Nous considérons ce texte comme l’une des expressions les plus claires du défaitisme révolutionnaire dans le mouvement anti-guerre actuel. Nous aimerions souligner plusieurs points très forts que les camarades développent dans ce texte :
- Le fait d’insister sur la nécessité d’organiser des actions pratiques sur le « front intérieur » de « notre propre » camp, comme le blocage des livraisons de matériel militaire au front.
- Le fait d’insister sur une position intransigeante s’opposant aux deux camps en présence de la guerre inter-impérialiste en Ukraine et défendant le troisième camp, celui du défaitisme révolutionnaire, même contre les appels pacifistes des forces sociales-démocrates.
- Et insister sur le fait que la « guerre en Ukraine » n’est pas une guerre parmi d’autres, mais qu’elle occupe une place centrale dans la confrontation militaire mondiale en cours entre deux blocs opposés. La guerre qui se déroule actuellement au Moyen-Orient, centrée sur le massacre incessant des prolétaires à « Gaza », semble devenir un deuxième foyer de confrontation important.
Guerre de Classe # Novembre 2023
Défaitisme et antimilitarisme
La seule réponse de classe possible à la guerre en Ukraine
Source en italien : https://centrodidocumentazionecontrolaguerra.noblogs.org/files/2023/06/Disfattismo-e-antimilitarismo.pdf
Nous l’affirmons depuis le 24 février 2022, en ce qui concerne la guerre en cours dans les plaines ukrainiennes, nous devons prendre résolument parti, sans hésitation ni distinction sophistiquée : Contre l’impérialisme russe, contre l’impérialisme américain, européen et de l’OTAN, contre le capitalisme ukrainien. Avec les prolétaires ukrainiens et russes, contre la perspective d’une guerre mondiale inter-capitaliste, perspective ouverte par la guerre « par procuration » en Ukraine, contre la barbarie actuelle.
Contre l’impérialisme russe
La Russie porte la « responsabilité principale » du déclenchement de la guerre, elle a choisi de passer directement aux opérations de guerre à un moment donné de la « confrontation – compétition » avec les États-Unis et l’Europe et, sur le territoire ukrainien, au moins depuis 2014 après les événements de Maïdan, avec le secteur local de la bourgeoisie pro-occidentale.
La Russie, pas seulement depuis le 24 février 2022, a joué un rôle réactionnaire contre son propre prolétariat et le prolétariat international, principalement dans l’ancienne région soviétique et d’Asie centrale. Il suffit de rappeler l’intervention répressive de son armée au Kazakhstan au début de l’année 2022 contre le prolétariat en lutte.
La Russie est un pays pleinement capitaliste et une puissance impérialiste, gouvernée par des forces de « droite », intimement liées à l’Église orthodoxe ultra-rétrograde de Moscou et associées aux pires atours de la réaction internationale, en concurrence et en opposition avec le bloc occidental dirigé par les États-Unis1. La gestion politique et militaire de cette opposition au « bloc » occidental est structurellement réactionnaire et anti-prolétarienne, sans aucune trace d’un quelconque « anti-impérialisme objectif »2.
La seule fonction du prolétariat russe étant de servir de « chair à canon » pour cette guerre, nous devons ici soutenir ses initiatives défaitistes de rompre avec son propre impérialisme, ses tentatives de s’opposer au conflit en cours.
Contre le bloc impérialiste États-Unis / Europe / OTAN
Les Etats-Unis et, derrière eux, avec des intérêts plus ou moins divergents, les différents alliés occidentaux (européens d’abord) et l’OTAN, se présentent comme les défenseurs de la liberté et de la démocratie, pour défendre le droit à l’existence de l’Ukraine, bien aidés par les manœuvres de Poutine, désormais présenté comme « l’ennemi numéro 1 »3.
En réalité, depuis un certain temps, « les États-Unis et leurs amis » sont engagés dans une profonde pénétration économique, politique et militaire dans cette sorte d’« arrière-cour » du défunt capitalisme d’État soviétique qu’était l’Europe de l’Est4. Un élargissement qui a toujours été vécu par le capitalisme russe comme un « encerclement », de plus en plus étouffant et menaçant, et auquel il a déjà répondu militairement avec les interventions en Géorgie (2008) et en Crimée (2014) ; par son soutien aux séparatistes pro-russes du Donbass (2014) ; par une présence militaire renouvelée dans les zones « chaudes » comme la Syrie, la Libye et le Sahel ; ainsi que par la remise en cause du monopole occidental des ventes d’armes entre alliés de l’OTAN, en plaçant ses propres missiles S-400 en Turquie5.
