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Les déductions fiscales, un amplificateur des inégalités

Le but de cet article est de démontrer et de quantifier l’effet des déductions fiscales sur le calcul de l’impôt, effet qui s’oppose à celui recherché par la progressivité du taux d’imposition. Autrement dit, appliquées telles qu’elles le sont aujourd’hui, les déductions fiscales aggravent les inégalités entre contribuables.
Il est donc urgent de remplacer ces déductions par des solutions plus justes socialement.

La progressivité de l’impôt

Le taux d’imposition appliqué au revenu imposable est dit progressif car il augmente en fonction du revenu de la personne assujettie à l’impôt. Ce mécanisme permet une plus grande redistribution des richesses et donc une diminution des inégalités. Autrement dit, cela permet de préserver les ressources vitales des contribuables à faible revenu tout en assurant à l’Etat des recettes suffisantes. Ce principe est présent dans l’article 127 de la Constitution suisse :

Dans la mesure où la nature de l’impôt le permet, les principes de l’universalité, de l’égalité de traitement et de la capacité économique doivent, en particulier, être respectés.

Les déductions sur le revenu

Lors de sa déclaration d’impôt, la personne imposée a l’occasion de soustraire plusieurs dépenses de son revenu net. Une liste non exhaustive comprend : les frais professionnels, les frais médicaux extraordinaires, les dons, les versements au 3e pilier, les pensions alimentaires. Une déduction pour contribuable dit « modeste » peut aussi s’appliquer. Toutes ces déductions sont soustraites du revenu pour définir le revenu imposable. Un taux d’imposition est alors calculé en fonction de ce revenu imposable, en respectant la progressivité de l’impôt.

Calcul de l’impôt et impact des déductions

Le taux d’imposition, et donc la progressivité de l’impôt, s’applique une fois le revenu imposable déterminé, c’est-à-dire une fois les déductions soustraites du revenu net. Pour ce qui concerne les déductions, cela a un effet opposé à celui recherché par la progressivité de l’impôt.

Pour chaque somme déduite, la personne assujettie économisera un montant proportionnel au taux d’imposition, et donc plus élevé pour les personnes fortunées.

Exemple théorique

Pour illustrer ce mécanisme imaginons deux contribuables, le premier, Monsieur Pauvre, avec un revenu net de 50’000 CHF. Le deuxième, Monsieur Riche, avec un revenu net de 200’000 CHF. Tous deux déduisent pour 10’000 CHF de frais professionnels. Le revenu imposable de Monsieur Pauvre est donc de 40’000 CHF et celui de Monsieur Riche de 190’000 CHF. La progressivité de l’impôt détermine un taux d’imposition petit pour Monsieur Pauvre, disons 5 %, et plus grand pour Monsieur Riche, 10 %.

Le tableau ci-dessus montre le calcul de l’impôt pour Monsieur Pauvre et Monsieur Riche, sans et avec les déductions. On constate que Monsieur Riche a économisé 1’000 CHF grâce aux déductions sur son revenu, alors que Monsieur Pauvre, pour le même montant déduit, n’a économisé que 500 CHF, soit la moitié moins. Cet exemple théorique démontre que l’économie d’impôt réalisée grâce aux déductions est directement proportionnelle au taux d’imposition. Et comme le taux est progressif, les économies d’impôts sont plus importantes pour les contribuables aisés.

