Ce texte rappelle quelques faits sur la prison et sur les luttes l’entourent. [1] La prison fait partie d’un ensemble de dispositifs qui constituent le système pénal et de détention administrative. Comme l’écrit le collectif genevois Parlons prisons : “[Elle] est un outil utilisé afin de criminaliser les personnes économiquement affaiblies par un système capitaliste et raciste.” [2] S’y retrouvent essentiellement des personnes en exil et des personnes de classes populaires, très souvent racisées, des personnes présentant des troubles psy, des usagèr·exs de drogues... les personnes blanches et suisses y font exception. En cela, et on y reviendra, Jérémy* n’est pas un détenu comme les autres. Elle est donc un modèle punitif qui sert à maintenir et protéger les intérêts de la classe dominante blanche et bourgeoise, en éloignant et isolant des personnes qui sont criminalisées par leur statut social ou qui se refusent à accepter l’ordre de la société. Elle sert de menace afin de dissuader tout un chacun de sortir du rang, or la plupart des personnes qui s’y trouvent n’ont souvent pas d’autres choix que le recours à l’illégalité pour survivre.
La prison est un modèle punitif qui sert à maintenir et protéger les intérêts de la classe dominante blanche et bourgeoise, en éloignant et isolant des personnes qui sont criminalisées par leur statut social ou qui se refusent à accepter l'ordre de la société.
La police, en contrôlant fortement les quartiers populaires, cible les personnes racisées non pas pour les infractions qu’elles commettraient mais pour leur couleur de peau (contrôle au faciès) ou une présence considérée indésirable (travail dans la rue notamment). En revanche, la plupart des crimes en col blanc (un crime commis par une personne respectable et de haut rang social dans le cadre de sa fonction) ne sont que peu punis par des peines de prison (souvent, ces personnes ont droit à des arrangements de peine pour les purger à domicile par exemple). De la même manière, la justice et le racisme systémique des institutions judiciaires est flagrant : les mêmes délits ne sont pas punis des mêmes peines en fonction de la position sociale des individu·exs : les plus privilégiés dans la société arrivent souvent à esquiver la prisons. Comme l’explique Parlons prisons dans son texte cité plus haut, la taule sert donc à contrôler l’immigration, à gérer les “indésirables”, à fournir de la main d’œuvre gratuite, et à réprimer les opposant·exs politiques.
La taule sert à contrôler l'immigration, à gérer les "indésirables", à fournir de la main d’œuvre gratuite, et à réprimer les opposant·exs politiques.
Jérémy" est un prisonnier politique qui se retrouve à Champ-Dollon parce qu’il est militant. On l’a dit, il n’est pas un détenu comme les autres car la répression cible rarement de jeunes individu·e·x·s largement insérés socialement comme lui. Son cas est rare, c’est pour cela qu’il soulève une attention médiatique particulière ; c’est donc l’occasion pour nous de rappeler dans ce texte que la lutte pour sa libération est aussi la lutte pour la libération de tous·texs. Nous refusons l’idée que certain·nexs détenu·exs auraient mérité le sort qui leur est fait et que d’autres non. Nous considérons que la prison n’a jamais d’effets positifs, qu’elle est toujours violente, inutile, qu’elle ne sert qu’à briser des vies. Tous·texs les prisonnier·exs sont des prisonnier·exs politiques et c’est la prison et toutes les formes d’enfermement qu’il faut abolir.
Pour Jérémy*, pour tous·texs !
« En temps de crise la répression s’alourdit pour tout le monde, qu’elle frappe pour des actes de survie quotidiens ou des actions militantes. Elle est une réponse de l’État aux attaques dirigées contre lui ou ce qu’il protège, un moyen de garantir l’ordre et de garantir la pérennité du système. (...) Elle n’en est pas moins adaptée aux différents groupes et milieux sociaux qu’elle touche, aux différents actes qu’elle cible. Elle n’est pas la même quand elle s’attaque aux sans-papiers, aux dealers ou aux militants. Les séparations qui existent dans la société sont reproduites et cristallisées dans la répression par un traitement différent, un arsenal judiciaire et policier particulier. » [Extrait de Mauvaises intentions #3, autour du procès antiterroriste de mai 2012.]
Histoire de la contestation de Champ-Dollon
A Genève, ce refus de faire la distinction entre "prisonnier·exs politiques" et "prisonnier·exs de droit commun" s’est affirmé avec force pour la première fois dans les luttes qui se sont opposées à la prison de Champ-Dollon au moment de son ouverture.