La politique américaine, européenne et de l’OTAN d’« encerclement » de la Russie6, et les réponses russes à cette politique, sont toutes deux réactionnaires, il n’y en a pas une qui soit « pire » que l’autre, elles doivent toutes être combattues, à commencer par celle de « notre » impérialisme italien.
Contre le capitalisme ukrainien
Le rôle de« l’agressé », de « l’envahi » et/ou de « l’agresseur », de « l’envahisseur » ne définit pas en soi la nature de classe de la politique d’un État. C’est son mode de production, sa politique et ses choix qui nous le montrent.
Le régime Zelensky est radicalement anti-prolétarien. Comme ses prédécesseurs, qu’ils soient anti ou pro-russes, il a sauvegardé les intérêts de la bourgeoisie locale, favorisé la pénétration de la finance et de l’industrie occidentales dans le pays et contribué à l’exploitation accrue du prolétariat ukrainien. Le prolétariat est de plus en plus appauvri et contraint d’émigrer en grand nombre ; dans sa composante féminine, en tant qu’aides-soignantes sous-payées et non déclarées, pour compenser la destruction de la protection sociale en occident ; dans sa composante masculine pour fournir une main-d’œuvre bon marché aux chantiers de construction européens.
En se rangeant du côté du bloc occidental, en exigeant l’entrée dans l’UE et l’OTAN, l’Ukraine a fini par devenir le pot de terre classique entre les deux blocs opposés. Le prolétariat ukrainien, tous les Ukrainiens, ont été entraînés dans une « guerre par procuration », mourant sur la ligne de front ou sous les bombardements non pas pour la liberté de l’Ukraine, mais pour le conflit d’intérêts économiques et politiques entre les deux blocs.
De plus, le régime de Zelensky, avec le soutien des gouvernements occidentaux, utilise la guerre pour réduire au maximum les libertés et les droits politiques et syndicaux des travailleurs, pour poursuivre les opposants dans des procès « sommaires » (sous le prétexte de « collusion » avec l’ennemi russe)7.
Dès le début de la guerre, Zelensky se débarrasse de toutes les formes « naïves » [spontanées] d’auto-organisation de la résistance à l’envahisseur russe, les démembrant et les encadrant dans les rangs des forces militaires de l’État, dispersant les opposants et les partisans de la « résistance pour combattre l’impérialisme russe » dans différents départements et fronts de bataille.
Le prolétariat ukrainien n’a rien à gagner à participer à cette guerre.
Nous devons ici soutenir leurs tentatives, sans doute actuellement limitées, de défaitisme et de désertion, leur refus de se subordonner à l’Union sacrée pour chasser l’envahisseur.
Contre la perspective d’une guerre mondiale inter-capitaliste ouverte par la guerre « par procuration » en Ukraine
La guerre en Ukraine n’est pas un conflit politiquement et géographiquement délimité, au contraire, elle est un produit du « nouveau désordre mondial » et marque l’ouverture de la possibilité que la crise générale actuelle du capitalisme ait pour épilogue un conflit inter-capitaliste mondial, une Troisième Guerre mondiale.
L’équilibre inter-capitaliste a depuis longtemps été investi par une poussée centrifuge, générée par le déroulement de sa crise générale, qui a désormais sapé de manière irréversible l’ordre ancien issu des accords de Yalta en 1945, centré sur les États-Unis en tant que centre de l’ensemble de l’économie mondiale et première puissance économique, politique et militaire.
Un concurrent direct, un prétendant au trône d’ennemi numéro un de l’humanité, qui dispose de la puissance politique, économique et militaire que les États-Unis possédaient autrefois, n’est pas encore en vue. Mais en Europe, jusqu’à l’extrême Orient en passant par l’Afrique, la suprématie américaine est de plus en plus mal ressentie et de plus en plus remise en question. La « multipolarité » est la forme actuelle sous laquelle s’exprime la lutte réactionnaire et inter-capitaliste.
Avec le désastreux retrait d’Afghanistan, c’est la fin de la domination américaine qui a été sanctionnée, domination que les États-Unis ne veulent pas abandonner pacifiquement, et la rupture du système d’équilibre préexistant ne peut plus être recomposée. La guerre en Ukraine est la première expression concrète de ce processus8.
Un processus vers la guerre mondiale
Un processus, certes, qui a donc ses accélérations et ses contre-tendances, et dont nous ne sommes certes pas encore en mesure de déterminer « l’heure H fatidique », mais dont il faut saisir la manifestation.
