Migrations - Frontières

Ils pleurent Elisabeth Kopp, nous pleurons Ali Reza et tout·es les autres

La mort de l’ex-conseillère fédérale Elisabeth Kopp, le 7 avril dernier, a fait couler des torrents d’hommages mal inspirés. Dans le concert de louanges, la co-présidente du Parti soi-disant socialiste suisse a déclaré, s’adressant au fantôme de l’ex-conseillère fédérale, que « c’est grâce à des femmes comme vous que des femmes comme moi peuvent faire de la politique aujourd’hui ». Ce genre de déclaration, comme la plupart des nécrologies publiées dans les médias, relèvent d’une réécriture assez louche de l’histoire des années 1980.

Suisse |

Elisabeth Kopp est issue de la grande bourgeoisie saint-galloise, enrichie dans l’industrie textile et faisant fructifier sa fortune dans les industries de pointe de l’entre-deux-guerres, en particulier les techniques cinématographiques.

Ses origines familiales

Le père de Kopp, Max Iklé est, dès la fin des années 1920, en relations d’affaires avec des industriels allemands du cinéma. Il réside un temps à Berlin et entretien des rapports étroits avec la famille Scotoni qui produisit le premier long métrage de propagande national-socialiste (Blutendes Deutschland, 1933) avec sa société Terra Film AG. Cette entreprise de production investira dans quelques films exaltant la patrie suisse en coproduction avec la société Film-Finanzierung AG dont Max Iklé est un des actionnaires principaux. Un des films coproduits, Wilhelm Tell (1934) est tellement pro-germanique qu’il provoque, selon l’historien Rémy Pithon, des réactions négatives dans la presse suisse à sa sortie.

Dès 1938, le père d’Elisabeth Kopp est accusé d’entretenir des relations si étroites avec le régime nazi qu’il se rendrait coupable de trahison. Iklé contre attaque en portant plainte contre son accusateur et obtient gain de cause en 1941 ledit accusateur n’ayant pu prouver la véracité de ses allégations. On imagine la difficulté qu’il pouvait y avoir à établir des relations commerciales complexes au beau milieu d’une guerre mondiale… Comme l’a souligné Nicolas Meienberg, la justice suisse se montrait alors plus expéditive avec les prolétaires qui livraient des soi-disant secrets militaires que contre la grande bourgeoisie qui collaborait activement aux relations économiques avec le Reich.

Comme l’a souligné Nicolas Meienberg, la justice suisse se montrait alors plus expéditive avec les prolétaires qui livraient des soi-disant secrets militaires que contre la grande bourgeoisie qui collaborait activement aux relations économiques avec le Reich.

Toujours est-il que Max Iklé, au moment même où il est attaqué, met un terme à sa carrière industrielle et devient haut-fonctionnaire de la Confédération. Dès l’après-guerre, sans être aucunement inquiété pour ses relations d’affaires antérieures, il devient chef de l’administration des finances où il est particulièrement chargé des négociations financières avec l’étranger.

Un milieu philo-germanique avec lequel elle ne rompt pas

Elisabeth Kopp naît donc en 1936 dans une atmosphère philo-germanique très typique de la grande bourgeoisie suisse-alémanique. Celle dont la presse et la classe politique font aujourd’hui une figure de l’émancipation se détachera-t-elle de ce milieu bourgeois pro-nazi ? Pas exactement.

La fin de la Deuxième guerre mondiale et le début de la Guerre froide entraînent un déplacement du soutien au nazisme vers l’anticommunisme, très virulent en Suisse dans les milieux de droite, au Parti socialiste et dans beaucoup de syndicats. Kopp s’engage ainsi, pendant ses études de droit à Zurich, dans la Studentische Direkthilfe Schweiz-Ungarn (SDSU) dont l’objectif est de soutenir les étudiant·es insurgé·es de Budapest et d’accueillir des réfugié·es hongrois·es. Si la répression infâme perpétrée par les troupes soviétiques et la police politique locale contre l’insurrection de Budapest en 1956 méritait d’être dénoncée et les insurgé·es soutenu·es, les organisations comme la SDSU ne regroupaient de loin pas que des personnes favorables à un mouvement ouvrier non-stalinien. L’histoire n’a d’ailleurs pas retenu que l’engagement d’Elisabeth Kopp pour les victimes de régimes anti-démocratiques se soit étendu à l’accueil des réfugié·es chilien·nes en 1973. Et pour cause.

L’histoire n’a d’ailleurs pas retenu que l’engagement d’Elisabeth Kopp pour les victimes de régimes anti-démocratiques se soit étendu à l’accueil des réfugié·es chilien·nes en 1973.