Ce complexe carcéral, inauguré le 25 mai 1977, a été vivement contesté par les militantes du MLF (Mouvement de Libération des Femmes), par le GAP (Groupe Action Prison) et par le Secours Rouge [3]. En même temps que l’inauguration, une manifestation issue du mouvement de contestation a lieu et la veille des militant·exs piratent les ondes FM pour diffuser un message qui invite à manifester [4]. Les militant·exs y affirment notamment : "Il n’y a pas de bonnes prisons. Il y en a seulement des pires que d’autres. Champ-Dollon est une des pires".
Alors que le discours des autorités affirme que Champ-Dollon devrait permettre de meilleures conditions de détention, les militant·exs critiquent « l’emplacement de la prison, l’architecture favorisant l’isolement, et le nombre certains de suicides qui en découlera » [5]. Malheureusement, iels avaient raison, deux ans à peine après l’ouverture de Champ-Dollon, sept détenu.es se suicident, sans compter les tentatives échouées [6]. Après presque chacun des suicides, des manifestations rassemblant plusieurs centaines de personnes ont lieu et un Comité contre l’isolement se crée en 1978. Ce dernier appuie d’un côté les revendications des détenu·exs concernant l’amélioration des conditions de détention et de l’autre porte un discours d’abolition de la prison.
Tous.texs les prisonnier·exs sont des prisonnier·exs politiques
Le Comité contre l’isolement adopte dans les années 70 le slogan "tou·texs les prisonnier·exs sont politiques" :
"Pour le Comité, les détenu.es de droit commun sont emprisonné.es majoritairement pour des vols ou dommages à la propriété, soit autant de tentatives « de se réapproprier individuellement une partie de la richesse volée, extorquée, accumulée par les riches, les propriétaires, les capitalistes" [7]
Nous ne pouvons qu’être d’accord. Aujourd’hui, ce sont les mêmes délits qui sont réprimés, seules changent les populations criminalisées. La justice, en Suisse aussi, est construite en faveur des riches. Elle punit en premier lieu les petits délits dont font partie les atteintes à la propriété, comme en témoigne évidemment le cas de Jérémy*. Tous les prisonnier·exs sont politiques car le choix de la punition par l’enfermement est un choix politique, mais aussi car iels sont des résistant·exs face au système capitaliste et raciste, iels sont des personnes qui luttent pour leur survie en se réappropriant des richesses, des personnes qui ripostent face à la violence de ce système profondément inégalitaire.
Zoom sur la détention administrative et l’infraction à la LEI
Contrairement aux années 70, une des fonction actuelle de la prison est la régulation de l’immigration. Pour l’expliquer rapidement, être sans papier en Suisse est un délit pénal puni d’un an de prison : c’est une infraction à la Loi sur les Étranger (abrégée LEI, anciennement LEtr). Par ailleurs, n’importe quelle personne sans papier, banni·ex ou non, qui a fait une demande d’asile ou non, peut être placé·ex en détention administrative. Finalement, demeurer en Suisse ou y revenir après avoir fait l’objet d’une expulsion (c’est un juge pénal qui prononce le bannissement) rend coupable de rupture de ban et est puni de trois ans de prison. La LEI "fait concrètement apparaitre la prison comme l’antichambre de la machine à expulser (centre de renvois, détention administrative, aéroport). La « libération » se transforme alors en une deuxième peine : l’expulsion." [8] Les personnes en détention administrative sont elles aussi des prisonnières politiques qui résistent à ce que leur impose la Suisse et son système migratoire. Elles résistent à que ce soit la Suisse qui décide si les raisons de quitter un pays sont bonnes ou non, alors que les raisons de l’exil sont quasiment toujours liées aux conséquences de la colonisation. Elles résistent au fait que les frontières soient des limites, que des papiers définissent où elles ont le droit ou non de vivre.
Le centre de détention administrative de la Favra a récemment beaucoup fait parlé de lui. Des conditions de détentions inhumaines y ont été pointées du doigt, ce qui a mené au transfert des six personnes qui y étaient enfermées vers d’autres établissements [9]. C’est un bon premier pas de fermer la Favra, un premier pas pour fermer tous les établissements de détention administratives. En effet, pour supprimer les infractions à la loi sur les étranger·exs, il y a une solution simple : ouvrir les frontières !
La prison est une punition
Les conditions de détention, comme dénoncées à la Favra et plus généralement dans tous les établissements genevois [10], ne sont qu’une partie du problème. Comme Jérémy* le raconte à ses proches, les conditions de détention, ce n’est pas vraiment ça le problème, le problème c’est l’enfermement lui-même. L’enfermement en soi est une punition, parce qu’il détruit les personnes incarcérées et leurs proches [11].