Si vous ne voulez pas faire cela, si vous voulez prétendre que la guerre en Ukraine est « une guerre parmi d’autres », alors tout ce que vous avez à faire c’est d’accepter la fable, selon laquelle l’OTAN et même l’Italie ne sont pas impliquées dans la guerre en cours en Ukraine, que fournir des armes de toutes sortes et dans des quantités jamais vues au cours des cinquante dernières années ce n’est pas prendre part à la guerre, qu’envoyer des drones depuis [l’aéroport militaire de] Sigonella jusqu’à la mer Noire ce n’est pas collaborer à la guerre. Mais si nous acceptons cela, alors nous pouvons aussi considérer comme vrai que l’invasion russe de l’Ukraine n’est qu’une « opération militaire spéciale » contre le fascisme et le nazisme, que la guerre ne quittera jamais les frontières des plaines ukrainiennes.
Aujourd’hui, nous ne savons pas combien de temps nous sépare de la troisième guerre mondiale, mais nous ne pouvons pas croire qu’elle n’aura pas lieu juste parce que la production de matériel de guerre est bien inférieure à celle de la deuxième guerre mondiale (ce qui est vrai), mais la guerre n’éclate pas lorsqu’une quantité absolue X de matériel de guerre ou un pourcentage Y de la production de guerre par rapport à la production totale est atteint.
Nous ne pouvons pas non plus espérer que le processus soit bloqué par des intérêts économiques, que les multinationales empêchent le glissement vers un éventuel conflit mondial pour ne pas perdre leurs bénéfices, que nous soyons face à un petit théâtre dont les ficelles sont tirées par l’industrie de l’armement et que cette dernière puisse interrompre à sa guise la spirale vers une guerre mondiale.
On n’oubliera pas non plus qu’avec le « Concept stratégique 2022 », l’OTAN a identifié la Russie et la Chine comme les deux ennemis à abattre, reprenant, en particulier pour cette dernière, les thèmes du programme électoral du « démocrate » Biden. La guerre avec la Russie se poursuit en Ukraine, la guerre possible avec la Chine est annoncée par la question de Taïwan, sortie du chapeau après plus de cinquante ans d’hibernation9.
Entre-temps, les forces de l’OTAN sur le front oriental ont déjà quadruplé pour atteindre 40.000 soldats, la force de réaction rapide est passée de 40.000 à 300.000 hommes et la présence militaire américaine en Europe est passée de 80.000 à 100.000 soldats10.
D’aucuns prétendent qu’il s’agit là d’une vulgaire propagande, nous pensons au contraire qu’il s’agit de la colonne vertébrale sur laquelle se dessine la perspective d’une guerre globale et que la guerre en Ukraine en est le premier maillon. Par conséquent, la seule position possible à l’égard de la guerre en cours ne peut être que le défaitisme. Sinon, volontairement ou involontairement, on reste les bras croisés ou on se range du côté de l’un des fronts de guerre, ce qui contribue à renforcer les prémisses de l’encadrement du prolétariat dans la future guerre mondiale.
Le danger nucléaire et la guerre en Ukraine
De plus en plus de « signaux » émergent de la guerre en cours et nous ne pouvons pas exclure que la barbarie de la guerre menée par le capitalisme ne bascule pas également dans la guerre nucléaire. Pour nier cette réalité, à cause de l’horreur inhérente à la chose elle-même, beaucoup s’accrochent à l’idée que la bourgeoisie internationale ne serait pas prête à prendre le risque de l’élimination de l’espèce humaine, le risque de l’holocauste nucléaire. Autrement dit, pour s’en tenir aux principaux détenteurs d’engins atomiques, faut-il faire confiance aux Biden, Poutine, Sunak, Macron, Netanyahu ou même aux Xi Jinping, Modi ?
Mais déjà, la stratégie de dissuasion nucléaire de l’OTAN à elle seule est conçue comme une option de réponse possible, que l’adversaire doit percevoir comme puissante, mais dont il ne doit pas pouvoir saisir la portée réelle. Elle contient en elle-même un alea, un flou implicite de la limite au-delà de laquelle on ne peut aller, qui n’est pas fixe, mais variable, selon la situation. Ajoutons qu’avec le « Concept stratégique 2010 », l’OTAN a éliminé le monopole américain de la réponse nucléaire, en impliquant également d’autres pays de l’alliance, dont l’Italie, qui possèdent l’arme atomique et les lanceurs pour la mettre en œuvre. Ce monopole exclusif n’existe donc plus.
De Russie et des Etats-Unis, on entend de plus en plus évoquer le danger nucléaire comme résultat possible d’une escalade des représailles liées à la guerre en Ukraine, il ne fait aucun doute qu’il s’agit en grande partie de propagande ; mais depuis la première invasion occidentale de l’Irak (1990), l’utilisation de missiles nucléaires tactiques est de plus en plus justifiée et présentée comme une possibilité en devenir, qui devrait permettre de maintenir la puissance nucléaire à un niveau « acceptable » (sic !, pour qui ?)11.