Méthodologie

Afin d’obtenir des chiffres sur les économies d’impôts réalisées par les contribuables neuchâtelois-es grâce aux déductions fiscales, je vais simuler plusieurs situations en variant les revenus nets et les déductions. Le logiciel « Clic & Tax 2019 » est utilisé pour chacune de ces simulations. Il est important de choisir une palette de revenus qui illustre la diversité des situations, de la plus modeste à la plus aisée. Les revenus nets choisis sont : 30’000 CHF, 40’000 CHF, 60’000 CHF, 100’000 CHF, 150’000 CHF, 250’000 CHF et 400’000 CHF. Ensuite, pour chacun de ces revenus, quatre simulations sont effectuées :
(a) Sans aucune déduction. Cette simulation nous servira de référence pour le calcul des économies d’impôts réalisées dans les simulations (b) à (d).
(b) Déduction des frais professionnels : forfait de base, et 60km en voiture et le repas de midi (230 fois). Pour cette simulation le montant des déductions est pratiquement identique pour tous les contribuables (de 14’500 à 16’100 CHF).
(c) Déduction des frais professionnels de (b), et déductions de dons et de cotisations au 3e pilier. Cette fois une partie des déductions est proportionnelle à la capacité financière du contribuable : 4 % du revenu pour la prévoyance, et 2 % pour les dons. En effet, il n’est pas réaliste de penser qu’une personne avec un revenu de 30’000 CHF puisse épargner le même montant sur son 3e pilier qu’une personne avec un revenu de 400’000 CHF. Il est aussi à noter que le montant déductible pour la prévoyance est plafonné à 6’826 CHF.
(d) Pour cette dernière simulation, le montant des déductions est encore augmenté, ceci afin de mieux mettre en évidence l’effet contre-productif des déductions. Il y a de nombreuses déductions possibles, pour cette simulation se sera 20 % du revenu comme pension alimentaire à des enfants mineurs.
Il serait évidemment possible de réaliser encore d’autres simulations, en poussant les déductions vers des sommes plus élevées. Cela ne serait pas complètement irréaliste de le faire. Mais les différents cas choisis me paraissent suffisants en nombre, et suffisamment crédibles. De plus, ils permettent de mesurer l’effet des déductions quand elles sont semblables pour tous les contribuables, et quand elles sont proportionnelles au revenu.
Les calculs d’impôt utiliseront un barème identique de 100 % pour l’impôt cantonal et l’impôt communal. L’impôt fédéral direct est également pris en compte dans la somme totale.

Simulations

Commençons par un graphique montrant les économies d’impôts réalisées en fonction du revenu pour le cas de figure (b) qui concerne les déductions pour frais professionnels.

Dans le graphique ci-dessus, on constate sans surprise que la courbe des économies réalisées est pareille à celle du taux d’imposition progressif : cela augmente avec le revenu jusqu’à atteindre un plafonnement (le taux d’imposition est plafonné pour les très hauts revenus). On remarque également que pour un revenu de 150’000 CHF l’économie d’impôts est d’environ 6’000 CHF, soit le double de l’économie réalisée par le plus petit revenu. Enfin, insistons encore une fois sur le fait que les mêmes paramètres de déductions ont été utilisés dans le logiciel « Clic & Tax ». Donc pour les mêmes frais professionnels un contribuable aisé économisera deux fois plus qu’un contribuable modeste.
Le second graphique concerne la simulation avec les déductions des dons et des cotisations au 3e pilier.

La courbe est toujours du même type, mais les différences se sont accentuées. C’est évidemment prévisible car, rappelons-le, les économies d’impôts sont directement proportionnelles au montant déduit et au taux d’imposition qui est progressif. Notons simplement que pour cette simulation le gain pour le revenu le plus élevé est maintenant quatre fois plus important que le gain pour le revenu le plus faible.
Terminons avec la simulation (d) pour laquelle les déductions pour les pensions alimentaires sont prises en comptes dans le calcul de l’impôt.

Dans cette simulation les montants déduits deviennent très importants pour les hauts revenus, et les économies réalisées suivent la même tendance. C’est le montant de ces économies pour les très hauts revenus qui est ici marquante, plusieurs dizaines de milliers de francs. On voit également sur le graphique que ces montants pourraient être encore plus importants pour des revenus plus élevés, ceci car le revenu de 400’000 CHF n’atteint plus le taux d’imposition maximum.

Discussion des résultats

Les résultats montrent que les déductions fiscales agissent comme un impôt dégressif au sein du calcul de l’impôt, c’est à dire « plus je gagne, plus j’économise ».

Cette dégressivité pourrait être vue comme mathématiquement anticonstitutionnelle au regard de l’article 127. Il faut rappeler à ce titre l’action en justice de Monsieur Josef Zisyadis en 2006 contre le canton d’Obwald qui prévoyait un taux d’imposition dégressif pour les plus hauts revenus. Le Tribunal Fédéral estimera une année plus tard le système prévu par le canton d’Obwald contraire à la Constitution.
Évidemment les déductions fiscales ne vont globalement pas transformer le taux progressif en un taux dégressif, mais elles réduisent les revenus de l’État et des communes en avantageant abondamment les contribuables les plus riches.

Les déductions sur le revenu sont contraires aux deux buts recherchés par la progressivité de l’impôt : premièrement la lutte contre les inégalités, et deuxièmement la contribution en fonction de la capacité économique de la personne imposable.

