La parole est à Angela Davis. Elle l’assure : la cause animale sera « l’une des composantes de la perspective révolutionnaire » à venir. L’assertion, entendue dans la captation qui a été faite d’une conférence donnée voici dix ans, a pu surprendre alors. Celle qui fut et reste une figure du mouvement de libération noir aux États-Unis faisait généralement peu cas de son régime alimentaire ou de ses positions animalistes : pourtant, ce jour, les animaux s’insèrent dans un discours portant sur la révolution. C’est un fatras de sabots et de palmes et de pattes que l’on entend. On serait toutefois en droit d’apporter une nuance : la cause animale est déjà l’une des composantes de la perspective révolutionnaire. Bien plus, elle l’est depuis longtemps - quoique de façon minoritaire. Des mots d’Angela Davis et de leur actualisation historique dérivent deux propositions. La première est qu’il n’est plus possible d’envisager l’histoire de la cause animale sans faire une place pour la pensée socialiste. La seconde, que cette même pensée socialiste ne peut plus s’envisager sans qu’elle prenne en compte ce qu’il est désormais commun d’appeler « le vivant ».
Nous entendons par socialisme cet idéal d’organisation social qui s’est constitué au XIXe siècle en opposition au mode de production capitaliste. Communisme (marxiste ou non), anarchisme (et ses divers courants) et réformisme social (social-démocratie) en sont tous trois issus. Allons jusqu’à l’os et gardons-en ses termes centraux : égalité et justice. Comment nier aux animaux ces principes qui nous animent ? Nous ne sommes pas les premiers à poser la question. Ainsi ne se lasse-t-on pas de rapporter les mots du géographe Élisée Reclus, les mieux à même, sûrement, de dessiner une ligne de conduite que l’on se doit de tenir pour avancer l’hypothèse d’un socialisme faisant la part belle aux animaux. « Si nous devions réaliser le bonheur de tous ceux qui portent figure humaine et destiner à la mort tous nos semblables qui portent museau et ne diffèrent de nous que par un angle facial moins ouvert, nous n’aurions certainement pas réalisé notre idéal. Pour ma part, j’embrasse aussi les animaux dans mon affection de solidarité socialiste [1]. » Un socialisme pour tout ce qui vit et sent, donc, à rebours d’un marxisme productiviste - entièrement tourné vers l’humain et ses réalisations - comme d’un animalisme volontiers libéral, parfois misanthrope et souvent bourgeois. Cette position tierce, de plus en plus bruyante, n’est, on l’a dit, pas nouvelle. Voici près de cent cinquante années qu’elle est développée.
Un socialisme pour tout ce qui vit et sent, donc, à rebours d'un marxisme productiviste — entièrement tourné vers l'humain et ses réalisations — comme d'un animalisme volontiers libéral.
Écoutons l’écho qui résonne d’un siècle à l’autre.
Il y a d’abord un investissement dans la cause socialiste qui transcende les barrières d’espèces, ou du moins les questionne ; il y a, aussi, des arguments proches, où les intuitions se sont vues renforcées par les concepts ; il y a, enfin, des stratégies communes, qui vont se généralisant. Ainsi, malgré l’écart des années, des pratiques similaires émanant de la pratique anarchiste, réformiste ou collectiviste ont été mises en œuvre pour défendre les animaux d’un siècle à un autre. D’une faculté parisienne à quelque abattoir de Russie, des forêts picardes aux « porcopolis [2] » étasuniennes, explorons quelques-unes de ces correspondances.
Rendre visible l’insupportable
En ce jour de l’année 1892, celui qui règne sur les lettres russes depuis les œuvres que l’on sait n’écrit plus que de longues nouvelles. Son basculement certain vers les principes de premiers chrétiens l’a emmené loin de l’intelligentsia de son pays. Seul, il médite. Ses réflexions morales le conduisent à rejeter la violence, celle envers les humains, d’abord, mais aussi celle envers les bêtes. Il semblerait que cesser de tuer ces dernières réduiraient les risques de s’en prendre aux premiers. Ce jour de l’année 1892, Tolstoï veut voir.