Aujourd’hui, nous ne savons pas si et quand les armes nucléaires seront utilisées, mais nous savons qu’elles peuvent l’être ! Le capitalisme a, pour la première fois dans l’histoire, atteint la capacité technique de détruire la planète entière par une guerre nucléaire ; il pose un ultimatum non seulement au prolétariat, mais à l’ensemble de l’humanité : la survie de l’espèce humaine est étroitement liée à l’élimination du capitalisme en tant que système (a)social. Un argument de plus pour le défaitisme envers toute politique de guerre, à mener conjointement avec les prolétaires ukrainiens et russes, contre la barbarie du présent.
L’accoutumance à la guerre
Compte tenu de ce qui précède, force est de constater que plus d’un an après le début de la guerre en Ukraine, en Italie, mais aussi dans les autres pays du bloc américain, de l’Europe, de l’OTAN, même dans ceux qui, comme la France, connaissent davantage de conflits sociaux que l’Italie, aucune mobilisation de masse contre la guerre ne s’est développée, et encore moins un mouvement stable, durable et actif.
Nous ne pouvons pas expliquer le retard syndical et politique général du prolétariat par une cause unique, mais en restant dans le domaine spécifique de la guerre, nous pouvons dire qu’il est en partie imputable à un long processus d’« accoutumance » à la guerre elle-même, auquel les masses des pays occidentaux ont été « formées » avec la gestion de près de 30 ans de la « guerre permanente » menée dans les périphéries, qui a commencé avec les invasions de l’Irak et de l’Afghanistan.
La guerre a toujours été vécue comme « lointaine », une sorte de jeu vidéo au journal télévisé du soir écouté distraitement pendant le dîner, absolument anesthésié par la matérialité de la destruction physique et de la mort, de l’horreur inhérente à la barbarie de la guerre, aux opérations de « nos » militaires. Le petit nombre de victimes occidentales, l’absence d’un rituel médiatique quotidien de cercueils revenant de la guerre et enveloppés dans le drapeau national, ont contribué à la « crédibilité » de la tromperie selon laquelle… il n’y a pas eu de guerre et que l’impérialisme italien n’y a pas été impliqué, alors que les forces armées italiennes sont engagées sur des dizaines de théâtres d’opération, à commencer par le Kosovo, la Bosnie, l’Irak, le Liban, etc.
Même le langage a été tordu selon les besoins de la propagande du régime, avec la prolifération d’oxymores et de définitions, souvent inventés par des dirigeants de la « gauche » institutionnelle, tels que l’ancien premier ministre britannique Tony Blair ou le ministre français (à la fois de gauche et de droite) Bernard Kouchner, tels que « guerre humanitaire », « mission de paix », « opération de police contre le terrorisme »…, visant à faire disparaître le mot « guerre », avec l’aide des médias du monde entier, tous « intégrés » à l’unisson, sans qu’il soit nécessaire d’utiliser le bâton ou la carotte.
La guerre est ainsi « oubliée » et plus personne ne semble remarquer le conflit en cours en Ukraine, tandis que tout le monde poursuit la routine habituelle de la vie quotidienne marquée par le travail, les études, les vacances, en détournant la tête.
La guerre en Ukraine n’est pas une guerre parmi d’autres
Même dans le camp de ce que l’on appelait autrefois la « gauche extraparlementaire » et dans les rangs du syndicalisme de base, l’accoutumance s’est installée ; depuis le 24 février 2022, tout le monde s’est déclaré contre la guerre et les initiatives se sont multipliées, mais il s’agissait d’une chose parmi d’autres pour laquelle on « devait » se mobiliser, une « guerre comme les autres ». Nous voyons même des conférences, des coordinations, etc., qui abordent de nombreuses questions liées au militarisme capitaliste, du rôle de l’ENI [société nationale italienne des hydrocarbures] à la servitude militaire, de l’industrie de l’armement à la présence de l’armée dans les écoles, et ainsi de suite, mais sans prendre parti et sans intervenir de manière préventive dans la guerre en Ukraine, sans relier continuellement ces questions au conflit en cours.
Un « curieux » paradoxe est ainsi réalisé : l’Italie est en fait en guerre (elle fournit des armes, des entraînements et des bases pour des activités liées à des opérations de guerre), mais l’intervention antimilitariste se concentre sur d’autres questions, peut-être même en demandant la sortie de l’Italie de l’OTAN… alors que nous sommes engagés dans le conflit aux côtés de l’OTAN12.