Après s’être engagée au Service féminin de l’armée et à l’Union suisse des femmes radicales, la future conseillère fédérale épouse l’avocat d’affaire zurichois Hans W. Kopp. Outre son activité de propagandiste de la libéralisation du marché des médias, l’avocat Kopp est le président du Schweizerischer Aufklärungsdienst (SAD), une officine d’extrême-droite financée par la Confédération et par des entreprises privées et qui disposait de son propre service de renseignement clandestin actif dans la surveillance des communistes et des gauchistes.

La réalité de son action au Conseil fédéral

Ces éléments de contexte sont nécessaires pour comprendre l’action d’Elisabeth Kopp en tant que conseillère fédérale. En effet, les nécrologies officielles évoquent positivement son rôle dans la politique de l’asile, voire la créditent d’avoir fait échouer une initiative xénophobe en 1988. La réalité est très différente. L’asile et la politique des étrangers ont été le thème central du passage écourté de Kopp au conseil fédéral. Deux ans après son élection, en 1986, Kopp élabore et fait passer au parlement une révision des lois sur l’asile et sur le séjour et l’établissement des étrangers. Cette révision de 1986, combattue sans succès par referendum l’année suivante, contient tous les éléments des procédures iniques et inhumaines qui sont la norme aujourd’hui. Pour s’en convaincre, il suffit de lire les arguments des opposants résumés dans la brochure explicative en vue du vote :

Obliger les étrangers à passer par des postes frontières, prévus en réalité pour les périodes de menace militaire, reviendrait à restreindre fortement les possibilités qu’ils ont de déposer une demande d’asile en Suisse. En agissant ainsi, on prend le risque de voir les réfugiés ballottés d’un pays à l’autre et continuer ainsi à être exposés à des dangers.

Le Conseil fédéral voudrait désormais avoir le droit de suspendre le droit d’asile en temps de paix déjà. L’interprétation de l’expression « affluence extraordinaire de réfugiés » serait soumise aux influences politiques du moment.

Du fait de la cantonalisation de la procédure, le droit d’être entendu accordé aux réfugiés serait fortement restreint. Ce nouveau mode de procéder éveille les plus vives inquiétudes, surtout quand on connaît la portée de la décision d’accorder l’asile ou de refouler un requérant.

La détention en vue du refoulement permettrait de mettre en prison jusqu’à 30 jours des étrangers et des personnes dont la demande d’asile a été rejetée sans qu’ils aient commis de délit. Cette mesure porte atteinte à la dignité de l’homme et au droit fondamental de la liberté individuelle.

Affiche contre les révisions des lois sur l’asile et le séjour et l’établissement des étrangers, révisions élaborées par E. Kopp en 1986

Comme le notait encore le comité référendaire, « un peu plus de 40 ans seulement après une période sombre de l’histoire suisse, on en revient dans notre pays à une politique de dissuasion en matière d’asile ». La stratégie du Parti radical pour combattre la xénophobie était alors la même qu’aujourd’hui : proposer des lois aussi xénophobes que les James Schwarzenbach et autres Christoph Blocher, mais habillées d’un vernis juridique. Ce qui se prépare en 1986, ce sont les dispositifs qui conduisent aujourd’hui des personnes au suicide dans les lieux de détention administrative.

Flatter l’extrême-droite en prétendant la combattre

Pour mettre en œuvre cette politique d’asile, Elisabeth Kopp choisit, toujours en 1986, Peter Arbenz, un proche de Hans W. Kopp qui succédera à ce dernier à la présidence de l’officine d’extrême-droite Schweizerischer Aufklärungsdienst (SAD). Arbenz va s’illustrer par son inhumanité dans la levée de l’interdiction de refoulement des requérant·es d’asile Tamouls (mars 1986). C’est également le duo Kopp-Arbenz qui s’illustre, en 1988, par l’expulsion militarisée de Mathieu Musey et sa famille vers le Zaïre de Mobutu. Il s’agit alors sans doute d’un gage donné par la Suisse au dictateur, mais également d’une démonstration de fermeté en matière d’asile destinée aux milieux d’extrême-droite.

Elisabeth Kopp n’est pas la femme soumise aux intérêts de son mari que dessine l’affaire du coup de téléphone ressassée dans les récents hommages. Elle est une politicienne décidée et autonome qui incarne une permanence de la présence des idées d’extrême-droite au sein de la bourgeoisie suisse d’Eduard von Steiger à Karin Keller Suter en passant par Christoph Blocher et James Schwarzenbach. Alors que la presse et la co-présidente du Parti socialiste suisse veulent honorer cette femme et sa politique, nous préférons garder dans nos cœurs la mémoire vivante de celles et ceux qui sont mort·es faute d’un accueil digne dans un des pays les plus riches du monde.

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