Voir ce que les animaux subissent chaque jour dans les tous proches abattoirs, eux qui sont construits « de façon à ce que les animaux abattus souffrent le moins possible [3] ». Voir, donc, pour ensuite dire — aussitôt écrit, une revue accueillera son témoignage. Ce désir procède chez l’écrivain d’un raisonnement éthique l’ayant conduit à adopter un régime végétarien. Toutefois, l’abstinence lui paraît encore trop abstraite. Il convient de se figurer : « si on mange de la viande, il faut voir aussi comment on l’abat », explique-t-il à un ami. Et tant que d’autres continuent de le faire, il importe de ne pas fermer les yeux.
La scène se déroule dans la ville de Toula, située à 200 kilomètres à l’est de Moscou. Tolstoï gagne seul les abattoirs, par deux fois. Il décrit les bâtiments, les hommes qui y officient et, surtout, l’« odeur fade de sang chaud » qui imprègne les lieux. Il y a des chevaux qui tirent des charrettes pleines de bœufs, qu’ils soient morts ou bien vivants. Autour, on discute des prix sans se soucier des animaux ni de cet étrange observateur. Tolstoï entre dans le bâtiment et dépeint minutieusement la tuerie, le sang recueilli dans une bassine, la découpe de la peau et des chairs mises à nu. Les descriptions se succèdent jusqu’à la nausée. À l’issue de cette journée, l’écrivain commente : « on ne peut pas ne pas causer de souffrance aux animaux, par ce simple fait qu’[on] les mange ». Néanmoins, il ne dénonce pas ; c’est le chemin vers une vie bonne qu’il poursuit. Et, pour que celle-ci advienne, c’est « la sobriété » qui doit s’imposer.
La caméra a largement remplacé la plume et s’infiltre à son tour derrière les murs opaques des abattoirs comme pour mieux en percer la coque.
Rendre visible n’implique plus seulement de décrire, mais surtout de dévoiler. Littéralement, d’exposer à la vue. Tolstoï, comme un peu plus tard le libertaire Reclus ou le romancier socialiste Upton Sinclair, ont usé des moyens de leur temps - le récit, la polémique journalistique, le feuilleton. Les mots devaient suggérer les odeurs et les sons pour que des images soient figurées. Aujourd’hui, la caméra a largement remplacé la plume et s’infiltre à son tour derrière les murs opaques des abattoirs comme pour mieux en percer la coque.
Viennent sans doute à l’esprit quelques séquences qui s’y ont imprégnées : le refus répété d’un veau, pris en étau entre deux murs pour qu’il marche avec allant vers la tuerie ; des cochons en nombre, gisant les uns sur les autres, haletant, le regard inerte ; des oies entassées, dont les palmes ne fouleront que des grilles dans l’attente du gavage puis de l’abattage. Ces extraits ont pour la plupart été enregistrés clandestinement au sein d’abattoirs dont le fonctionnement ne respectait pas les règles édictées pour garantir un introuvable « bien-être animal ». L214, la principale association qui mène ces actions et diffuse les images récupérées, entend sensibiliser le plus grand nombre et ainsi faire pression sur les décisions politiques à même de réglementer de manière plus drastique les activités exploitant des animaux. En somme, montrer l’invisible et faire entendre l’inaudible pour contraindre la réaction. Toutefois, si les motifs étaient différents, l’intrusion de caméras au sein d’abattoirs a une histoire. Il y a eu des précédents - Le Sang des bêtes (1949) de Georges Franju est l’un d’eux - et, si on les connaît moins, des épigones méritent attention. Parmi ces derniers, un essai, entre documentaire et fiction : Gorge cœur ventre (2016), de Maud Alpi.
Sans détour, la réalisatrice affirmait dans un entretien : « La bouverie d’un abattoir est un défilé de condamnés » – condamnés dont il convient de prendre la défense. Son film nous montre un employé intérimaire, un chien qui le suit en tous lieux et, surtout, des centaines de vaches de réforme conduites jusqu’au matador à coups de décharge dans les flancs. Le jeune homme s’arrose d’une eau qu’il a d’abord apporté aux bêtes, elles qu’il sait pourtant sur le point d’être abattues ; le chien jappe en rythme des chaînes qui cliquettent ; les vaches rechignent, renâclent, mais finissent par passer le portique final. Les images donnent à voir une résignation partagée par les humains et les animaux qu’ils élèvent, résignation qui, parfois, est secouée à deux mains ou deux pattes pour que le cours des choses s’infléchisse.