Prenons un seul exemple, pour essayer de nous faire comprendre : le 1er mai 2023 (ne parlons même pas de 2022 !) aurait dû être, un an après le début de la guerre et la participation de l’Italie à celle-ci, au moins une échéance nationale et coordonnée contre le conflit en Ukraine (illusion !) ; au lieu de cela au niveau politique et syndical chacun a pris sa propre initiative séparément.
Bien sûr, tous ont dénoncé la guerre à la fin de leurs communiqués, mais il s’agit d’un « rituel », car ils continuent avec lassitude la même routine, répétant comme un mantra les mêmes choses, les revendications et les slogans qui ont été lancés contre le militarisme pendant des années, comme si le conflit ukrainien ne représentait pas un tournant dans la rupture de l’équilibre entre les États et l’évolution de la crise générale du capitalisme, et comme s’ils ne devaient pas faire face à la nouveauté de la situation, du processus de guerre mondiale qui s’est ouvert.
Ce modus operandi a également eu pour conséquence de ne pas apporter de solidarité et de soutien aux forces russes, bélarusses et ukrainiennes (indubitablement minoritaires) opposées à la guerre. À quelques exceptions près, la simple révélation de l’existence d’une opposition à la guerre, aussi pacifiste et « incohérente » soit-elle du point de vue de la lutte des classes, était essentiellement un monopole des médias du régime, qui n’ont rapporté qu’une partie de ce qui se passait en Russie. Rappelons que l’Europe « démocratique » n’accorde pas l’asile politique aux Ukrainiens et aux Russes qui refusent de se battre en Ukraine13.
Nous savons très bien que les problèmes politiques ne sont pas résolus sur la base de nos propres souhaits et volonté, mais dans cette situation, l’effort, à la fois politique et organisationnel, doit être dirigé vers le regroupement et la coordination de tous ceux qui s’opposent à la guerre en Ukraine, afin d’essayer de réussir à stabiliser des formes permanentes d’opposition à la guerre, en premier lieu à la politique belliqueuse du gouvernement italien (soutenue par l’opposition institutionnelle). Et un antimilitarisme classiste ne peut être que défaitiste face à tous les belligérants de la guerre en Ukraine.
S’opposer à l’interventionnisme de l’impérialisme italien
Le gouvernement Meloni, en pleine harmonie avec son prédécesseur Draghi, participe activement au conflit ukrainien, en continuant à allouer des milliards d’euros de financement, à envoyer des armes et des instructeurs, et à soutenir l’OTAN. L’un de ses objectifs est également de faire participer les industries et les banques italiennes en tant que protagonistes de la grande affaire de la « reconstruction de l’Ukraine ». En outre, Meloni et son ministre de la défense Crosetto (de Fratello d’Italia), prévoient d’augmenter encore les dépenses militaires de plusieurs milliards d’euros, afin de ne pas perdre de terrain dans la course au réarmement face à la France, à l’Allemagne et à d’autres puissances concurrentes, et de donner des ordres à Leonardo, Fincantieri et aux centaines d’industries liées au « complexe militaro-industriel » national.
Cette politique belliciste coûte et coûtera toujours plus cher ; elle pèse sur les épaules des travailleurs et engendre la pauvreté ; elle conduira à « donner sa vie pour la patrie », aboutissement logique du gouvernement Dieu Patrie Famille ; elle complique de plus en plus, en les transformant en missions de guerre, la conduite des « missions de paix » italiennes dans les zones les plus dangereuses du théâtre euro-méditerranéen (Bosnie, Irak, Liban), qui est la zone d’influence vitale de l’italo-impérialisme et qui est inextricablement liée aux événements de la guerre ukrainienne.
« Antimilitarisme », « internationalisme » ou… participation à la guerre en Ukraine ?
Si le premier problème qui se pose est celui de l’élargissement de l’opposition à la guerre, en brisant d’abord le mécanisme de l’accoutumance, le second est celui du « type » de positions qui circulent.
Dans les manifestations contre la guerre, on trouve à la fois des appels à la paix fondés sur un rejet « humanitaire et moral » de la guerre, et des positions qui appellent verbalement à la paix, mais qui en même temps soutiennent en substance la participation à la guerre en approuvant l’envoi d’armes à l’Ukraine. L’ensemble de la gauche « institutionnelle » européenne et internationale, qui a longtemps trouvé dans l’OTAN « un parapluie protecteur »14, qu’elle soit au gouvernement ou dans l’opposition, ainsi que le monde syndical, s’est ralliée de manière irréversible à cette dernière position belliciste de fait.