Les raisons d’être des déductions peuvent paraître louables dans un premier temps (justesse fiscale, encouragement à la prévoyance vieillesse ou aux versements de dons, etc), mais leur existence au sein du calcul de l’impôt est tout à fait contre-productive.

Quelles solutions ?

En simplifiant un peu, il est possible de classer les déductions dans deux grandes catégories :
1. La soustraction du revenu de toutes les dépenses que la personne n’a pas vraiment le choix de faire. Il s’agit là par exemple des frais médicaux ou des versements des pensions alimentaires.
2. L’encouragement, par les déductions sur le revenu, à divers versements volontaires. Citons comme exemple les versements aux partis politiques ou les versements à un compte de prévoyance 3a.
Dans la première catégorie on peut différencier deux sous-types :
a) Les déductions d’un montant semblable pour tous les contribuables, comme les frais professionnels.
b) Les déductions qui ont tendances à augmenter avec le revenu comme par exemple les pensions alimentaires.
Dans la deuxième catégorie des encouragements aux versements, on ne retrouve que le sous-type (b). Les hauts revenus auront bien plus de chances de mettre de l’argent de côté pour leur 3e pilier que les petits revenus et leur capacité financière permettront le versement de dons bien plus importants.
Les solutions de remplacement aux déductions fiscales peuvent varier selon chaque type de déductions. On peut également imaginer un retrait pur et simple d’une déduction mais il ne faut pas perdre de vue son but initial et essayer d’y apporter une solution au moins aussi efficace.

Les dépenses non volontaires (type 1)

Ces dépenses non choisies par le contribuable sont les plus à même à être candidates pour aboutir à une réduction du revenu imposable, afin de garantir une plus grande justice fiscale. Cependant, appliquées comme aujourd’hui, elles bénéficient de manière disproportionnée aux personnes ayant des revenus élevés. Il est donc impératif de modifier le calcul de l’impôt et de déduire ces montants de manière identique quel que soit le revenu des contribuables (par exemple, en utilisant un taux fixe).

Les dons

Avant tout, il est important de souligner que les dons devraient toujours être anonymes. Cela permet d’éviter que les donatrices et donateurs les plus riches soient perçu·e·s comme plus vertueux·ses ou plus important·e·s simplement parce qu’iels donnent plus d’argent.
Ensuite, lorsque les dons sont motivés par des avantages fiscaux, cela peut pervertir la motivation première du don qui devrait être la solidarité et l’aide à autrui. En supprimant les déductions fiscales, on encourage des dons plus authentiques et désintéressés. L’État pourrait ensuite compenser un éventuel manque à gagner des organisations bénéficiaires de dons, en utilisant les recettes fiscales issues d’une augmentation de la progressivité de l’impôt. Cela constituerait une réelle solution pour lutter contre les inégalités.

La prévoyance vieillesse

Ce domaine est probablement le plus inéquitable car seules les personnes les plus riches peuvent y contribuer et ce sont donc elles qui bénéficient de rabais fiscaux faramineux et absurdes. La solution ici n’est pas de simplement supprimer les déductions mais dans l’arrêt de l’externalisation de la prévoyance vieillesse par l’État au profit d’institutions privées. Ces dernières, comme l’immense majorité des investisseurs de capitaux sur les marchés boursiers, ne font qu’accentuer les dérives du capitalisme. Pour rappel, ces dérives incluent les licenciements massifs, les investissements dans les énergies fossiles et l’armement, l’extraction minière, le travail des enfants ou encore le néocolonialisme (colonisation économique).

Conclusion

Les déductions sur le revenu ont des origines diverses mais dans leur forme actuelle, elles sont toutes antisociales. Elles contribuent à creuser les inégalités entre riches et pauvres au sein de la population. De plus, elles vont à l’encontre de l’article 127 de la Constitution qui dit que l’imposition doit être proportionnel à la capacité financière des contribuables. Les simulations réalisées dans le cadre de la rédaction de cet article démontrent cette réalité et chiffrent l’ampleur de cette injustice fiscale.
Il est crucial de préserver un système permettant d’imposer les citoyen·ne·s au plus près de leur capacité financière et d’éviter des économies d’impôts pour les plus gros revenus.
Pour atteindre ce but des changements radicaux sont nécessaires, allant souvent au-delà des simples réformes de l’impôt.

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P.S.

Le logiciel utilisé pour les simulations est « Clic & Tax 2019 » du canton de Neuchâtel.

Notes

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