Entraver et combattre
Quittons la bourgade industrieuse de Toula et ses abattoirs pour un cossu café parisien. Assis à une table, un homme se gausse à la lecture des premières pages du Gaulois, feuille concurrente du Figaro et fidèlement bonapartiste. L’homme se gausse, oui, car il vient de terminer l’entrefilet qui s’y est glissé à propos d’un « scandale au Collège de France ». Lisons par-dessus son épaule avant qu’il ne froisse puis jette son journal.
Coincée entre un article sur les relations entre l’Allemagne et le Vatican et un autre revenant sur les dernières nouvelles parlementaires en France, l’affaire est expédiée en quelques lignes. Il s’agit d’une expérience à but médical menée dans l’amphithéâtre d’une institution de la capitale devant un parterre d’étudiants et de badauds. Un professeur s’est proposé de disséquer un animal pour le bien de la science. L’animal est bruyant ; le professeur se met en tête de lui couper les cordes vocales — c’est qu’il entend le dépecer bien tranquillement. « Alors, une jeune femme très élégante, que la gentillesse du pauvre singe avait sans doute gagné à sa cause, se leva et appliqua un coup d’ombrelle très énergiquement sur le nez de l’honorable M. Brown-Séquard [4]. »
Un scandale, donc.
Le professeur est outré - « vieille folle » lance-t-il à son assaillante - et la jeune femme, elle, est emmenée au commissariat du quartier. On lui demande d’expliquer son geste : il s’agit simplement de l’application de la loi, répond-elle. Il est vrai que la loi commence à s’emparer de ce sujet. Quelques années plus tôt, une proposition a été adoptée pour limiter la maltraitance à l’égard des animaux domestiques. Quelques années plus tard, un de ses textes nous éclaire sur l’argumentaire de l’assaillante et le contexte dans lequel elle a opéré : « Au nom des principes que le XIXe siècle s’honorera d’avoir soutenus et affirmés, on doit compter le droit des animaux [5] ».
Le XIXe siècle est celui qui consacre la méthode expérimentale dans la conduite de la science et qui légitime les expériences sur les corps morts ou vivants des animaux, oui, mais c’est aussi celui des premières actions directes au nom de ces derniers. Les coups d’ombrelle de Marie Huot ne doivent pas cacher les raisons profondes de son geste ni son importance historique : la création de la Ligue contre la vivisection qu’elle dirige et dans le cadre de laquelle elle intervient signe ainsi « le passage d’une protection légaliste des animaux à une défense plus active [6] ». Dans le texte précédemment cité, elle déplore que la législation de son temps ne considère l’animal que comme « une chose en propriété et non comme un individu et un être sentant [7] ».
Si l’homme derrière lequel on se tient, dans ce café parisien, laissait son Gaulois pour lui préférer La Revue socialiste, pas de doute qu’il rirait plus fort encore — et avec lui non seulement le camp des conservateurs, mais aussi des progressistes de tous bords. Et pour cause : si les mots de Marie Huot trouvent aujourd’hui une actualité étonnante, l’époque qui fut la sienne était bien loin de pouvoir les accueillir. Un peu de patience, néanmoins. Les décennies suivantes seront plus à même de faire une place à l’action directe en faveur des animaux.
Montons dans une voiture, non plus mue par la vapeur mais par l’électricité, et gagnons les forêts domaniales qui entourent la ville de Compiègne. Un siècle et demi nous sépare des coups d’ombrelle et, pourtant, on continue de s’interposer pour interrompre une activité que l’on dénonce au nom du respect des animaux. On le fait même avec plus d’organisation et d’énergie que jamais.