Ainsi, au « nom de la paix », on prépare l’élargissement de la guerre et on encadre le prolétariat dans la logique de la guerre, sa nécessité, son inéluctabilité, pour défendre la liberté et la démocratie. Ainsi, la tradition « frontiste » qui a voué le prolétariat au massacre lors des deux premières guerres mondiales est reprise et adaptée à la « modernité » ; il est à nouveau réaffirmé qu’une perspective d’émancipation sociale, de « communisme » est impensable, irréalisable.
Sur la base de ce même type d’approche pro-guerre, il est malheureux de constater qu’un certain nombre de forces anarchistes et socialistes, en particulier dans la région slave, ont fini par choisir de participer et de se battre dans la guerre en Ukraine contre les Russes. Ils ont opté pour la « résistance armée » en soutenant le droit de l’Ukraine à la défense et à l’autodétermination et en affirmant que le principal ennemi à abattre est « l’impérialisme » russe, dont la défaite sur le terrain entraînerait la chute de la principale force réactionnaire. Nombre d’entre eux pensent qu’en participant aux opérations de guerre, ils gagneront en crédibilité auprès de la population ukrainienne et auront une chance de jouer un rôle dans la période d’après-guerre.
Tous les partisans de ces thèses qui participent aux combats doivent le faire dans le cadre des différentes forces militaires et logistiques ukrainiennes ; il n’existe pas aujourd’hui de structure militaire indépendante de la « résistance armée », et en parcourant les rapports publiés par ces forces, on constate que plusieurs d’entre eux sont tombées au combat.
Nous n’avons pas l’intention d’examiner ici point par point le bien-fondé de ces positions, ceux que cela intéresse peuvent lire un document très intéressant d’un groupe d’anarchistes de la République tchèque « Antimilitarisme anarchiste et mythes sur la guerre en Ukraine »15 ; nous soulignons seulement que ces positions contribuent à encadrer le prolétariat dans les fronts de guerre, à le priver de toute tentative d’autonomie de classe, et reflètent quelque peu celles de ceux qui croient qu’il faut soutenir la Russie (sic !), parce que cela affaiblirait l’impérialisme occidental, les USA en premier lieu (sic !). Ceux qui veulent les connaître trouveront quelques indications dans cette note16.
Nous pensons, au contraire, qu’une tâche politique fondamentale aujourd’hui dans la lutte contre la guerre en Ukraine est de bloquer les livraisons d’armes occidentales, en contrecarrant ainsi la politique de poursuite et d’élargissement de la guerre, ainsi que le danger croissant qu’elle glisse toujours plus loin dans un conflit mondial inter-capitaliste. Attention, cette revendication doit être étroitement liée au défaitisme à l’égard de tous les protagonistes du conflit, car cette revendication est également portée par des forces qui soutiennent les Russes dans le conflit et la déguisent en rupture avec la politique du gouvernement italien !
Nous voudrions rappeler que le défaitisme n’est ni une revendication abstraite, ni un objectif qui ne peut être revendiqué qu’en pleine guerre, comme ce fut concrètement le cas en Russie en 1917. La perspective défaitiste, l’autonomie de classe du prolétariat par rapport aux fronts de guerre, doit être reconstruite dès aujourd’hui, agitée, expliquée, rendue compréhensible. Le prolétariat, les masses au sens large, ont été « formés » pendant plus d’un siècle à la politique de participation à la guerre, au frontisme, à la défense nationale.
La rupture d’avec l’union sacrée guerrière ou d’avec l’illusion d’une alliance militaire mais non politique doit être préparée à l’avance.
En conclusion, ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est de l’effort le plus large pour placer l’opposition de classe à la guerre en Ukraine au centre de la lutte politique, pour affirmer l’internationalisme prolétarien contre tout nationalisme, pour construire un réseau de relations internationales avec toutes les forces qui luttent contre la guerre, en particulier les forces russes et ukrainiennes, pour provoquer des grèves parmi les travailleurs et la jeunesse, des manifestations et des actions pour exiger l’arrêt immédiat de la guerre, pour obliger la Russie à renoncer à l’invasion, l’Ukraine à cesser de mener une « guerre par procuration » et les blocs américain, européen et de l’OTAN à cesser de fournir des armes et de prolonger le conflit, dans le but de mettre fin au massacre des prolétaires et des jeunes russes et ukrainiens, et de s’opposer à la politique belliciste de l’État italien.
Il faut multiplier les initiatives, des conférences aux manifestations, pour affirmer une position défaitiste et faire comprendre comment les événements actuels ont ouvert la voie à la possibilité d’une troisième guerre mondiale. Les luttes sociales et syndicales doivent également être liées à cet horizon de guerre et de catastrophe qui menace l’existence même de l’espèce humaine.
