfugiés, par la création du Hamas en tant qu’organisation affiliée distincte. Les membres des FM qui n’étaient pas d’accord avec sa création pouvaient rester au sein de l’organisation sans rejoindre le Hamas. La création du Hamas était un moyen de rejoindre l’Intifada sans mettre directement en péril l’avenir des institutions du mouvement et de l’association al-Mujamma al-Islami. Avec cette formule, en cas d’échec de l’Intifada, c’est la responsabilité du Hamas qui serait engagée et non celle des FM. C’est exactement le contraire qui s’est produit puisque la participation de la nouvelle organisation Hamas à l’Intifada a été un grand succès. Ce dernier a intégré presque tous les membres du mouvement des FM en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, et a surtout commencé à attirer des adeptes et des sympathisants qui n’étaient pas membres des FM.

Le développement du Hamas a également été stimulé par les événements régionaux tels que le boom pétrolier d’après 1973, permettant aux monarchies du Golfe d’augmenter leurs investissements dans les mouvements fondamentalistes islamiques, y compris à l’époque al-Mujamma al-Islami dans la bande de Gaza, et la création de la République Islamique d’Iran (RII). Les dirigeants de la RII ont en effet soutenu l’orientation politique fondamentaliste islamique à travers la région, y compris le Hamas à partir du début des années 1990. La consolidation des relations et futures alliances entre l’Iran et le Hamas se noue au moment de l’expulsion de centaines de membres du Hamas et du Jihad Islamique au Liban Sud à Marj al-Zouhour en 1992, y compris de l’actuel chef du bureau politique de l’organisation palestinienne Ismael Haniyeh. A cette période, le Hamas renforce également ses liens avec le Hezbollah au Liban.

D’un autre côté, les mouvements fondamentalistes islamiques dans les territoires palestiniens occupés (TPO) ont également bénéficié des revers majeurs de l’OLP, à commencer par la Jordanie en 1970 avec « Septembre noir » et la violente répression du régime jordanien contre les forces palestiniennes, qui a conduit à son transfert au Liban. Suite à la nouvelle expulsion des forces de l’OLP de Beyrouth vers Tunis en 1982, le mouvement national palestinien fut encore affaibli. Son leadership, sa stratégie et son programme politique étaient de plus en plus remis en question. Cela s’ajoutait à la concentration croissante de l’OLP, dirigée par le Fatah, sur la recherche d’une solution politique et diplomatique plutôt que sur la résistance armée. Cela était conforme à la dynamique politique de la guerre d’après octobre 1973, qui avait ouvert la porte à un règlement politique avec Israël, comme avec l’accord de paix avec l’Égypte.

En revanche, les dirigeants du Hamas ont refusé l’orientation de l’OLP et ont soutenu la résistance armée. Le Hamas a joué un rôle significatif dans la première (1987-1993) et la deuxième Intifada (2000-2005), tout en maintenant une position rhétorique forte contre l’accord de paix d’Oslo entre l’OLP et Israël. Après sa conclusion, l’accord d’Oslo a été de plus en plus largement perçu comme une capitulation totale de l’OLP face aux exigences d’Israël. Dans ce cadre, le Hamas a gagné en popularité au sein des TPO. Dans le même temps, l’Autorité Palestinienne (AP) a été de plus en plus critiquée en raison de son incapacité à atteindre les objectifs nationaux palestiniens face à l’occupation et à la colonisation israélienne continue, tandis que Ramallah était de plus en plus accusée de forte corruption et de pratiques clientélistes. De plus, la collaboration sécuritaire de l’AP avec Israël a également été vivement dénoncée au sein de la population et de la société palestinienne.

En même temps, le Hamas s’est lentement transformé d’un parti initialement refusant toute participation institutionnelle dans les années 1990 aux institutions héritées de l’accord d’Oslo à un accommodement politique avec ce dernier. Les responsables et dirigeants du Hamas ont expliqué leur changement de position par le fait que les accords d’Oslo avaient échoué, à la suite de la deuxième Intifada, alors qu’en 1996, participer à de telles élections aurait signifié les reconnaître et les soutenir.

Lors des élections législatives palestiniennes de janvier 2006, sous la forme de « Liste du changement et de la réforme », le Hamas a remporté la majorité des sièges, obtenant 42,9 % des voix et 74 des 132 sièges. Les puissances occidentales et Israël ont réagi en boycottant et en imposant un embargo sur le gouvernement dirigé par le Hamas, et en suspendant toute aide étrangère aux TPO [5]. Les tensions entre le Hamas et le Fatah se sont intensifiées et ont mené à un conflit entre les deux acteurs, le Hamas chassant le Fatah de Gaza en juin 2007, tandis que l’AP prenait le contrôle total de la Cisjordanie. La Cisjordanie et la bande de Gaza restent respectivement sous l’autorité de l’AP et du Hamas.

Parallèlement, le Hamas s’est considérablement renforcé militairement depuis la première incursion terrestre d’Israël lors de la guerre de 2008-2009, en partie grâce à ses liens croissants avec les Gardiens de la révolution iraniens et le Hezbollah, et au partage de l’expertise militaire de ses acteurs au mouvement palestinien. Les estimations des Brigades Ezzedine al-Qassam, la branche militaire du Hamas, concernant le nombre de combattants prêts au combat sont difficiles à estimer, avec des fourchettes allant de 15 000 à environ 40 000. L’aile militaire dispose de roquettes fabriquées localement, mais les roquettes à longue portée proviennent de l’étranger, d’Iran, de Syrie et d’autres pays, en passant par l’Égypte. Le Hamas utilise également de nombreux pièges armés, tels que les engins explosifs improvisés (IED), un type d’arme non conventionnelle qui peuvent être activés de diverses manières et sous diverses formes. La faction utilise des obus et des mines. Le Hamas fabrique une grande partie de ses propres armes, développe des drones et des véhicules sous-marins sans pilote et se lance dans la cyberguerre.

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Notes

[2Il est à noter que de nombreux civils israélien.nes le 7 octobre 2023 ont également été tués par les forces d’occupation israéliennes, notamment en tirant des obus de char sur des maisons où des Israéliens étaient détenus. Par exemple voir https://www.ynetnews.com/article/rkjqoobip.

[3D’autres dirigeants éminents étaient le pharmacien Ibrahim al-Yazuri, le Dr Abd al-Aziz al Rantissi et le Dr Mahmud Zahar.

[4Khaled Hroub (2010), Hamas, Pluto Press, p. 12.

[5Un haut responsable de l’administration Bush de l’époque, Eliot Abrahams, a déclaré après la victoire du Hamas aux élections : « Légalement, nous devions traiter le Hamas comme nous avons traité Al-Qaïda ». Mentionné dans Tareq Baconi, Hamas Contained, The Rise and Pacification of Palestinian Resistance, 2018, Stanford University Press, p. 97.

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