Si la chasse mobilise contre elle depuis des décennies, les années 2010 ont été l’objet d’un reflux de la contestation, notamment la vénerie, sa forme la plus spectaculaire mais aussi celle qui paraît la plus archaïque à beaucoup. À Compiègne, bastion de l’association Abolissons la vénerie aujourd’hui (AVA), cela fait plusieurs années que chaque chasse à courre est surveillée, filmée puis diffusée sur Internet. En ce jour de novembre 2021, des coups de trompe se font entendre dans les bois ; un cerf a été levé et les militants et les militantes présents entendent bien ne pas le laisser aux chasseurs et à leurs chiens. Là, comme un siècle auparavant, on oppose son corps à une pratique que l’on dénonce. On le fait pour des raisons diverses : il y en a qui ne supportent pas de constater l’accaparement des forêts de leur commune ; d’autres qui contestent cette chasse-ci ou bien toutes les chasses ; d’autres encore pour qui la pratique, hautement hiérarchisée, est une résurgence aristocratique ou une relique bourgeoise qu’il convient de défaire au nom de la lutte des classes.
Se retirer pour accueillir
Depuis les bois, marchons quelques jours ou bien enfourchons une bicyclette pour faire le trajet sur deux roues. Non loin de ces forêts picardes qu’agite une « guerre [8] » pour que perdure ou périclite la chasse à courre, se trouve la colonie végétalienne et libertaire de Bascon. Bien sûr, aujourd’hui il n’en est rien ; mais un nouveau bond temporel d’une centaine d’années nous introduit auprès de Georges Butaud, Louis Rimbault et Sophie Zaïkowska au sein d’une singulière communauté.
Après quelques tentatives avortées, une maison inhabitée avec quelques dépendances échoit à un groupe d’une dizaine de camarades pour qu’un « milieu libre » puisse s’y développer. Quelques années encore seront nécessaire à ce que l’expérience prenne sa forme finale. C’est l’automne 1911 et une annonce paraît dans la presse anarchiste : « Nous sommes simples, végétariens, abstinents et nous fondons notre espoir de vie communiste sur le développement de la conscience, du sentiment, de la volonté, du courage, de l’initiative individuelle et la non-violence entre camarades [9]. » Les moyens de subvenir aux besoins sont sommaires : du maraîchage pour se nourrir et un peu d’artisanat pour compléter les besoins essentiels. La tentative, de nouveau, sera de courte durée. Des répliques toutefois émergeront les décennies suivantes, selon des formes différentes, se centrant de plus en plus sur le mode de vie - végétarien et naturiste - et de moins en moins sur le potentiel de libération y résidant.
Au-delà des vicissitudes de l’expérience, ce qui doit retenir l’attention sont les principes défendus et l’extrême rigueur qui les accompagne. Il s’agit, selon les mots de Louis Rimbault, de faire la chasse aux « faux besoins » qui contraignent et assoupissent les travailleurs et les travailleuses. Parmi eux, et non des moindres, la viande. L’un des traits fréquemment reprochés aux militants et théoriciens animalistes actuels - où sont donc passés les animaux ? - était en germe déjà chez ces anarchistes individualistes et végétariens d’avant-guerre. Si le but (réformer les modes de vie) et les moyens pour l’atteindre (se mettre à l’écart ou, pour employer les mots de l’époque, en-dehors de la société capitaliste) sont proches de la mise en œuvre contemporaine de sanctuaires et refuges antispécistes, une évolution fondamentale s’est insérée entre temps : les animaux sont désormais au centre de la démarche, là où, auparavant, ils étaient absents non seulement des repas mais aussi du quotidien [10].
L’omniprésence des animaux : voilà ce qui frapperait tout curieux allant voir ces sanctuaires qui recueillent bêtes réformées, de laboratoire ou simplement abandonnées. C’est, du moins, ce qui saisit à l’approche de l’un d’eux, situé en retrait d’un village de l’Est de la France. Le terrain que l’on foule est vaste. Une rivière bordée de peupliers et de frênes le traverse. Vaches, bœufs, chèvres, moutons, poules, oies, chiens et cochons se partagent l’espace. Il y a quelques humains, aussi. Un mobile home duquel pend un drapeau frappé d’une étoile paraît esseulé au milieu de ces êtres-là. Ils sont deux et ont construit, avec l’aide de bénévoles, des abreuvoirs, des clôtures, des auvents, des abris, ainsi qu’une infirmerie. Il a fallu apprendre sur le tas les relations entre les espèces représentées, et respecter les barrières que ces différences imposent. Les uns sont craintifs, fuyants et sauvages, tandis que d’autres donnent des coups de corne en tournant simplement la tête — au risque d’empaler ce qui se tient trop près.