Milan, 5-6-2023
Centre de documentation contre la guerre
Des informations, du matériel et des analyses pour s’opposer à la barbarie du capitalisme décadent, au terrorisme d’État occidental et russe et au terrorisme dudit « islamisme radical ».
centrodocumentazionecontrolaguerra@inventati.org
https://centrodidocumentazionecontrolaguerra.noblogs.org/
NOTES :
1. Aux « nostalgiques », aux oublieux et aux chercheurs de l’improbable anti-impérialisme « objectif » de la clique Poutine et consorts, rappelons qu’il existe en Russie une très forte exploitation capitaliste du travail salarié, une paupérisation permanente contrastant avec un accroissement vertigineux de la richesse pour une très petite partie de la population. Le pays est dépourvu des moindres règles de capacité d’action politique et syndicale pour le prolétariat, la répression policière contre les opprimés est la norme de la vie quotidienne. La classe dirigeante russe, les appareils d’État, les organisations politiques de Poutine et consorts sont imprégnés de positions et de sentiments « chauvins grands-russes », comme on disait autrefois, que les décennies de stalinisme et de khrouchtchevisme ont transmis jusqu’à aujourd’hui. Le soi-disant parti « communiste » de Russie est actuellement le deuxième plus grand parti de la Douma, après Russie unie de Poutine, il soutient également la guerre réactionnaire en Ukraine et appelle à la persécution des opposants à la guerre. Comme si cela ne suffisait pas, les Russes, avec les États-Unis, soutiennent les attaques militaires turques contre les Kurdes du Rojava et la répression impitoyable d’Assad et d’Erdogan contre les Kurdes et les réfugiés syriens massés dans des camps de tentes à la frontière entre les deux pays.
2. Il ne faut pas oublier que le capitalisme russe, jusqu’à présent, a fait de grandes affaires avec les capitalistes occidentaux, mais qu’une partie de sa bourgeoisie continue à le faire, malgré les sanctions, en partageant les profits excédentaires générés par les contrats à terme et les mesures d’application des sanctions sur les matières premières énergétiques (dont le prix était en hausse depuis avant la guerre en Ukraine).
3. C’est le « remake » du film déjà vu maintes fois avec les deux expéditions guerrières en Irak (1990-1991 et 2003-2011) ; avec l’agression contre la Serbie (1999) ; avec la guerre, l’occupation pendant 20 ans et l’abandon de l’Afghanistan (2001-2021) ; avec l’expédition militaire infructueuse Restore Hope en Somalie (2003) ; avec le renversement de Kadhafi en Libye (2011) ; bref la sempiternelle « tragi-comédie » des « bons » ( !!!) qui, en distribuant des bombes à gauche et à droite, annoncent la bonne nouvelle de la libération de l’ennemi du moment ; « tragi-comédie » pas toujours « produite » par l’ONU, qui, de toute façon, est depuis longtemps réduite à un forum destiné à couvrir sa propre malfaisance, à utiliser ou à rejeter au gré des convenances. Cette leçon a d’ailleurs été adoptée par la Russie, qui a appris des États-Unis « et de leurs amis » à ne pas définir les guerres par leur propre nom, mais à utiliser des oxymores tels que « guerre humanitaire », de sorte qu’elle a immédiatement baptisé son invasion de l’Ukraine d’une expression « neutre » telle que « opération militaire spéciale ».
4. Adhésion à l’OTAN, par date : 1949 / Belgique, Canada, Danemark, France, Islande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Norvège, Portugal, Grande-Bretagne, États-Unis ; 1952 / Grèce, Turquie ; 1955 / Allemagne ; 1982 / Espagne ; 1999 / Hongrie, Pologne, Tchécoslovaquie ; 2004 / Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Roumanie, Slovaquie, Slovénie ; 2009 / Albanie, Croatie ; 2017 / Monténégro ; 2020 / Macédoine du Nord ; 2022 / Suède et Finlande ont demandé leur adhésion (en signant un accord avec la Turquie pour lui remettre les Kurdes qu’elle avait accueillis comme réfugiés) : Mémorandum trilatéral, 28-6-2022, https://www.nato.int/cps/en/natohq/news_197251.htm?selectedLocale=fr) ; l’adhésion de la Géorgie et, bien sûr, de l’Ukraine reste en suspens.
5. Pour cet achat, les États-Unis ont « sanctionné » la Turquie en l’excluant de la fourniture déjà prévue de chasseurs F35. Roberto Bongiorni, La Turquie achète des missiles russes, les États-Unis ripostent en interrompant les livraisons de F-35, Il Sole 24 Ore, 3-4-2019, https://www.ilsole24ore.com/art/la-turchia-compra-missili-russi-ritorsione-usa-alt-forniture-f-35--ABaX1HkB [en italien].