La prison éloigne les prisonnier·exs de leurs ami·exs et de leur famille. Alors que l’écrasante majorité des personnes incarcérées sont issues de milieux sociaux défavorisés, sont des personnes issues de parcours d’exil, des personnes qui ne profitent pas des privilèges de la blanchité, l’enfermement d’un membre de la famille ne peut qu’aggraver des conditions de vie déjà difficiles.
La prison impose aux détenu·exs quand et comment iels mangent, dorment. Elle altère les sens [12] (par exemple, la vue baisse à force de ne pas voir plus loin que la cellule d’en face) et a des conséquences sur la santé (maladies de peau, pulmonaires, psychiques). On impose aux personnes détenues un désoeuvrement total, et quand il est possible de travailler, ce sont des besognes indignes et si mal payées que l’on ne peut pas parler de salaire. La question du travail en prison est complexe : d’un côté, les personnes incarcérées à Genève sont régulièrement privées de travail, ce qui en empêchent certaines de continuer à donner de l’argent à leur famille et à cantiner (acheter quelques produits à l’épicerie de la prison) [13]. De l’autre, l’État et des entreprises privées profitent de cette main d’œuvre captive et quasiment gratuite. Cette banalisation du travail gratuit s’inscrit elle aussi dans des logiques de normalisation de la punition et de déshumanisation (une personne a mal agit, elle n’a pas à recevoir un salaire normal).
Alors que l'écrasante majorité des personnes incarcérées sont issues de milieux sociaux défavorisés, sont des personnes issues de parcours d'exil, des personnes qui ne profitent pas des privilèges de la blanchité, l'enfermement d'un membre de la famille ne peut qu'aggraver des conditions de vie déjà difficiles.
Le quotidien en prison, c’est une vie sous surveillance permanente et dans la crainte de la violence des matons, en position d’autorité qui leur permet des abus constants. À cela s’ajoute l’intimité inexistante et la peur qu’à chaque instant la cellule soit fouillée, de voir ses affaires (livres, photos ou autres biens) être confisqués. Être sous surveillance permanente, c’est ne pas avoir une once de mouvement libre. En prison, il n’y a pas de répit, pas de repos. La prison marque les gens bien après leur incarcération.
Mobilisations à l’intérieur, mobilisations à l’extérieur
Nous croyons en le fait que les luttes sont toujours mieux portées par les personnes qui subissent elles-mêmes un système de domination. La prison ne fait pas exception, même si se révolter en prison est plus compliqué qu’ailleurs. À Champ-Dollon, en parallèle des luttes menées à l’extérieur dès sa création, comme mentionnées ci-dessus, des luttes ont lieu à l’intérieur, dont la mutinerie du 4 juin 1979. Les prisonnier·exs dénoncent notamment leurs conditions de détention et revendiquent plusieurs améliorations [14]. Le 4 juin, iels sortent dans la cour et montent sur le toit pour exiger des négociations avec l’administration pénitentiaire. La mutinerie est violemment réprimée et une vague de solidarité de l’extérieur s’active immédiatement.
Plus récemment, nous pouvons parler des protestations d’avril 2020 [15] à Champ-Dollon. Vingt-trois détenus refusent de rentrer de la promenade pour protester contre la gestion désastreuse des repas pendant le Ramadan. En 2022, c’est à la Brennaz que plusieurs prisonniers font grève contre les conditions de détention en période de canicule [16]. Dans les deux cas, l’administration pénitentiaire ne communique pas sur les raisons des mobilisations et sa seule réponse est la répression.
Pour soutenir ces mouvements de protestation depuis l’extérieur, nous pouvons faire tout notre possible pour visibiliser et relayer les luttes à l’intérieur, pour donner de la force aux personnes qui luttent, pour améliorer les conditions de détention.
Nous pouvons aussi soutenir les collectifs locaux qui luttent contre la taule, le système pénal et les violences policières.
Et finalement, ne jamais cesser de lutter pour un monde sans prisons ni aucune autre “alternative” [17].
Rendez-vous dans la rue le 2 juin à 18h30 pour exiger la liberté pour Jérémy*, mais aussi pour tous·texs les prisonnier·exs !
Parce que tous·texs les prisonnier·exs sont des prisonnier·exs politiques,
Détruisons toutes les prisons !
Collectif le Silure, mai 2023