Ils sont deux et se disent volontiers anarchistes en même temps qu’antispécistes. Si devant leur abnégation des mots grandiloquents vous viennent en tête, ils les balayeront d’un revers de la main : la cause mérite un tel investissement. Au diable les poursuites, la surveillance, la prison qui menace. Foin d’héroïsme ou de toute valorisation personnelle. Ce qui compte, ce sont les animaux, ces camarades, ces alliés, ces compagnons et ces complices. Ce ne sont pas les victimes qu’on dit, non, car les animaux résistent. Seulement, on ne peut ou ne veut pas le voir.
Les détails théoriques et judiciaires de l’une tranchent avec le franc-parler de l’un. Un refuge, c’est un travail immense et quotidien. L’isolement est grand vis-à-vis du milieu militant comme de la bataille médiatique. Pourtant, pour celle et celui qui agissent en ces lieux, c’est là où il faut être. Avec les animaux. Loin d’en faire une cause autonome, qui légitimerait une compromission que d’aucuns appellent de leurs vœux avec le système économique dominant, ils et elles sont soucieux d’intégrer cette lutte avec l’ensemble des causes émancipatrice, dans un même élan d’affranchissement généralisé. 269 Libération animale s’en explique ainsi dans un entretien : « Le socialisme, c’est se soucier collectivement du sort de chacun, organiser socialement la solidarité de tous pour chacun, demander à chacun selon ses capacités, accorder à chacun selon ses besoins. Bien évidemment, lier les deux idéologies implique d’adopter la vision d’un socialisme qui se situe au-delà de la société strictement humaine ».
Le socialisme aux vivants
En dehors de toute exploitation ou bien en prise directe avec une industrie agro-alimentaire mortifère, dans les bois comme au sein des abattoirs, à l’aide des mots ou des images, quels que soient les arguments et les moyens employés, des ponts peuvent être jetés entre notre jeune siècle et les précédents quant à la prise en charge politique des animaux. Les quelques phrases adressées par Reclus à son ami Richard Heath, citée au seuil de cette contribution, ont eu une postérité étonnante. Si l’élargissement de la solidarité à ce qui n’est pas humain est une idée déjà ancienne, certaines propositions contemporaines la déploient et la systématisent. Parmi celles-ci, comptons le projet de planification écologique et communiste élaboré par le géographe Andreas Malm, ou la perspective critique qui engage à reconnaître une même condition terrestre à tout ce qui vit, travaillée, entre autres, par l’agronome Léna Balaud et le philosophe Antoine Chopot. Pour marginales que soient encore les voix les rejoignant, elles trouvent une place de plus en plus assumée au sein des propositions politiques anticapitalistes actuelles.
Repartons près de Toula, pour une dernière promenade auprès du vieil écrivain.
Tolstoï savait les railleries dont il ferait l’objet après avoir renié ce « plaisir cruel » qu’est la chasse. Mais, loin de s’en émouvoir, il ignora ses détracteurs et leur préféra les générations suivantes. Il dédie ainsi son texte à un public tout autre ses anciens camarades de tuerie : « ce n’est pas aux hommes que je m’adresse, c’est aux jeunes gens dont la conscience parle encore, susceptible de s’élargir ; aux jeunes gens qui sont assez courageux pour juger les opinions adoptées, et au besoin les modifiées, même s’il en résultait l’obligation d’abandonner une distraction favorite [11] ». La jeunesse de son temps n’a, semble-t-il, que peu prêté l’oreille aux recommandations du vieil homme. Gageons que celle d’aujourd’hui saura s’en saisir autrement plus massivement : que la justice ne puisse plus se formuler sans faire cas des animaux.