6. Ce qui ne peut être pleinement compris dans sa dynamique concrète si l’on ne considère pas également ses éléments contradictoires, tels que l’adhésion incomplète de l’Allemagne et de la France, ainsi que la prolongation de la « confrontation-compétition » à l’échelle mondiale lancée par l’administration Biden à l’encontre de la Chine.
7. Nouvelles en italien, de temps en temps, sur le canal Telegram https://t.me/matrioskainfo.
8. Au sujet du « nouveau désordre mondial » et de la voie vers la troisième guerre mondiale : réunion du 11-05-2022 Le nouveau désordre mondial. La guerre qui existe et la guerre à venir, avec Sandro Moiso (guerre en Ukraine) [audio en italien] ; réunion du 3-3-2023 Le compte à rebours de la prochaine guerre mondiale a-t-il commencé ? Un an après le début du conflit en Ukraine, nous ouvrons une discussion pour réfléchir à la guerre qui avance dans le « nouveau désordre mondial ». Avec Sandro Moiso et Visconte Grisi [audio en italien].
9. Concept stratégique 2022 de l’OTAN. https://www.nato.int/nato_static_fl2014/assets/pdf/2022/6/pdf/290622-strategic-concept-fr.pdf.
10. ISPI, Un an de guerre en Ukraine : 12 graphiques pour comprendre comment le monde a changé, 20-2-2023, https://www.ispionline.it/it/pubblicazione/un-anno-di-guerra-in-ucraina-12-grafici-per-capire-come-e-cambiato-il-mondo-116428 [en italien].
11. A titre d’exemple : Royer Jean-Marc, Vers l’emploi de l’arme nucléaire en Europe ? Carnets de Guerre #4, Lundi Matin, 3-10-2022, https://lundi.am/Vers-l-emploi-de-l-arme-nucleaire-en-Europe ; Fabio Mini, L’Europa in guerra, PaperFirst, 2023 ; Mazzeo Antonio, Da oggi nei cieli europei esercitazioni aeree NATO di guerra nucleare, Pagine Esteri, 17-10-2022, https://pagineesteri.it/2022/10/17/primo-piano/da-oggi-nei-cieli-europei-esercitazioni-aeree-della-nato-di-guerra-nucleare/ [en italien] ; Mussetti Mirko, Perché un missile russo è diventato ucraino, Limes, nr. 12, dicembre 2022.
12. Bien sûr, toutes ces questions doivent être abordées aujourd’hui, elles ne doivent pas être mises de côté, mais elles ne peuvent être que subordonnées à la guerre qui est là, même si elle n’en a pas l’air.
13. Alessandra Fabbretti, Appel des objecteurs russes : « L’UE donne l’asile à ceux qui disent ‘non’ à la guerre », Dire, 14.12.2022, https://www.dire.it/14-12-2022/848939-dagli-obiettori-russi-lappello-lue-dia-lasilo-a-chi-dice-no-alla-guerra/ [en italien]. « Environ 5.000 jeunes Ukrainiens se sont déclarés objecteurs de conscience et souhaiteraient effectuer un service civil en lieu et place du service armé, mais la loi martiale en vigueur le leur refuse. Certains d’entre eux font déjà l’objet de poursuites pénales. Selon l’ONG Un Ponte per, 971 personnes sont inculpées pour avoir choisi de ne pas s’enrôler et de ne pas combattre, sur la base de l’article 336 du code pénal ukrainien régissant la conscription militaire. » – extrait de Protégez les déserteurs, L’Atlas des guerres, 27.12.2022. L’article donne également des nouvelles des déserteurs russes et biélorusses. https://www.atlanteguerre.it/proteggere-i-disertori/ [en italien]. Avec tout le respect dû à ceux qui risquent leur vie, cependant, nous devons dire que dans un pays en guerre, revendiquer l’objection de conscience avec l’illusion qu’elle peut être acceptée signifie une incompréhension totale des mécanismes et des objectifs du militarisme capitaliste.
14. Expression inventée en 1976 par Enrico Berlinguer, secrétaire du PCI, lors du passage du parti de la subordination politique au capitalisme d’État russe à la subordination au capitalisme libéral italien et occidental.
16. https://www.facebook.com/sinistraperlucraina, https://t.me/matrioskainfo, https://t.me/quisiamoinguerra [en italien], https://lundi.am/UKRAINE-ces-anarchistes-s-organisent-face-a-la-guerre [en français].